Commerce alimentaire
MDD et discounteurs donnés gagnants de l’après Covid-19

Cédric MICHELIN
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En temps de crise, les marques de distributeur et les discounteurs ont les faveurs des consommateurs. Celle engendrée par le Covid-19 ne devrait pas faire exception, assurent Iri et Nielsen.

MDD et discounteurs donnés gagnants de l’après Covid-19
Pénurie de pâtes dans un supermarché du Chalonnais

Le parallèle entre la crise induite par l’épidémie de Covid-19 et celle de 2008 est tout vu pour les cabinets d’études spécialistes de la consommation. À l’époque, avec la crise économique et la forte inflation, les Français « se tournent massivement vers les marques de distributeurs, fréquentent plus le hard discount », se remémore le cabinet Iri dans une analyse dédiée à la paupérisation de la consommation publié le 13 mai. L’épidémie de Covid-19 devrait dès lors entraîner les mêmes effets sur la demande. Les ménages français rempliront leurs chariots de marques de distributeurs (MDD) et se tourneront vers les supermarchés à dominante marques propres (SDMP ou EDMP pour enseignes) tel que Lidl ou Aldi.

« Les inquiétudes sur le pouvoir d’achat et l’attention au prix étaient installées avant l’arrivée de la pandémie. En effet, le ralentissement de la valorisation, le rebond des MDD et le boom des EDMP allemandes étaient déjà notables depuis plusieurs mois », admet Iri. Malgré tout, « la crise actuelle amplifie ces tendances et devrait ancrer encore davantage en grande surface alimentaire ces révélateurs de la paupérisation à court et moyen terme » assure le cabinet d’étude.

Les MDD ont le vent en poupe

« Énorme phénomène », « énorme coup d’accélérateur », les superlatifs ne manquent pas à Anne Haine, directrice générale de Nielsen France lors d’un webinaire pour qualifier les ventes de produits commercialisés sous MDD depuis le début du confinement. Ils affichent 16 % de croissance contre 6 % « seulement » pour les marques nationales. Une trajectoire générée par une baisse du pouvoir d’achat pour une partie des foyers français qui « pourrait très naturellement se poursuivre à l’issue du confinement ». « L’attractivité et la pertinence vont s’accroître pour les MDD », assure-t-elle.

Retour vers les discounteurs

« Quand il y a de l’inflation, il y a un gros retour des discounters », analyse Daniel Ducrocq, directeur du service distribution de Nielsen. La situation économique d’un certain nombre de ménages va se dégrader du fait de la crise du Covid-19 et entraînera un « regain des SDMP qui sont actuellement très affectés », renchérit-il. Ces magasins n’ont pas connu pendant le confinement la croissance des ventes des supermarchés et des magasins de proximité car ils ne permettent pas de constituer des stocks. Mais leurs attractivités remontent « au fur et à mesure de la montée des craintes sur le pouvoir d’achat », analyse également Iri.

Fracture sociale en sablier

« La recherche du prix bas […] n’empêchera pas en parallèle un besoin de réassurance et une attention accrue à la composition et à la provenance des produits (là encore une tendance qui n’est pas nouvelle), au moins pour les consommateurs qui pourront se le payer », analyse Nielsen. Les produits premium, locaux, bio ou de PME devraient bénéficier des achats des ménages les plus aisés car leur « pouvoir d’achat [sera] moins touché que le reste de la population ». « Au final, ce sont les produits milieu de gamme qui risquent d’en subir les conséquences, pris entre deux feux », avertit le cabinet.

Et non sans satisfaire les producteurs, les Français, aisés et moins aisés, veulent continuer de privilégier les produits hexagonaux. « Oui, il y a deux France, admet Emmanuel Fournet, directeur analytique chez Nielsen. Mais deux tiers des Français disent maintenant “je préfère rechercher des produits d’origine française ou des produits d’origine locale” ».

Les ventes de l’agroalimentaire plongent, petites entreprises en tête

Les ventes de l’agroalimentaire plongent, petites entreprises en tête

Malgré une hausse des achats alimentaires des ménages en grandes surfaces, les industries agroalimentaires payent un lourd tribut à la suite du confinement et de la fermeture de la restauration hors domicile. Selon le dernier baromètre publié par l’Ania (industries agroalimentaires), elles sont plus de 70 % à accuser une baisse de leur chiffre d’affaires, dont 22 % de plus de moitié. Au total, depuis mars, le chiffre d’affaires global des industries agroalimentaires en France a reculé de 22 %. « Les entreprises intègrent le fait que le retour à la situation d’avant n’est pas pour demain et qu’elles sont à la croisée des chemins avec, pour beaucoup, des fonds propres fortement entamés, un consommateur évoluant dans ses choix et ses circuits d’approvisionnement. Certaines affirment jouer actuellement leur survie », indique l’Ania.

