Rivières Saône et Doubs
Qui sont les vrais pollueurs ?

Cédric MICHELIN
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La qualité des eaux de la Saône est qualifiée de « moyenne » par l’Agence de l’eau RMC. Son amélioration peine à se poursuivre. Au petit jeu du pollueur-payeur, qui sont les pollueurs ? Les agglomérations et entreprises sont les principales sources de pollution. Pourtant, c’est encore l’agriculture qui doit trop souvent se justifier, elle qui est la cible des critiques publiques et interdictions réglementaires. Il faut dire qu’elle cohabite seule sur les zones de captage.

Qui sont les vrais pollueurs ?
Industries, artisanats, commerces, services, consommateurs... sont moins directement sous les feux des critiques médiatiques que l'agriculture.

C’est caricatural mais il aura fallu attendre la fin de la table-ronde de "ça Saône" le 3 février dernier sur la qualité de l’eau, pour avoir la confirmation formelle qu’en matière de qualité des eaux ou de pollution, « le constat fait, c’est que les plus gros impacts sont ceux des agglomérations. L’habitat dispersé est déjà plus difficilement mesurable. Les agglomérations concentrent les sources de pollution avec tout le tissu industriel et d’entreprises qui utilisent des produits. L’imperméabilisation des sols génère des dysfonctionnements des systèmes d’assainissement. Pour la Saône, la dégradation de l’état chimique (de l’eau, N.D.L.R.) est localisée plutôt en aval des secteurs de foyers de population importante », affirme sans ambiguïté François Rollin, directeur de la délégation de Besançon de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (RMC). Voilà pourquoi son Ministère de l’Écologie finance la désimperméabilisation ou des « opérations collectives de réduction des pollutions par substances toxiques au niveau des agglomérations » sur le bassin de la Saône, à Besançon, à Dijon, à Chalon… citait-il par exemple avec des « animateurs qui vont au-devant des entreprises pour voir comment elles peuvent réduire leurs flux de polluants émis vers les réseaux ». Un tabou à l'heure des volontés de ré-industrialiser la France. Si des sommes conséquentes sont engagées ici, il avouait « ne pas savoir aujourd’hui les effets de ces politiques », voulant néanmoins l’étudier et communiquer dessus à l’avenir. « Cela prend du temps et on est au démarrage », reconnaissait-il.

La réhabilitation des sites polluants

Jean-Claude Bécousse, président de la Communauté de communes Entre Saône et Grosne, le remerciait pour sa franchise et l’invitait à persévérer car « il n’y a pas de petite pollution ». Et de préciser sa demande : « On avait la chance d’avoir un soutien financier de l’Agence de l’eau RMC à hauteur de 3.500 à 12.000 € par réhabilitation de sites polluants. On travaillait bien chaque année et il y a eu un coup d’arrêt », regrettait celui qui est aussi en charge de l’eau au conseil Départemental. « On a traité une dizaine de sites alors qu’il y a travail important à faire et c’est dommage aussi en termes de message » politique envoyé.
Surtout qu’avec le changement climatique, Marina Coquery de l’Inrae craint de voir s’accentuer encore « les ruissellements urbains et les déversements d’orages des eaux pluviales sur ces surfaces artificialisées ».

Des erreurs passées

Après sa présentation (lire encadré), « on prend la mesure de nos erreurs passées ». Seulement 13 % du linéaire de la Saône est « en bon état écologique », selon l’Agence de l’eau RMC. Ses affluents ne sont guère en meilleurs états (que 3 %). Partout, « les pollutions se retrouvent en aval des agglomérations et de façon diffuse », avec des origines diverses dont l’agriculture pour certains pesticides « largement » retrouvés.
L’eau potable pour les Français est au centre de tous les regards. Président du Syndicat d’eau potable Bresse Dombes Saône, Didier Muneret rappelait que l’eau est « certes un bien commun mais quand elle arrive au robinet, elle devient un produit », après son extraction, pompage, stockage, traitement et distribution. « On doit fournir en quantité et avec une qualité irréprochable. L’eau est l’aliment le plus surveillé en France », faisait-il le parallèle. Comment lutter contre les pollutions ponctuelles « accidentelles ou malveillantes (vidanges de cuves, peintures…) » différentes de celles chroniques (crues, pesticides…) ? Les stations d’épurations fonctionnent de « mieux en mieux » et grandes et petites agglomérations sont de « plus en plus équipées » pour bien traiter les rejets domestiques.

Moins d’intrants, plus de débouchés ?

Qu’en est-il pour l’agriculture ? Outre de nouvelles molécules utilisées, les chercheurs voient aussi « des pesticides anciens ressortir quand on travaille la terre, en cas de crues ou d’érosion. Et les nouvelles substances actives sont plus toxiques, bien que se dégradant plus vite ». De leurs côtés, les technologies permettent de suivre plus finement ces molécules et molécules dégradées (glyphosate/AMPA…).
Avec la chambre d’Agriculture, le Département de Saône-et-Loire prend le problème dans le bon sens et cherche donc des modèles économiques pour permettre aux agriculteurs « d’avoir des débouchés pour d’autres modes de cultures à faibles intrants, comme en maraîchage bio », rappelait Jean-Claude Becousse. Mais toutes les filières bios n’offrent plus forcément de débouchés actuellement ou, autre cas de figure, la culture de miscanthus pour du chauffage, comme d’autres cultures, se heurte à une rentabilité moindre comparativement aux cultures céréalières.

