Vente des Hospices de Beaune
Records pulvérisés mais...

Cédric Michelin
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La vente des vins des Hospices de Beaune, les plus anciennes enchères caritatives au monde, a une nouvelle fois franchi un record le 20 novembre, un fût emblématique réservé à la cause des enfants s’adjugeant 810.000 euros. Mais des nuances sont à lire entre les lignes des discours policés à Beaune…

Records pulvérisés mais...

Depuis l’an dernier, c’est la maison Sotheby’s qui a repris la vente des Hospices (précédemment Christie’s). Cette reprise coïncidait au lancement de son département des vins en Europe continental, basé en France, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 132 millions de dollars dès sa première année, « et les vins de Bourgogne représentaient 46 % » de ce total, se félicitait Marie-Anne Guinoux, directrice générale de Sotheby’s France, pour qui Beaune est donc devenu « un centre névralgique » des opérations et du développement de l’activité vente de vins (56 ventes en 2021). Tout un symbole donc et la vente des Hospices à Beaune en est rempli même si cela fait longtemps qu’elle ne fait pas la tendance pour les transactions vracs de l’année. Mais quand même un peu…

Le luxe… d’attendre

« La demande pour les vins de Bourgogne ne cesse d’augmenter », confirmait-elle. Avant la vente des Hospices de Beaune, une vingtaine de dégustations ont été organisées en amont « de par le monde pour les collectionneurs », afin de leur faire découvrir l’institution et les vins « d’excellence » du domaine. La régisseuse, Ludivine Griveau, présentait donc « ses 802 bébés » de l’année avec un millésime 2022 qui « nous a encore poussés dans nos retranchements » de vignerons, ne cachait-elle pas. La précocité du millésime a « basculé en mai » réellement : après un départ déjà en mars et des peurs de nouvelles gelées en avril, la sortie était « généreuse » mais décision a été prise de ne pas trop effeuiller car les journées de juin peuvent être longues et chaudes. « Juin a, pour moi, fait le millésime 2022 », estime au final Ludivine Griveau, « excédentaire en soleil, en lumière mais également en eau ». Si le stress hydrique est finalement apparu en août, les vendanges ont suivi après les premiers coups de sécateurs le 25 dans le Mâconnais, « dans les nouvelles parcelles de pouilly-fuissé », se réjouissait-elle. Les blancs en Côte de Beaune suivaient à partir du 29 et enfin, les pinots noirs à partir du 30 août. « Nous avons pris le temps et le soin » pour des vendanges historiquement longues. « Nous avons le luxe de pouvoir prendre le temps. […] Nos grands terroirs ressortent », malgré une année solaire. Le Domaine sera certifié bio en 2024, après 2021 et 2022 en conversion.

1,75 million d’hl

François Labet, le président du BIVB, confirmait des vendanges qui se sont « merveilleusement bien passées de Mâcon à Chablis », annonçant même une première estimation de récolte à 1,75 million d’hl « pour 230 millions de bouteilles ». Largement au-dessus des 992.805 hl du petit millésime 2021. Débuté par les crémants mi-août, les vendanges se seront terminées à Chablis comme dans les Côtes fin septembre, après six semaines.
Préoccupé « collectivement » par l’évolution du climat, météorologique et pas côté terroir, François Labet redisait la volonté de « réduire de 60 % nos émissions de carbone » en 2035 sur la base de 200 millions de cols. Le seuil incompressible restant devant être compensé pour arriver à la neutralité carbone. Le plan d’actions devra être acté lors de l’AG de l’été 2023. Mais avant, les inaugurations et lancement des Cités des vins devraient marquer 2023.