Les baisses de ventes les plus prononcées s’observent du côté des petites entreprises. Depuis mars, 82 % des TPE déclarent une baisse de chiffre d’affaires, 69 % des PME contre 52 % d’ETI et 40 % de grandes entreprises. « Les TPE-PME (98 % des IAA) semblent donc les plus touchées par la crise du Covid-19 », déplore l’Ania. Géographiquement, des disparités apparaissent également. La baisse de chiffre d’affaires est plus importante pour les régions Centre Val de Loire (-37 %), Bourgogne Franche-Comté (-34 %) et Normandie (-33 %). L’activité apparaît relativement plus résiliente en Occitanie (-2 %), en PACA (-7 %) ou encore en Auvergne-Rhône Alpes (-16 %).

Mais aucun secteur agroalimentaire ne semble épargné par la crise. L’impact sur le chiffre d’affaires est relativement plus fort pour les boissons (-37 % depuis mars) et l’épicerie sucrée (-36 %). Les entreprises de la boulangerie-pâtisserie accusent un recul de leurs ventes de 24 %, celles des plats préparés de 21 %. La baisse du chiffre d’affaires est de 17,4 % pour le secteur de la transformation des fruits et légumes, de 17 % pour les produits carnés, -10 % pour les produits laitiers.

Accélération des innovations en e-commerce

Avec plusieurs semaines d'avance sur nous puisque la crise sanitaire est partie de là-bas, en Chine, « l’engouement pour l’e-commerce était déjà visible auparavant, mais cette crise semble avoir été un accélérateur pour son adoption », assure le cabinet Nielsen, dans une note du 11 mai. L’e-commerce dépasse désormais 30 % de parts de marché, explique Daniel Ducrocq, directeur du service distribution. Cette tendance permet une adoption rapide des innovations du secteur. Ainsi, 67 % des consommateurs chinois ont essayé le shopping en réalité virtuelle et 68 % ont aussi essayé la livraison par drone, assure le cabinet d’étude. Ailleurs aussi, l’essor d’e-commerce a été visible. En Corée du Sud, un tiers des ventes perdues en hypermarchés ont ainsi été reportées sur le online. En Espagne, la croissance atteint 27 % depuis le début d’année. En Italie, des pics atteignent même 160 % sur la dernière semaine de mars. En France aussi, le drive a su convertir une nouvelle cible d’acheteurs. « Un quart des foyers, sur un mois, ont effectué un achat de produits de grande consommation en e-commerce et ce malgré les difficultés pour trouver des créneaux à la fois pour récupérer ces courses en drive mais aussi pour se faire livrer », observe Daniel Ducrocq. Sa part de marché devrait s’établir durablement au-delà de 8 %. Et pour ce spécialiste, ce qui est assez nouveau c’est que l’on se fait livrer des fruits et légumes sans même les voir !

Toujours en Chine, des fermiers vendent leurs produits en direct (live streaming) sur les réseaux sociaux pour répondre aux questions des clients, bien les conseiller et leur permettre de mieux choisir.

Doublement des livraisons à domicile

Doublement des livraisons à domicile

À l’occasion de la sixième semaine de confinement (20 avril), le cabinet Nielsen a observé une confirmation des tendances de consommation à l’œuvre jusqu’ici. Dans son ensemble, les ventes de la grande distribution ont progressé de 6 % en chiffre d’affaires, profitant de la fermeture d’une grande partie de la restauration hors domicile. Et cet essor se ressent en particulier au travers des livraisons à domicile, qui ont doublé en valeur, par rapport à la même période l’an passé, mais aussi des magasins de proximité (+20 %), qui profite des restrictions de déplacements. À l’inverse, les hypermarchés ont continué de perdre du terrain, jusqu’à 10 % pour les établissements de plus de 7.500 mètres carrés. Dans le panier des consommateurs, certains produits alimentaires profitent des changements de consommations : surgelés salés, produits frais et épicerie salée. Les glaces se distinguent également, « bénéficiant d’une météo très favorable ». Enfin, l’essor des ingrédients pour la cuisine et la pâtisserie se confirme, selon Nielsen.