L’agriculture source de solutions

En charge du dossier environnement à la chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire, Stéphane Convert confirmait néanmoins la prise de conscience des agriculteurs : « on a intégré cette dimension environnementale ». Le polyculteur-éleveur rappelait l’objectif d’une « triple performance : économique, environnemental et sociétal » dans une agriculture mondialisée, donc nécessitant de rester compétitif. Un défi qui passe par « un bouquet de solutions, une modernité saine » : travail mécanique du sol, bio, maintien des prairies… « des adaptations, pas des chocs. Pas d’interdiction sans solution. L’agriculture souffre du changement climatique mais est aussi une solution pour lutter contre », démontrait-il.

L’agriculture victime du climat

« Les prairies d’élevage en bord de Saône sont très importantes pour l’économie locale mais aussi pour la biodiversité », insistait lui aussi Cédric Borget, directeur de l’EPTB Saône & Doubs, qui rappelait, et ce n’est pas si courant de l’entendre dire par un établissement public, « que le rôle des collectivités qui travaillent pour la gestion des milieux aquatiques, est aussi de faire en sorte que l’élevage puisse exister, notamment là où il peut y avoir des crues ».

Un message bien reçu par Nicolas Michaud, membre du bureau de la Chambre d’Agriculture de Côte-d’Or qui concluait : « Plus de prairies, c’est plus de filtres de qualité pour l’eau des puits de captages », plaidant pour que l’agriculture soit toujours associée aux décisions liées à l’eau.

Historiquement, les villes et agglomérations se sont implantées le long des fleuves et cours d’eau. La nature des rivières rappelle aujourd’hui que les villes devaient pourtant s’en éloigner…

La Saône, mauvaise élève

La Saône, mauvaise élève

Directrice de recherche à l’Inrae, Marina Coquery travaille sur la qualité des eaux et les sources de pollution. « La façon d’appréhender la qualité de l’eau » a évolué avec le temps et va encore le faire. Dans les années 1970, les réglementations portaient principalement sur la matière organique. C’est rajouté la surveillance de l’eutrophisation (1990) par les « nitrates, phosphates… domestiques ou agricoles », puis les micropolluants (métaux, PCB, hydrocarbures HAP…) et au début des années 2000, les pesticides et autres micropolluants organiques. « Toutes ces substances ont des effets toxiques sur la santé humaine et l’environnement ». La directive-cadre eau vise donc à réduire ces substances « liées au développement des activités humaines ». La production mondiale de substances chimiques est en effet passée de 1 million de tonnes en 1930 à 400 millions de t, avec pas moins de 60.000 substances communément utilisées. Malgré les normes et délocalisations d'entreprises, médicaments, additifs, métaux, détergents, plastifiants, édulcorants, pesticides… « les usages sont multiples », multiclasses avec des composés souvent présents dans des concentrations faibles.
Les principales sources de pollution sont les eaux de pluies puis les rejets de nos usages domestiques et d’industries, listait-elle dans cet ordre. Plus difficile à quantifier, car diffus, les pollutions atmosphériques et agricoles.
Elle définissait le terme de substances « émergées » ou « émergentes », ces dernières étant des substances chimiques nouvellement synthétisées pour remplacer les substances interdites. Enfin, celles dites « immergées » étant pour imaginer les substances dont les scientifiques n’arrivent pas « à comprendre les comportements ». Des molécules liées à l'élevage seront bientôt recherchées, annonçait-elle.
« On a un état des eaux dégradé dans le bassin de la Saône, avec une dégradation jusqu’à la ville de Lyon », bien que la Saône soit peu étudiée alors qu’il s’agit du 9e fleuve français.
Néanmoins, son laboratoire à Villeurbanne compare les différents affluents du Rhône : le haut-Rhône, l'Ain, l'Isère, la Drôme, l'Ardèche, la Durance et le Gard. « Le bassin de la Saône est plus contaminé : en pesticides, métaux, hydrocarbures, PCB… » tranchait-elle, que ce soit en condition de crue ou d’étiage. « On a des seuils hauts de toxicité qui ne sont pas dépassés », rassurait-elle quelque peu, mais « après une amélioration, depuis une dizaine d’années, la qualité stagne et il reste une pollution aux pesticides et aux métaux plus élevés que dans les autres bassins-versants du Rhône ». Avec le changement climatique et la baisse des étiages, l’Inrae s’attend à des concentrations des polluants plus élevées. Et en cas de crues, les stations d’épuration peuvent être perturbées et l’érosion augmenter charriant des « matières en suspension ou sols contaminés » par le passé. Enfin, la hausse des températures va augmenter la toxicité des micropolluants. Du « stress supplémentaire » pour les organismes aquatiques.