Musique
Les vinyles renaissent de leurs cendres

Symboles incontestés de la réussite de certains albums devenus cultes dans les années 1950 à 1980, les vinyles font leur retour. Entretien avec Jérôme Cortiel, disquaire à Saint-Étienne depuis plus de 20 ans.

Les vinyles renaissent de leurs cendres
Avec un marché en constante croissance, le vinyle séduit particulièrement les jeunes de moins de 35 ans et concerne tous les styles musicaux.

Disquaire depuis plus de 20 ans dans le centre de Saint-Étienne, Jérôme Cortiel a bien vu le marché du vinyle évoluer sous ses yeux. Installé sous l’enseigne de Méli Mélodie, au cœur du centre-ville, il propose aujourd’hui toutes sortes de disques d’occasion.

Parmi les quelque 20 000 exemplaires disponibles dans son magasin, on retrouve des grands classiques des années 1970, comme des titres moins connus, plus rares ou plus récents : « Rock, reggae, techno, jazz, classique, soul, pop, etc. Tous les styles se côtoient, et cela correspond à ce que j’aime personnellement. En tant que disquaire, mon rôle est d’aiguiller et de faire découvrir des albums à ma clientèle, qui arrive d’ailleurs rarement avec une idée précise de ce qu’elle veut acheter. »

C’est d’ailleurs sa manière de faire face au développement du numérique, qu’il considère plutôt comme un complément que comme un adversaire : « Les personnes qui poussent ma porte ont envie de posséder un support matériel pour écouter leur musique. Le streaming permet alors de découvrir des albums avant d’investir dans l’objet. Ce n’est pas incompatible, moi-même je suis abonné à un tel service. De la même manière, les sites d’achat en ligne ne me portent pas préjudice car ils répondent aux besoins d’une clientèle qui a une idée précise de ce qu’elle souhaite. En tout cas, je ne pourrais jamais proposer tous les disques existants, donc c’est même plutôt positif. »

Une clientèle qui évolue

Au fil des années, le commerçant a vu sa clientèle évoluer. « Lorsque j’ai débuté, les seuls consommateurs de disques étaient des professionnels du hip-hop ou de la techno. Aujourd’hui, le public est beaucoup plus large et tous les styles sont recherchés. » Et cette démocratisation donne lieu, ces dernières années, à une forte croissance de la part des vinyles dans l’industrie musicale : selon le rapport annuel du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), le vinyle fait preuve d’une belle vitalité en 2022 avec 5,4 millions de disques vendus, pour un chiffre d’affaires de 89 millions d’euros. Soit le double d’il y a quatre ans.

Bien qu’il ne représente qu’une part infime du marché face au streaming par abonnement qui s’impose avec 56 % des revenus, la vente de vinyles se développe progressivement et atteint les 12 %, soit seulement 2 % de moins que le CD. Aux États-Unis, la tendance s’est inversée, pour la première fois depuis les années 1980, sur ces deux derniers supports. Une situation qui ne devrait pas tarder à arriver en France puisqu’il s’agit du seul gros segment physique à avoir été en croissance en 2022.

Jérôme Cortiel explique cette tendance en partie par les confinements et une envie à la hausse, chez les jeunes, de consacrer plus de temps à leur bien-être. Ainsi, il raconte : « Aujourd’hui, écouter un vinyle, c’est y consacrer un lieu, un moment et une meilleure attention. En effet, cela nécessite d’être plus attentif et de se déplacer pour retourner ou changer de disque lorsque la piste touche à sa fin. »

On peut également corréler la croissance impressionnante du succès des vinyles par la tendance générale du vintage, qui s’impose depuis déjà plusieurs années, que ce soit pour les meubles, décorations, vêtements, accessoires, coupes de cheveux, etc.

Clara Serrano

Classiques et dernières sorties se côtoient en haut du classement

Alors que des styles et des époques très différents se côtoient dans le classement français des meilleures ventes de vinyles, on retrouve en 2022 un podium entièrement francophone avec les albums “Civilisation” d’Orelsan, “Mauvais ordre” de Lomepal et « Multitude“, signé Stromae. Des œuvres très récentes et au public principalement âgé entre 18 et 35 ans (59% ont moins de 35 ans selon le Snep), représentatives de cette nouvelle « mode » qui touche particulièrement les jeunes. Le premier anglophone arrive au pied du podium : Harry Styles avec son titre au succès mondial, “Harry’s House” alors que les grands classiques tels que “Nevermind” de Nirvana, “Thriller” de Michael Jackson et “Legend” de Bob Marley & the Wailers ou encore “Greatest hits” de Queen ne franchissent pas la barre des dix premiers. 

Ce classement est d’ailleurs représentatif d’un retour, y compris de la part des artistes, vers les disques. Jérôme Cortiel, disquaire depuis plus de 20 ans à Saint-Étienne prévient en revanche : « Certains artistes attirés plus par les chiffres que par le son produisent des exemplaires de mauvaise qualité. Il faut donc être vigilant lorsque l’on achète des albums très récents. » C’est d’ailleurs comme cela qu’il explique son choix de ne proposer que des vinyles d’occasion, dont il est sûr et dont il contrôle la qualité. 

Certains artistes ou certaines éditions produites en peu d’exemplaires sont particulièrement recherchés, de quoi affoler le marché : jusqu'à 1,5 million d'euros pour le prix record, atteint pour l’album de rap des Wu-Tang Clan, “Once Upon A Time In Shaolin“, édité en 2015 en un seul et unique exemplaire. C’est un homme d’affaire américain qui s’est offert cette exclusivité. 

Les Beatles, Elvis Presley et John Lennon avec Yoko Ono clôturent le classement des galettes vendues les plus chères. À noter que John Lennon avait dédicacé cet album, vendu à 122 415 euros, à l’homme qui l’assassinera quelques heures plus tard, le 8 décembre 1980. L’histoire de celui du King est bien plus joyeuse puisqu’il s’agit de son tout premier album, enregistré au tout début de sa carrière alors qu’il n’avait que 18 ans. Il a été vendu au chanteur Jack White pour la somme de 244 668 euros. 

Platines

Bien choisir son matériel

Comme souvent lors du développement d’une industrie, de nombreux fabricants profitent de l’ascension du vinyle pour produire des platines ou même des disques de basse qualité à des prix faibles. Fort d’une vingtaine d’années d’expérience, Jérôme Cortiel prévient : « Il est important de bien choisir son matériel, à la fois pour obtenir un son de bonne qualité, mais aussi tout simplement pour qu’il fonctionne de manière durable. » Et d’ajouter : « Certains tourne-disques peut même abimer les disques, voire ne pas parvenir à les lire… »

Reconnaissant que les prix grimpent facilement pour des équipements neufs, le professionnel conseille aux néophytes de s’orienter vers du matériel d’occasion, souvent mieux produit et nécessitant un investissement d’environ 100 à 200 euros. « La première chose à faire est de se diriger vers son entourage et demander aux personnes qui en possèdent et ne se servent plus de leur platine, s’ils souhaitent s’en débarrasser. Même si elles sont anciennes ou un peu endommagées, il est généralement assez facile de les faire réparer dans des magasins spécialisés comme le nôtre. » Si vos connaissances ne possèdent pas de tourne-disque à vous léguer, il est également possible de se procurer du matériel à bas coût et de bonne qualité en occasion, soit chez un disquaire, soit sur internet. En revanche, pour du matériel neuf et de bonne qualité, comptez plusieurs centaines d’euros, pouvant aller jusqu’au millier d’euro pour un matériel haut de gamme.