Rien n’est cranté

Laurent Delauney, président délégué du BIVB pour la famille négoce, avait donc « le moral » avec la récolte 2022 qui est supérieure de +23 % de volume par rapport à la moyenne des cinq derniers millésimes. « Et même +75 % par rapport à 2021, ça vous donne une idée des variations extrêmement importantes avec le changement climatique », mettait-il en garde. S’il espérait « deux récoltes de suite » comme celle-ci, le négociant sait que le millésime 2022 va principalement arriver sur les marchés des vins fin 2023 « pour rééquilibrer les marchés après l’accumulation de petites récoltes ».
Les transactions entre viticulture et négoce « remontent », continuant de suivre la tendance des ventes bouteilles à la propriété qui en fin de campagne à juillet 2022, affichait +10 %, démontrant que « la rareté fait la demande ». Gare toutefois, le négociant considère que si les volumes revenaient, un nouvel équilibre « parfait de l’offre et de la demande avec des milliers d’opérateurs » ferait que les prix « ne seraient pas crantés » et pourraient donc chuter en cas de volume conséquent ou baisse de la demande.

Diversifier l’export

Pour preuve précoce, concernant les marchés sur les neuf premiers mois 2022, « on assiste à un fléchissement, nos volumes sont en baisse », en raison de stocks au plus bas, mais aussi « certainement en raison d’un effet prix », estime aussi un peu le négociant. Cela se ressent notamment en grande distribution française où la Bourgogne « rejoint la tendance générale à une déconsommation du vin », avec la concurrence des bières et spiritueux, notamment chez les jeunes générations. La Bourgogne décroche « significativement » de -27 % en volume et de -16 % en valeur en GMS.
Ce n’est pas le cas sur les marchés traditionnels, en restauration notamment, les vins de Bourgogne continuent de se vendre « extrêmement bien », comme chez les cavistes où la Bourgogne est « sur-représentée » (19 % des références contre 4 % du vignoble français). Espérons que la locomotive des "grands crus" ne décroche pas les appellations moins connues de Bourgogne…
Si les volumes sont également à la baisse (-10,7 %) sur le « club des cinq » principaux marchés exports de la Bourgogne, le chiffre d’affaires continue d’augmenter (+12 %), ce qui montre une « déconnexion volume/CA, donc des prix qui continuent de progresser ». La dévalorisation de l’euro par rapport au dollar joue. Néanmoins, ayant rencontré le ministre de l’Agriculture la veille pour « l’alerter » sur le marché étasunien, le BIVB conseille de « diversifier » les pays exports (Danemark, Suède…).

Hommage à Louis-Fabrice Latour

Enfin, pour revenir à la vente aux enchères même, si Flavie Flament voulait dépasser le million d’€ pour la pièce de Charité des présidents (un Corton grand cru issu de la colline de Corton), le fût de 228 litres (288 bouteilles) a été vendu 810.000 euros (sans les frais), battant d’un cheveu le précédent record établi l’an dernier, à 800.000 euros. En réalité, les enchères ont atteint 700.000 euros, comme le voulait l’accord des deux maisons beaunoises, Louis Latour et Joseph Drouhin, dont les familles sont amies de longue date. Durant la vente, la somme a été complétée par la Fédération des négociants éleveurs de grande Bourgogne (Fneb) pour atteindre un montant de 810.000 € et rendre hommage à Louis-Fabrice Latour, décédé cette année.
L’émotion passée, les enchères ont repris avec ferveur, faisant se succéder les coups de marteau à une rapidité déconcertante. C’est que, cette année, le nombre de lots atteint des sommets. 802 pièces étaient à prendre, non loin du record de 843 lots remontant à 2018. L’abondance de la récolte 2022 a déchaîné les prévisions de nouveaux records : après ce nouveau plus-haut franchi pour la pièce des présidents, nombreux attendaient donc que le record absolu de la recette totale soit lui aussi franchi. Le précédent ne date que de 2018, avec 13,97 M d’euros (sans les frais). Le total cumulé de la vente l’a pulvérisé avec ses 32 millions €.

Flavie Flamant et Benoit Magimel copyright Sotheby's Micha Patault