Filière de lait bio
Les conversions moins attractives

La hausse de la production de lait bio consécutive à la troisième vague de conversion de 2015-2016 a quelque peu déstabilisé le marché. La consommation peine à suivre. La saisonnalité de l’offre pénalise la valorisation du lait.

 

Les conversions moins attractives

« Depuis trois ans, le prix du litre de lait bio stagne et des mesures sont prises chaque printemps pour limiter la production de lait », a déclaré Benoit Baron de l’Institut de l’élevage, lors des sixièmes entretiens de l’Observatoire de la formation des prix et des marges qui ont dressé un panorama des filières laitières biologiques en France.

Plus la filière lait bio s’étend, plus son fonctionnement ressemble à n’importe quelle filière agricole avec ses problèmes d’équilibre d’offre et de demande, de débouchés et de prix.

Cette année, 1,2 milliard de litres de lait bio, soit 5 % de la collecte de lait en France, vont être produits en France, soit 100 millions de litres de plus qu’en 2020. Cette progression à un chiffre, la plus faible observée depuis quatre ans, est un soulagement pour l’ensemble des acteurs de la filière car la consommation de lait bio peine à suivre. Les industriels stoppent les conversions des fermes à l’agriculture biologique. Jusqu’à 22 % des quantités de lait livrées sont déclassées. À certaines périodes de l’année, l’écart de prix avec le lait conventionnel n’est plus que de 80-90 €/1 000 litres. Dans le passé, la « pénurie » structurelle de lait garantissait un prix élevé toute l’année avec un écart de prix qui oscillait entre 140 € et 200 €/1 000 litres par rapport au prix du lait conventionnel.

Déséquilibre

La filière lait bio se structure à contre-courant : le nombre d’éleveurs de lait et de vaches « bio » croit chaque année alors que les effectifs baissent en conventionnel. La conversion d’éleveurs à l’agriculture biologique n’a pas seulement été motivée par le prix du lait. Les éleveurs en bio ont aussi voulu redonner du sens à leur métier, encouragés par des aides pour se convertir, et par les industriels de la transformation pour répondre à la demande croissante des consommateurs. Mais depuis l’arrivée massive de la troisième vague de producteurs de lait sur le marché (+ 1.123 entre 2015 et 2018), la filière souffre à la fois d’un déséquilibre interannuel et intra-annuel (production printanière excédentaire sans mesure de régulation). Le mix produit de la filière bio, très différent de celui de la filière conventionnelle, accentue ce déséquilibre : jusqu’à 25 % du lait livré est consommé en lait liquide (9 % en conventionnel). A contrario, moins de fromages bio sont proportionnellement produits (9 %) qu’en conventionnel (33 %). En 2020, la production de lait biologique est réalisée par 4.000 livreurs (8 % des producteurs de lait français). La production moyenne de lait par exploitation convertie au bio est de 300.000 litres par an, soit 200.000 litres de moins qu’en conventionnel. À ce jour, quatre opérateurs collectent 75 % du lait biologique.

Défi générationnel

La dimension moyenne des fermes bio (nombre de vaches, volume de lait) décroit depuis 2015 car les nouveaux éleveurs convertis sont des producteurs de lait dans le Massif Central et en Nouvelle Occitanie, à la tête d’exploitation de plus petite taille (24 % de livreurs ; +5 points entre 2015 et 2020) que dans le Grand-Ouest de la France où par ailleurs, le rythme des conversions décroît. Toutefois, le cheptel de bovins lait bio (243.000 en 2000) augmente en France tous les ans. La filière laitière biologique est confrontée comme le reste de l’agriculture à un défi générationnel. Des éleveurs cessent leur activité sans repreneurs. Par ailleurs, la filière bio va probablement être moins attractive. Depuis 2-3 ans, le niveau du prix du lait en conventionnel incite moins les éleveurs à se convertir. Enfin, le redéploiement des soutiens publics de la PAC après 2023 a surpris les éleveurs : les aides au maintien à l’agriculture biologique vont être supprimées et les aides éco-régimes seront les mêmes que celles d’éleveurs en Haute valeur environnementale de niveau 3 (HVE3). 

Une surproduction devenue structurelle

Dans son bulletin mensuel, l’Institut de l’élevage (Idele) rapporte les résultats du panel Kantar : « les ventes de bio ont reculé sur toutes les gammes lors du premier semestre : en volume de -10 % /2020 pour le lait liquide, -5 % sur les fromages, -4 % sur les yaourts, -5 % sur le beurre, -12 % sur la crème ». « Les volumes de laits conditionnés et yaourts bio vendus seraient même repassés en-dessous des volumes écoulés au premier semestre 2019 », ajoute l’Idele. L’Institut constate que la consommation de produits laitiers bio décroche alors que des centaines de producteurs laitiers en fin de conversion affluent sur le marché. Pas moins de 659.000 t de lait bio ont été collectées au cours du premier semestre 2021, soit +11 % de plus qu’en 2020. En rythme annuel, la production croît de 170.000 t (+14 %). La production de lait bio croît massivement en Bretagne et dans les Pays de la Loire notamment. Les livraisons dépassent déjà la production allemande (648.000 t). Dans aucun pays européen, la production de lait biologique ne se développe comme en France. Les nouvelles exploitations certifiées « agriculture biologique » au cours des mois à venir sont de grandes dimensions, dotées d’une capacité de collecte de 450.000 l par an. Les entreprises collectrices de lait font face à un sérieux dilemme. Elles avaient incité et accompagné, il y a 4-5 ans, de nombreux producteurs à se lancer dans la production de lait biologique pour répondre aux aspirations des consommateurs. Au moment où ces éleveurs arrivent au terme de leur conversion et livrent des quantités massives de lait bio, ces entreprises font face à une défection des consommateurs. Les industriels semblent aujourd’hui impuissants pour réguler la production de lait. Les mesures prises au printemps dernier pour la seconde année consécutive ont eu un faible impact.