Traçabilité
Bovins : boucles électroniques cherchent modèle économique

Le gouvernement a annoncé discrètement qu’il financera une partie de la dématérialisation de l’identification des bovins. Une promesse dont le périmètre doit encore être clarifié. Cette volonté politique affichée suffira-t-elle à débloquer un dossier à l’arrêt depuis une dizaine d’années ? Les discussions vont bon train dans la filière bovine sur ce chantier qui mêle généralisation des boucles électroniques, dématérialisation du passeport bovin et refonte de la BDNI, la base de données nationale. Après un premier échec en 2016, la filière cherche une nouvelle fois à faire aboutir ce dossier, dans un contexte de financements post-Covid (France Relance), puis poussée par les récentes manifestations. Et, comme en 2016, la question du financement – notamment public – conditionnera la réussite ou non du projet.

Bovins : boucles électroniques cherchent modèle économique
Ce chantier qui mêle généralisation des boucles électroniques, dématérialisation du passeport bovin et refonte de la BDNI, la base de données nationale

Les fameuses boucles orangées qui pendent aux oreilles des vaches passeront-elles à l’électronique ? Ces dernières semaines, le gouvernement a envoyé des signes dans ce sens, laissant entrevoir des perspectives de financement public. Pour les professionnels, le signal le plus encourageant est venu du Premier ministre : le 21 février, Gabriel Attal a indiqué vouloir « aller vers une automatisation de l’identification animale ». Une annonce qu’il envisage comme une « simplification » des procédures administratives pour les éleveurs, en réponse aux récentes manifestations. Quelques jours plus tard, le plan de souveraineté pour l’élevage, présenté au Salon de l’agriculture le 25 février, est venu préciser les choses. « L’État financera intégralement la conception du futur système de traçabilité pour toutes les filières [animales] ainsi que la dématérialisation des documents d’identification en filière bovine », y lit-on en dernière page. Selon la manière dont il est décliné, cet engagement pourrait débloquer un dossier à l’arrêt depuis une dizaine d’années – un véritable « serpent de mer », selon Jean-Baptiste Moreau, ancien député LREM et éleveur bovin.

Trois dossiers entremêlés

Dans le détail, ce dossier regroupe au moins trois sujets distincts, mais entremêlés : la généralisation des boucles électroniques, apposées par les éleveurs à la naissance des animaux ; la dématérialisation des passeports et des cartes vertes (1), qui suivent l’animal tout au long de sa vie ; et la refonte de la base de données nationale d’identification des animaux (BDNI). Le gouvernement ne s’est engagé à financer que les deux derniers étages de la fusée, sans préciser d’enveloppe ni de modalités pratiques. Et sans s’avancer pour l’instant sur d’éventuelles aides pour les boucles électroniques, le volet le plus onéreux et qui resterait à la charge des éleveurs.

« Ce qu’on attend, c’est de la simplification administrative et une réduction des coûts », résume Michel Joly, éleveur en Saône-et-Loire et en charge du dossier à la FNB (éleveurs de bovins viande, FNSEA). Sans oublier un meilleur suivi sanitaire des animaux, alors que les maladies émergentes se multiplient. L’association spécialisée de la FNSEA met l’accent sur la dématérialisation du passeport, tout en étant favorable aux boucles électroniques.

Dans sa dernière expression publique sur le sujet, juste avant le dernier Sommet de l’élevage, Interbev englobait bien ces trois volets dans la « transition numérique de la filière bovine ». « Les investissements à engager sont conséquents et les filières seules ne pourront les endosser », ajoutait l’interprofession bétail et viandes le 2 octobre, appelant l’État à « être au rendez-vous de la transition ». Pourquoi aborder tous ces sujets en même temps ? L’impulsion viendrait plutôt du milieu de la filière – négociants et abatteurs. La dématérialisation du passeport bovin contraindra ces acteurs à adapter leurs systèmes d’information. Quitte à investir, « le mieux pour eux serait de basculer dans un schéma où les animaux sont lus automatiquement à leur arrivée et où ils récupéreraient informatiquement toutes les données », explique Gilles Blériot, spécialiste en systèmes d’information à l’Institut de l’élevage (Idele). Un fonctionnement qui nécessiterait donc des boucles électroniques.

Avantages indéniables pour les abattoirs

Pour les abattoirs ou les centres d’allotement par exemple, le gain de temps et de fiabilité apparaît évident par rapport à la situation actuelle : une lecture visuelle des boucles par les opérateurs, suivie d’une étape de scan du passeport correspondant, puis d’une saisie manuelle des données manquantes. Les passeports sont dotés de code-barres, mais « ceux-ci ne permettent de récupérer que les données d’identité », précise Gilles Blériot. Il manque par exemple l’élevage de naissance, les informations sanitaires, ou encore les éventuels cahiers des charges (Label rouge ou autres). Par ailleurs, la lecture des boucles électroniques peut être automatisée, par exemple en installant un capteur dans un couloir de contention. Avec à la clé une réduction du risque d’accidents pour les opérateurs.

Si les avantages sont indéniables pour les négociants et les abatteurs, ils le sont moins pour certains éleveurs, notamment allaitants. En France, depuis 2011, tout éleveur peut équiper ses animaux de boucles électroniques, sur une base volontaire. Côté pratique, « la technologie est mature et fonctionnelle », affirme Sébastien Duroy, spécialiste en identification électronique à l’Idele, intervenant lors d’une conférence organisée par le fabricant de boucles Allflex (groupe MSD), le 27 février au Salon de l’agriculture. Pourtant, seuls 10.000 éleveurs bovins (sur 150.000) utilisent des boucles électroniques officielles. Parmi eux, 90 % sont des producteurs de lait. Car les éleveurs laitiers peuvent valoriser les boucles électroniques grâce à tous les équipements nécessitant d’identifier l’animal : robots de traite, distributeurs de concentrés, portes de tri, etc. Selon l’Idele, presque un élevage laitier sur cinq (18 %) pratique l’identification électronique (plus d’un tiers pour les grands troupeaux de plus de 120 têtes). Autre atout pour les éleveurs : une réduction du risque d’erreur dans la saisie des données d’identification des animaux, synonyme de pertes non négligeables d’aides Pac.

