Vins de Bourgogne
Qu’est-ce qu’un bon millésime bourguignon ? L'exemple de 2023 sous l'oeil d'une scientifique bordelaise

Cédric Michelin
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Le 5 mars à Beaune, lors de Vinosphère, le BIVB posait la question de ce qui caractérise un « bon millésime en Bourgogne ». Et pour être totalement impartial dans la réponse, c’est Laurence Geny-Denis, de l’Institut des sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) de l’Université de Bordeaux qui a tenté de donner la recette "physiologique" parfaite.

Qu’est-ce qu’un bon millésime bourguignon ? L'exemple de 2023 sous l'oeil d'une scientifique bordelaise

Évidemment, pas de recette magique, mais bien « une combinaison de plusieurs facteurs ». On retrouve tout d’abord, les conditions climatiques, les pratiques culturales, l’alimentation hydrique et minérale, le cépage et « son génotype » ou encore l’équilibre physiologique au cours de la campagne végétative. Le tout devant déboucher sur un équilibre donné entre « quantité et qualité » des jus à vinifier.

Le BIVB avait encore un peu plus corsé la tâche en lui demandant de prendre pour exemple, le millésime 2023 et en se focalisant sur les « réponses de la vigne face aux stress abiotiques », notamment du côté expressions physiologiques. Laurence Geny-Denis a donc basé ses analyses sur les données complètes envoyées par le pôle Technique et Qualité du BIVB. « En réalité, la construction d’un millésime se fait sur plus de 18 mois » jusqu’à la vendange.

Le débourrement marque seulement le début des « cinq étapes indispensables ». En réalité, les étapes de formation du fruit se sont « construites depuis l’année précédente ». Vient ensuite, la croissance du fruit entre la phase de nouaison et de véraison. Enfin, dernière étape, la phase de maturation « que l’on garde bien souvent en souvenir » du côté des vignerons et professionnels du vin.

Laurence Geny-Denis « aime parler » alors de la grappe « idéale », si tous les « objectifs » ont été remplis parfaitement. La grappe se présente alors de façon « homogène » avec des baies de taille « suffisante pour avoir la quantité souhaitée ». Des baies qui sont de plus « riches » en composés d’intérêt œnologique. Ces derniers doivent en plus être « facilement extractibles » pour faciliter la vinification.

Taille et froid pour un débourrement « homogène »

Après avoir posé ses bases « rêvées », elle entrait dans le détail de chaque étape. Le débourrement d’abord, s’il doit être homogène, ne doit pas être « trop précoce » ici en Bourgogne en raison des risques de gelées, type 2021. En 2023, les dates de débourrement en Bourgogne étaient « proches » de la moyenne. Qu’est-ce qui a permis cela ? Dans son langage scientifique, les facteurs de réussite reposent sur la « qualité de l’induction et de l’initiation inflorescentielle en n-1 ». En clair, les vignerons avaient fait les bons choix après la vendange 2022. Évidemment, comme actuellement, après un hiver 2023/2024 doux, ce qui inquiète le plus les vignerons reste les conditions climatiques hivernales jouant sur la levée de dormance, après une période relativement froide (sommes des températures hivernales et atteinte du zéro de végétation en année n). Contribue aussi la mise en réserve qui est liée aux conditions de fin d’été de l’année précédente. Et évidemment, l’action « prépondérante » des viticulteurs comme la taille qui va permettre de « moduler l’homogénéité du débourrement », avec le nombre de bourgeons laissé, et la date de débourrement en fonction de la taille choisie.

La floraison qui ne se voit pas

Après cette phase de débourrement réussi, la deuxième étape qui va « conditionner le nombre de baies finales » combine floraison et nouaison. Le mieux semble être une floraison « relativement précoce, rapide, sous un climat un peu arrosé » pour limiter la coulure et favoriser l’homogénéité de la grappe encore. En 2023, en Bourgogne, les dates de floraison sont « assez proches » de la moyenne, « même si on a eu une légère avance pour le chardonnay et pinot noir », à l’inverse du gamay enregistrant « un léger retard ». La coulure est un « process » qui commence pourtant bien avant la floraison et la chute des boutons floraux ou des baies. Le vrai début a lieu avec la formation des « différentes pièces florales » que sont les organes mâles et femelles. En 2023, cette durée entre le débourrement et la floraison a été « proche de la moyenne » de 60 jours (contre 30 jours en 2022). « Il faut que ce temps soit relativement long pour que ces organes se construisent correctement », rappelait la spécialiste en physiologie végétale.

