Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire
La crise agricole, symbole du ras-le-bol français

Cédric Michelin
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Dans le contexte de crise agricole Française et Européenne, la session de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire se tenait à Jalogny le 14 mars dernier. Le thème se voulait donc d’actualité pour tenter de dégager des pistes d’actions pour aller « au-delà des attentes ». Si la profession cherche des solutions collectives, la chambre voulait remettre l’humain au centre en s’appuyant sur l’observatoire de la santé qu’elle pilote.

La crise agricole, symbole du ras-le-bol français

« Urgence, découragement, détresse… ». Ainsi commençait Bernard Lacour pour mettre des mots sur les émotions vécues dans les cours de ferme. « Les agriculteurs ne savent plus ce qu’est la mission de l’agriculture », déplore le président de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Si la crise agricole n’a fait que révéler le profond malaise et les doutes qui ont envahi la profession ces dernières années, le retournement des panneaux l’a fait toucher du doigt au public tandis que les manifestations de janvier ont enfin mobilisé les élus et services de l’État. Si les réunions s’enchainent depuis, les premiers retours ne sont pas à la hauteur. « Attention, que la déception ne soit pas supérieure aux attentes suscitées », ne cesse de répéter Bernard Lacour. C’est donc pour mieux se concentrer sur l’humain, que les élus chambre avaient décidé de s’intéresser aux tréfonds de la santé des agriculteurs.

91 % des agriculteurs ne sont pas épuisés

Ainsi, Olivier Torres et Laure Chanselme du laboratoire Amarok ont répondu aux questions. La première étant « qu’est ce qui a amené à cette forte mobilisation et surtout, qu’est-ce que cela génère chez eux ? », questionnait Gaël Pellenz, technicien à la chambre d’agriculture. Olivier Torres rappelait en vidéo les principaux résultats de la dernière enquête de l’observatoire de la santé des chefs d’exploitations mis en place en Saône-et-Loire en 2018. « 422 agriculteurs ont utilisé notre plateforme e-Amarok. 164 ont une balance positive, soit  40 % qui ont plus de satisfacteurs » que d’indicateurs de stress (stresseur). Voulant voir le verre à moitié plein, Olivier Torres positivait donc, car il sait que ce genre d’étude basée sur le volontariat, les personnes allant bien ne sont pas les plus à même de répondre spontanément. « Certes, il y a des crises et des situations dramatiques à dénoncer et à traiter, mais il y a aussi des choses positives et il faut le dire aussi », plaidait-il pour que la profession ne se morfonde pas au-delà de la réalité. Mais avec raison et justesse. Reste que 60 % des répondants à l’observatoire sont dans le « négatif », faisant même l’objet de 38 alertes. Au final, l’agriculture de Saône-et-Loire aurait un « taux d’épuisement professionnel de 9 % » selon cet observatoire, ce qui est « plus haut » que d’autres entrepreneurs (artisans, commerçants…). Ce qui « montre aussi une forme de résilience », pour une large majorité. « 91 % ne sont pas épuisés malgré le stress ». L’agriculture reste un métier « dur » avec des agriculteurs « durs au mal ». Pour autant, rien ne sert de tirer sur la corde… au contraire.

La sur-administration, mal français

Comment font donc ces derniers pour « tenir » ? Première source de satisfaction ou de refuge, la famille. Vient ensuite le travail avec « les bonnes récoltes ou la bonne santé de l’exploitation », preuve de l’implication et de la passion des agriculteurs. Enfin sont également cités « les retours clientèle » qui procurent également de la satisfaction.

A contrario, le premier facteur de stress est la « surcharge de travail ». Il faut dire que même comparé à d’autres entrepreneurs indépendants, les agriculteurs étaient déjà « de plus gros travailleurs ». Mais ceci n’est guère nouveau, alors qu’est-ce qui a changé ? Est cité ensuite le « stress lié aux animaux et aux récoltes », en raison d’incertitudes (sanitaires, climatiques…) spécifiques à l’agriculture. Vient juste après ces calamités agricoles, les « difficultés avec l’administration ». Le professeur à l’Université de Montpellier se permettait alors un petit commentaire sur cette « quatrième cause qui n’est pas un leurre. On voit cette même révolte chez tous les français », expliquant ainsi pourquoi les Français ont « bien accueilli » et soutiennent les manifestations agricoles depuis janvier. La crise agricole « a aussi permis de passer ce message » aux élus et leurs administrations. Un symbole.

