DROSOPHILA SUZUKII
Face à l’urgence, la solution parfaite n’est pas encore née

Les 5 et 6 février derniers, un séminaire organisé à l’Inrae de Montpellier sur la Drosophilla suzukii a permis de réunir les acteurs concernés par la lutte contre ce ravageur des vergers de cerisiers et de petits fruits rouges. 

Face à l’urgence, la solution parfaite n’est pas encore née
La Drosophilla suzukii introduit ses œufs dans des fruits qui ne sont pas encore mûrs, en perçant leur peau grâce à son organe ovipositeur. ©CTIFL Balandran

« Quinze ans après l’arrivée de cette mouche en France, nous ne pouvons pas vraiment dire que la situation soit sous contrôle. » Simon Fellous, directeur de recherche à l’Inrae et spécialiste de la Drosophila suzukii (lire encadré), sait pertinemment que sa prise de parole est écoutée avec une grande attention. En réalité, ce séminaire organisé à l’Inrae de Montpellier les 5 et 6 février derniers, était son idée. Une façon de réunir autour de la table, ou plutôt au sein d’un amphithéâtre, les acteurs concernés par la lutte contre ce ravageur des vergers de cerisiers et de petits fruits rouges. Producteurs, chercheurs, techniciens, représentant de la Direction générale de l'alimentation (DGA) et des diverses AOP… Une quarantaine de personnes a répondu à l’appel lancé par le chercheur. Il faut dire que l’enjeu est de taille. « La cerise est une des premières filières que nous risquons de perdre en arboriculture », n’hésite pas à lancer, en guise d’alerte, la présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), Françoise Roch.

Plus de dix années de recherche cumulées

Ces dernières années, l’interdiction de deux produits phytosanitaires (lire par ailleurs) a obligé les organismes de recherche et les arboriculteurs à trouver des alternatives pour maintenir à flot la production française. Mais le constat est sans appel : un seul levier ne suffit plus à gérer l’insecte. Chacun a pourtant une pierre à ramener à l’édifice. Les ateliers menés lors de ces deux jours de rencontres le prouvent. À la question : « Comment imaginez-vous les meilleurs modes de lutte ? » Les idées fusent. En tête de liste, la prophylaxie en ne laissant aucun fruit ou déchet au sol, les lâchers de parasitoïdes Ganaspis cf. brasiliensis et la technique de l’insecte stérile (TIS). Si cette dernière nécessite encore des années de recherche (lire par ailleurs), la seconde semble plus prometteuse, puisque des lâchers ont déjà été réalisés à titre expérimental sur fraisiers. Pour beaucoup, cette lutte bio paraît être la plus performante d’un point de vue économique. Elle serait également la plus acceptable par le public. « Une fois que le parasitoïde sera installé, le producteur n’aura plus besoin d’agir et il n’y aura pas d’impacts sur les autres insectes présents », argumente un groupe travaillant sur la question. Restent néanmoins plusieurs interrogations en suspens : le délai de mise en œuvre d’une telle pratique, les compétences nécessaires et le lieu d’élevage du parasitoïde. Dans d’autres groupes, le piégeage de masse via la technique « push and pull », qui consiste à attirer la mouche hors de la culture à l’aide des pièges attractifs, est souvent évoqué comme une alternative. Tout comme la technique « attract and kill », qui associe un appât à un insecticide.

Une liste à la Prévert, qui ne manque pas de faire réagir certains producteurs de l’assemblée. À l’image de Jean-Christophe Néron, président de l’AOP cerise de France et producteur dans le Vaucluse : « Les solutions ressorties sont celles que nous avions déjà sous le coude, il ne s’est pas dégagé quelque chose d’extraordinaire ». Pourtant, le temps presse. « La filière cerise est un « Petit Poucet » au niveau mondial, rappelle Alexandra Lacoste, directrice de l’AOP cerise et raisin de table. Après l’accord bilatéral conclu avec la Moldavie, nous devons avoir la capacité de produire, sinon d’autres pays le feront et la production française sera remplacée. Nous croyons dur comme fer en la recherche, mais il faut que nous puissions tenir. Or, chaque année, nous arrivons à la veille des récoltes avec des dérogations en moins et nous espérons juste que nous n’aurons pas trop de pluie et du vent… »

Face à ce désarroi, la recherche n’a que peu de réponses. Le matériel parfois défaillant, le budget limitant, les lourdeurs administratives, la rigueur scientifique, le temps de la recherche qui correspond rarement au temps de la production : les raisons de cette lenteur ressentie par les filières sont multiples. Pourtant, dans cet amphithéâtre rempli de cerveaux bouillonnants, quelques voix concordantes s’élèvent. « Ce ne sont pas aux chercheurs de prendre les producteurs par la main, mais c’est à nous, producteurs, de mettre des obligations de résultat aux chercheurs, tout en employant des personnes de notre réseau pour s’occuper des dossiers, assure Nicolas Laurent, producteur de cerises dans le Rhône. Si les filières sont proactives et prennent le dossier en main avec des moyens, nous pourrons donner un cap et aller un peu plus vite. » Celles et ceux qui espéraient trouver la recette miracle comprennent qu’ils rentreront finalement bredouille. D’autres prennent la mesure et saluent ce qui vient de se dérouler sous leurs yeux durant 48 heures : la réunion de la recherche agricole et des producteurs ; la confrontation entre le monde de la recherche et le monde réel.

Léa Rochon

Un ravageur arrivé d’Asie
La Drosophila suzukii, est une petite mouche d’environ 2 à 3 mm de long originaire d’Asie du Sud-Est et qui est arrivée en France en 2010. ©CTIFL Balandran
CONTEXTE

Un ravageur arrivé d’Asie

La Drosophila suzukii a été détectée pour la première fois en Europe en 2008, puis en France en 2010. Originaire d’Asie, cette mouche provoque de nombreux dégâts sur les fruits rouges, tels que la cerise, la fraise et la framboise. Une femelle est capable de pondre 400 œufs sur 10 ou 15 générations, dans un fruit qui n’a pas encore atteint sa maturité. Avec des pics d’activité compris entre 17 °C et 24 °C, ce ravageur est extrêmement redouté par les producteurs et les AOP tricolores.