Trois types de coulures en 2023

Les conditions climatiques à la fleur en 2023 étaient « belles » car il ne pleuvait pas et il faisait suffisamment « chaud ». Pour autant, à l’éclosion de la fleur, il y a eu de la coulure dans les chardonnays en 2023. Pourquoi alors que les conditions semblaient « optimales » ? Il faut savoir qu’il existe différents « types de coulures ». Celle climatique impactée par la température, la contrainte hydrique et la lumière. En chardonnay, l’alternance de chaud/froid (20 °C à 10 °C) à la phase de bouton floral, fait « chuter » la floraison. « Et les températures autour de 10 °C entraînent plus de la moitié d’ovules anormaux qui ne se voient pas », d’où un défaut de fécondation. Il y a aussi la contrainte hydrique qui va limiter l’assimilation en azote, la disponibilité en sucres et qui va entraîner un retard de « fonctionnement » de la partie femelle des fleurs.

Deuxième type de coulure, celle dite physiologique, entraînant notamment des « malformations » au niveau des ovules. Enfin, la coulure par détournement trophique est une troisième sorte caractérisée à la floraison par une « forte compétition » entre la croissance végétative et la formation des pièces florales. En cas de manque de glucide/hormone/azote, la liane qu’est la vigne « préfère » envoyer ces « assimilas » vers les organes végétatifs, notamment chez les cépages sensibles à la coulure. « En 2023, ces différents types de coulure ont été mixés » à la fin avril, début mai, notamment sur chardonnay, mais moindre, sur pinot noir qui est un cépage moins sensible à ces phénomènes.

Ralentir avec la contrainte hydrique

Pour la troisième condition nécessaire à un bon millésime, il faut ensuite avoir un « ralentissement de la croissance en lien avec une contrainte hydrique qui va s’installer progressivement », notamment en blanc. Une mi-véraison observée entre le 9 et le 10 août, très proche des normales, mais qui s’est étalée.

Pour les cépages rouges, la contrainte hydrique « idéale » est celle arrêtant la croissance avant la véraison pour permettre la synthèse des composés phénoliques notamment. En juillet 2023, ces conditions « n’étaient qu’à moitié remplies » en raison d’orages estivaux selon les zones. Parfois, ils ont été « salvateurs » pour les parcelles de rouges en manque d’eau où la véraison était « bloquée ». Parfois, à l’inverse, ces orages ont « limité la contrainte hydrique et retardé » la véraison.

En blancs, les scientifiques estiment que l’arrêt de croissance doit se faire à « la fin de la véraison », pour maintenir l’acidité et favoriser le début de la production des composés aromatiques. En juillet 2023, les orages ont donc été encore « plus favorables » aux cépages blancs qu’aux rouges.

Accumuler, mais pas concentrer

La quatrième grande condition pour un bon millésime est d’avoir un fonctionnement optimal du feuillage jusqu’aux vendanges « sans avoir de reprise de la croissance ». Le tout dans une ambiance relativement sèche et sans chaleurs excessives pour assurer la maturation complète de tous les tissus, faciliter la synthèse de la couleur sans dégrader les arômes. En 2023, trois phases « d’accumulation » ont été observées : fin août avec des températures élevées amenant « une charge active en sucre » ; puis avec une baisse des températures voyant un « ralentissement des charges en sucre qui a aussi permis de maintenir les acidités » ; et enfin, une troisième période début septembre avec de « fortes chaleurs et absence de pluies » faisant, selon les terroirs, une contrainte surtout en pinot noir qui a du mal à « réguler sa transpiration » (cépage anisohydrique) basculant d’un phénomène d’accumulation de sucre à un phénomène de concentration en sucre (+4 g/l/j), « ayant un impact aromatique » négatif sur les rouges.

Pour les blancs, il vaut mieux avoir un feuillage « fonctionnant » jusqu’aux vendanges, mais sans « croissance », avec une météo « sans excès de chaleur » pour maintenir l’acidité. Là encore, début septembre 2023, même si les cépages blancs ont accumulé un peu moins de sucre que les blancs (+2,6 g/l/j), « au regard de la lourde charge, finalement le chardonnay a une capacité à mieux fermer ses stomates et réguler sa transpiration » limitant le phénomène de concentration.

L’attente suscitée d’un millésime aussi

La cinquième et dernière condition est de réaliser les vendanges sous un « beau temps, moyennement chaud et faiblement arrosé », comme c’était le cas en 2023. « Peut-être un peu trop chaud », tout de même puisque les vignerons ont dû adapter leurs périodes de vendanges.

Au Palais des Congrès de Beaune, les 200 participants à Vinosphère (et 60 en visio) étaient quelque peu frustrés de ne pas avoir la recette miracle du millésime parfait. « Et en plus, évidemment, le millésime ne s’arrête pas aux raisins, mais compte aussi sur les qualités du vinificateur », concluait Laurence Geny-Denis, ponctuant sa présentation par une autre réflexion bien plus large : « La côte d’un millésime tient au goût qu’il a et à l’attente qu’il suscite », citant Émile Peynaud. Tout le faire-savoir du BIVB et des vignerons de Bourgogne et l’art des belles histoires (storytelling).