Isolement, célibat et dépeuplement

Qu’est-ce qui risque donc de faire basculer d’un état mental « positif » à « négatif » ? « L’isolement » pointe Laure Chanselme, psychologue du travail. L’être humain est un être social qui « aime se retrouver, faire la fête, partager ses peines et ses réussites », démontrant ainsi l’effet cathartique des « manifestations » et tout l’intérêt au quotidien des groupes d’agriculteurs, comme les Cuma ou coopératives par exemple. L’isolement est en effet perfide, même en pleine réussite, certains agriculteurs « isolés » peuvent tomber dans des « formes d’épuisement », alerte Laure Chanselme.

Même si les agriculteurs ne sont pas plus « célibataires » que d’autres professions, la téléréalité à succès pose la question du « célibat », source supposée d’isolement. Président de la Safer BFC, Jean-Luc Desbrosses élargissait au « dépeuplement de nos campagnes », comme étant un isolement subit depuis 75 ans et qui s’accélère aujourd’hui avec les nombreux départs en retraite d’agriculteurs.

Le renouvellement des générations est donc aussi un facteur de stress. Il faut donc arrêter de « confondre revenu fiscal et disponible » pour ne pas trop « donner une image négative et attirer des jeunes d’autres milieux » pour que les campagnes continuent de vivre, plaidait-il.

Acharnement administratif ?

Des messages positifs qui valent pour les actifs. Le regard des pays étrangers est éclairant à ce propos : les Français sont en effet réputés pour se plaindre tout le temps et être les rois des grèves. Dans ce classement, les agriculteurs sont bien positionnés. Président de la FDSEA, Christian Bajard revenait sur ce mouvement « parti de la base qui rend humble » le syndicalisme. Son analyse est plus historique : « avant, chaque génération avaient ces difficultés, en a bavé, mais avait l’espoir d’améliorer sa condition. Là, le réchauffement climatique, la guerre… nous fragilisent » et les pouvoirs publics semblent plus écouter les idéologues radicaux qui qualifient les agriculteurs de pollueurs ou de tueurs. Ce qui ramène au sujet de la sur-administration et son corollaire, « d’être une profession très contrôlée, avec même des satellites, aucune autre profession n’accepterait cette pression », dénonçait Christian Bajard. D’autant plus injuste que les infractions agricoles sont très rares et que depuis le début de la crise, les contrôles obtenus chez les autres acteurs des filières alimentaires révèlent des taux d’infractions stupéfiants.

Les sous-entendus des contrôles

Laure Chanselme confirmait cet acharnement, elle qui ne voit dans aucune autre profession d’entrepreneur de tel niveau de « surveillance ». Surtout, tous ces contrôles « sous-entendent que vous faites des choses pas bien, mauvaises, ou potentiellement pires qui impactent notre santé » à tous. L’autre volet des contrôles n’est guère plus reluisant avec une administration, elle-même à la peine. Faute de moyens adéquats, les législateurs laissent à l’État la charge de s’organiser et se débrouiller avec des lois contradictoires. Résultat : « des courriers sans humanité, tout prêt, que personne ne comprend », pas même les derniers fonctionnaires encore au bout du fil.

Gare aussi aux fausses solutions, telles que les promesses miraculeuses, notamment technologiques. « Les technologies peuvent rendre service comme elles peuvent faire angoisser si elles ne sont pas adaptées aux petites entreprises. C’est le technostress », nomme Laure Chanselme.

Dans toutes les professions finalement, « ce mal-être donne une mauvaise image et ne donne pas envie à la nouvelle génération de rentrer dans le métier ». Et Laure Chanselme de conclure sur un dernier « vrais problèmes : les médias ». Avec deux réalités derrière, les médias traditionnels en crise aussi et en forte concurrence, notamment face aux nouveaux médias dominants, les réseaux sociaux qui favorisent le buzz et l’émotion. Les détracteurs de l’agriculteurs étant fort motivés pour faire de l’agribashing qui prend le pas sur toute « communication positive », faute de régulation des contenus diffamatoires.

Quels signes précurseurs d’un burnout ?