Peu de valorisations possibles en allaitants

En bovins allaitants, au contraire, cette pratique n’a séduit que 2 % des élevages (soit 800 exploitations). Dans cette production, l’utilisation des boucles électroniques se limite aujourd’hui à la pesée des animaux. La situation pourrait évoluer avec le passage à l’ultra-haute fréquence (UHF), qui permettrait la lecture simultanée de plusieurs boucles, jusqu’à 5 m de distance (donc avec moins de contention), et avec un positionnement dans l’espace, ouvrant de possibles applications en élevage de précision. Les éleveurs pourraient ainsi gérer des lots à distance – ce qui serait plus adapté à une conduite extensive – ou encore suivre l’activité des veaux lorsqu’ils passent au nourrisseur au pâturage. Mais cette technologie vient juste d’être normée et n’est pas encore prête à être déployée.

Pour l’heure, l’intérêt des boucles électroniques est donc jugé insuffisant par nombre d’éleveurs allaitants, hormis ceux qui pèsent souvent leurs animaux (engraissement de taurillons par exemple). Difficile dans ces conditions de leur faire accepter un surcoût – même limité – pour un équipement qui sera surtout valorisé par l’aval de la filière. Surtout que, comme le rappelle, Gilles Blériot, de l’Idele, « le coût de l’identification est aujourd’hui porté en intégralité par les éleveurs ». Par rapport aux boucles conventionnelles, la version électronique coûte entre 0,70 € et 1 € de plus par paire, selon les régions. Un investissement qui n’intervient qu’une fois dans la vie de l’animal, et à rapporter à un effectif moyen de 60 vaches en élevage allaitant. Bref, « ce n’est pas la mort du cheval », résume Michel Joly, de la FNB.

20 M€ à partager entre numérique et sanitaire

Si ce surcoût reste limité à l’échelle d’une ferme, il devient conséquent à l’échelle de la ferme France. En ajoutant la généralisation des boucles électroniques à la dématérialisation du passeport, « on multiplie considérablement le budget », estime Gilles Blériot, pour atteindre un budget global évalué par la filière autour de 70 M€. Une enveloppe qui dépasserait largement les premières sommes annoncées par le ministère de l’Agriculture au Sommet de l’élevage, en octobre 2023. Dans la première version du plan de souveraineté pour l’élevage, la Rue de Varenne prévoyait 20 M€ pour « améliorer la résilience des filières d’élevage face aux risques sanitaires ». Une somme qui comprenait « des actions relatives à l’identification animale et la dématérialisation des procédures », mais aussi des « actions structurantes contre des maladies animales » (prévention de la peste porcine africaine, de la tuberculose bovine et lutte contre les campagnols).

Ce n’est pas la première fois que le sujet des boucles électroniques parvient aux oreilles des éleveurs. La France a rendu possible en 2011 l’identification électronique volontaire en bovins. « Cela a été perçu comme une première étape, qui appellerait à court ou moyen terme une généralisation », retrace Sébastien Duroy. Trois ans après la France, l’UE a rendu possible l’identification électronique volontaire dans tous les États membres. De leur côté, les éleveurs ovins ont basculé en boucles électroniques dès 2010 (lire la semaine prochaine).

La filière bovine avait lancé un premier projet de dématérialisation du passeport, qui a échoué en 2016 en raison de blocages politiques et du manque de financement. « Il n’y a pas eu de consensus entre les professionnels pour trouver un modèle économique, ni suffisamment d’accompagnement financier public pour y répondre », explique M. Blériot. Aujourd’hui, entre des technologies plus avancées et des pouvoirs publics plus sensibles à la cause agricole, « on recommence à zéro », veut croire Michel Joly.

La refonte de la BDNI relancée

Quant à la réforme de la BDNI – le dernier étage de la fusée « dématérialisation » –, elle a également subi un faux départ. En 2020, le ministère a lancé un projet de refonte de cette base de données qui regroupe les informations de tous les animaux d’élevage en France. Créée en 1998, la BDNI présente « un niveau d’obsolescence technique qui empêche toute évolution importante comme la dématérialisation des passeports bovins », selon un rapport du CGAAER (ministère) publié en 2020. Les pouvoirs publics veulent donc la réformer et en déléguer la gestion aux professionnels, sur le modèle des filières porcine (BD Porc), ovine (Ovinfos) ou encore avicole (BD avicole). Il s’agirait de créer une « base bovine dédiée » qui alimenterait la nouvelle version de la BDNI, devenue un « entrepôt de données » fournissant des informations aux différents acteurs.

Dès 2004, les organisations bovines (Interbev, Cniel, CNE et Chambres d’agriculture France) ont créé l’association Spie, pour « Système professionnel information élevage ». Spie a obtenu en 2012 la délégation du ministère pour devenir la future plateforme de dématérialisation du passeport. Cette structure a répondu à l’appel d’offres lancé par le ministère, mais la procédure s’est révélée infructueuse. Selon nos informations, la Rue de Varenne aurait récemment relancé ce projet baptisé Sinema. Une décision qui n’est pas synonyme d’un aboutissement rapide : dans son évaluation de 2020, le CGAAER jugeait « réaliste » que le chantier dure trois ans.