Russie-Ukraine : l’arme alimentaire au cœur de la géopolitique

Vladimir Poutine a reconnu le 21 février les républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine et décidé d’y envoyer des troupes au nom du « maintien de la paix ». La zone agricole Mer Noire est stratégique pour nourrir une partie des 9 milliards d’habitants en 2050.

Russie-Ukraine : l’arme alimentaire au cœur de la géopolitique
Kiev

Les tensions entre les États-Unis, l’Otan, l’Europe et la Russie, soutenue par la Chine, sont à leur comble depuis que le président russe, Vladimir Poutine vient d’envoyer ses troupes dans le Donbass, à la frontière russo-ukrainienne. Chaque pays qui passe sous son influence au détriment des pays européens augmente sa zone d’influence économique et ses échanges commerciaux, notamment agricoles. Car l’arme alimentaire devient stratégique. Avec la perspective d’une population de 9 milliards d’habitants en 2050, et un changement climatique qui accentue les sécheresses, elle permettrait aussi de mettre la main sur de précieuses ressources minières, gazières, pétrolières ou autres. 

Pour régner sur le gigantesque grenier agricole de la Mer Noire, Poutine doit avoir la main sur les pays frontaliers de cette mer. Les ports, stratégiques, donnent un accès par bateau au Sud de l’Europe, au Maghreb, au Moyen-Orient et jusqu’en Inde ou en Afrique de l’Est, via l’Océan Indien. Sur le flanc ouest de la Russie, l’un des principaux pays de la Mer Noire est justement l’Ukraine, à laquelle s’ajoutent la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie. La Russie a déjà conquis à l’Ukraine la Crimée en 2014, avec ses ports géants de Sébastopol et Yalta. La zone du Donbass, ajouterait un bout de côte de la Mer d’Azov, qui donne sur la Mer Noire. À la frontière sud, se trouvent la Géorgie et la Turquie. Moscou a déjà imposé un dirigeant pro-russe en Géorgie, lequel a jeté l’ancien dirigeant pro-européen en prison, après une mise au pas de la population. En Turquie, qui adhère pourtant à l’Otan, le président Erdogan mange dans la main de la Russie.

Des volumes gigantesques...

En termes de volumes, la Russie produit 125 millions de tonnes (Mt) de céréales dont 80 Mt de blé, le reste en orge et en maïs. Les exportations s’élèvent à 50 Mt en 2020. De son côté, l’Ukraine produit 70 Mt (blé, maïs) et fait jeu égal avec la Russie pour les exportations à 50 Mt. La Roumanie améliore chaque année sa production de céréales et oléagineux qui atteint environ 30 Mt. La France vient d’y envoyer des soldats. Enfin, la Bulgarie produit environ 10 Mt de céréales. Les deux derniers pays font partie de l’Union européenne qui produit 280 Mt, dont 60 Mt pour la France, derrière les États-Unis à 446 Mt (blé, maïs, soja). Au prix actuel des céréales, ce sont aussi des milliards de dollars qui sont en jeu en zone Mer Noire. 

Le président russe connaît sans doute la valeur stratégique de ces pays qui exportent dans le monde entier, Maghreb, Afrique, Chine, sans compter les marchés domestiques. En prendre le contrôle ou le placer sous influence comme au temps de l’Union soviétique serait un atout aussi considérable que l’armada militaire dans les équilibres mondiaux et les conflits locaux. L’Europe et les Américains réunis au sein de l’Otan et bien sûr la Chine en ont sans doute tout aussi conscience. La guerre des nerfs est donc à son paroxysme. Le conflit qui pointe à l’heure où ces lignes sont écrites, pourrait bien rebattre les cartes géoagricoles et géoalimentaires de la région.