L’épuisement, notamment professionnel (burnout), n’est pas facile à déceler. Bien souvent, l’entrepreneur « en agriculture (et dans le BTP) a cette culture de ne pas montrer de faiblesse, par pudeur ou par peur qu’autour, on cherche à en profiter… donc l’agriculteur préfère ne pas en parler de peur d’être jugé », observe Laure Chanselme qui sait toute l’importance de psychologues dès lors. « Car cela renferme sur soi aussi », isolant de ses amis, familles, collègues et proches. « Une peur ou une honte de l’échec qui nous vient dès l’école », analyse-t-elle avant de tordre le cou à ces idées reçues : « vous êtes des autodidactes au contraire. L’agriculture, c’est votre vocation » et bien des professeurs ne seraient faire le métier d’agriculteurs. Respect et bienveillance donc. « Les agriculteurs sont des experts de la nature », affirme, avec raison, Luc Jeannin, vice-président de la chambre.

Mais si le « doute » s’installe chez un agriculteur ou une agricultrice, comme le déceler ? « Le monde agricole est très en avance sur ces sujets. La MSA, avec Agrisolidarité, fait beaucoup et depuis longtemps », félicite Laure Chanselme qui voit la différence avec le régime social général. Tout d’abord, de premiers signes physiques doivent alerter, notamment les troubles musculo-squelettiques. Ne dit-on pas, en avoir plein le dos ! Autres signes avant-coureurs, la « personne s’oublie. Elle fait passer l’entreprise, les animaux, le travail… d’abord ». Une « erreur » naturelle chez tous les entrepreneurs, car c’est leur « logique » du travail qui prime sur tout le reste. « Or, le premier capital d’une entreprise indépendante, c’est son dirigeant. S’il est absent, là est le risque de tout perdre. Il faut penser à soi » avant le travail, répète inlassablement Laure Chanselme.

Enfin, un collègue qui s’isole, ou qui entre en conflits avec les autres, est aussi un signe de mal-être. Représentant les Cumistes, David Cornier confirme veiller à ces « collègues qui parlent moins, s’isolent, payent en retard… », voyant là autant de changements de comportement. Sa Cuma, comme pour tant d’autres, est aussi un lieu de « partage », bien plus que de simples matériels. Idem côté coopératives, avec des « apéros. On a la convivialité ». Tout est question d’équilibre aussi, l’alcool pouvant cacher un mal-être. « Les coopératives apportent ce confort dans le travail par rapport à la vie de famille », se sent épauler Marc Sangoy, président de la cave de Lugny et vice-président de la chambre.

Pour autant, Laure Chanselme rassure. Si chacun doit être attentif à son prochain, pour autant, il ne sert à rien de regretter ou de culpabiliser de ne pas voir l'invisible. « La formation sur la santé mentale est bien spécifique ». Avec son réseau de Sentinelles, la MSA va faire des formations autour de la prévention du mal-être et des suicides. En effet, pas facile de « repérer et savoir quoi dire. Il faut savoir respecter ses propres limites ». Pour autant, « posez la question si vous avez des doutes. On ne donne pas des idées de suicide à quelqu’un en lui posant une question. Si vous ne savez pas quoi faire, c’est là qu’intervient Agriécoute ou CHU si les experts sentent un danger ». Très impliqué dans le réseau Agrisolidarité, Jean-Jacques Lahaye se réjouit de voir les actions mises en place de longue date en Saône-et-Loire être reconnues et surtout reprises à l’échelon national pour être renforcées partout. Après formation, « nos Sentinelles détectent et passeront pour dire ce qu’il existe » comme solutions pour résoudre le mal-être. Et cela commence déjà par avoir une vision exhaustive de la situation, c’est pourquoi il demandait aux agriculteurs de répondre à « l’autotest » d’Amarok. « Sur 5.000 mails, seuls 8 % des agriculteurs ont répondu ». Bien loin du nombre de manifestants qui pourtant se savaient en crise quelque part…

Ne jamais perdre de vue que…

« On a un métier magnifique et de quoi s’épanouir en Saône-et-Loire », redisait Joffrey Beaudot, ex-président des JA71 et président du pôle transmissions/installations à la chambre. « Malgré notre perception, le métier attire », confirmait-il, voyant plus de 250 appels par an passés au Point accueil installation. Si tous les projets ne se concrétisent pas, une centaine en moyenne si, avec de « nouvelles formes d’installation, sous forme plus collective, plus féminine (25 %) et avec 44 % hors-cadre familial ».

Et la présidente de Fontaines Sud Bourgogne, Anne Gonthier de confirmer la « passion collée aux cœurs » des élèves dans l’enseignement agricole. « Il faut dire les difficultés certes, mais comme dans d’autres métiers ».