La minéralité est-elle un concept tangible ou une invention moderne du vocabulaire œnologique ? Jordi Ballester, enseignant-chercheur à l'université de Bourgogne, s'est penché sur cette question controversée. Depuis une décennie, lui et son équipe scientifique explorent les mystères de la minéralité dans le vin, un terme à la définition floue mais omniprésent dans les descriptions de vins depuis les années 1980.
Le mot "minéralité" a fait son apparition il y a environ 30 ans dans les discours œnologiques, notamment dans des guides prestigieux comme le Guide Hachette. L'appellation Chablis revendique ce descripteur sur son site officiel. Ce descripteur, devenu incontournable, évoque des sensations positives, mais reste mal défini, créant un débat entre ses partisans et ses détracteurs. Pour certains, la minéralité est une qualité évocatrice et réelle, tandis que pour d'autres, elle n'est qu'un terme à la mode (qui dure), vide de sens.
Le terme a vu une augmentation significative de son utilisation, particulièrement dans les années 1980 et 1990. Des comptages dans le journal très connu Wine Spectator révèlent 27.000 citations de "minéral" ou "minéralité", soit beaucoup plus que pour des termes comme "fruité". Cela a suscité des interrogations : les vins ont-ils vraiment changé ou est-ce simplement que les gens aiment utiliser ce mot ?
Trois approches de recherche
Pour démystifier la minéralité, Jordi Ballester et son équipe ont adopté trois approches complémentaires : psychologique, sensorielle et chimique.
À travers des questionnaires et des entretiens, les chercheurs ont essayé de comprendre comment les dégustateurs conceptualisent la minéralité. Les résultats montrent que les termes associés à la minéralité incluent pierre à fusil, silex, fraîcheur, acidité, et des arômes iodés et salins.
Cette perception varie cependant entre experts et consommateurs. Les experts relient souvent la minéralité à des descripteurs comme "pierre à fusil", "fraîcheur", "iodé", et "salin", tandis que les consommateurs tendent à associer ce terme à des notions de terroir et de pierre.
Des dégustations à l'aveugle ont été réalisées avec des experts de la Bourgogne et de la Nouvelle-Zélande. En Bourgogne, un panel de 34 experts a dégusté 18 vins de chardonnay provenant de différentes régions, sauf de la Côte-d'Or, pour éviter les influences des boisages forts caractéristiques de ces régions viticoles. Les résultats ont révélé un consensus limité sur la minéralité, avec des désaccords significatifs parmi les dégustateurs. Retour donc au point de départ...
Les dégustateurs devaient évaluer la minéralité au nez (sans goûter) et en bouche (en pinçant le nez pour éviter les arômes). L'idée était de déterminer si la minéralité était perçue comme une caractéristique aromatique ou gustative. Les résultats ont montré que même parmi les experts, il n'existait pas de consensus clair sur la définition de la minéralité, suggérant que ce concept est en grande partie subjectif.
Une étude similaire avec du sauvignon blanc en Nouvelle-Zélande et en France a révélé des différences culturelles dans la perception de la minéralité. Les Français la perçoivent principalement à travers des arômes, tandis que les Néo-Zélandais ont une perception plus multidimensionnelle, incluant goût et texture. Cette étude a montré que le consensus sur la minéralité était plus élevé à Sancerre, une région revendiquant fortement cette qualité aussi.
Approche chimique
Pour tenter d'être totalement impartial, des analyses chimiques ont mis en lumière certains composés comme les SO2 libres et l'acide malique qui sont liés à la perception de la minéralité, tandis que l'acide lactique a un effet négatif. Les minéraux eux-mêmes ne semblent pas directement responsables de la minéralité, contrairement à ce que suggère la théorie littéraliste. Les composés soufrés et certains acides organiques jouent un rôle crucial dans la perception de la minéralité.
Par exemple, le sodium a été identifié comme un prédicteur positif de la minéralité, particulièrement en Nouvelle-Zélande. Les chercheurs ont également découvert que les composés soufrés, associés à des arômes réducteurs comme la pierre à fusil ou le coquillage, sont significativement corrélés à la perception de la minéralité. En revanche, des composés comme l'acide lactique, associés à des arômes beurrés, ont un effet négatif sur cette perception.
Reste que la minéralité est devenue une qualité très désirée dans le vin contemporain, donc ça reste un sujet extrêmement actuel dans la filière et sur le marché. Par exemple, dans les blogs, minéralité est de plus en plus employé pour décrire un vin ; il devient incontournable, si ce n'est systématique, pas qu'en France mais partout dans le monde, notamment dans le monde anglo-saxon, très porté sur ce concept-là.
Les recherches de Jordi Ballester démontrent que la minéralité est un concept sensoriel réel mais complexe, influencé par des composés chimiques spécifiques plutôt que par les minéraux du sol. Cette exploration continue, apportant des éclairages précieux sur un descripteur fascinant et controversé du monde du vin.
Comment fabriquer un vin minéral ?
La minéralité est devenue une qualité très recherchée dans le vin contemporain. Mais comment les vignerons parviennent-ils à produire un vin qui incarne ce style si particulier ? À travers une série d'entretiens et d'études pratiques, des viticulteurs ont partagé leurs secrets pour élaborer des vins blancs perçus comme minéraux.
1. Éviter la surmaturité :
Les raisins doivent être récoltés au bon moment. Les viticulteurs recommandent de choisir des raisins provenant de coteaux frais et de vendanger ni trop tôt ni trop tard. Cela permet de conserver une bonne acidité et de la fraîcheur, tout en évitant des niveaux d'alcool excessifs.
2. Utilisation de levures neutres :
Pour la fermentation alcoolique, il est conseillé d'utiliser des levures indigènes ou des levures commerciales neutres. Éviter les levures sélectionnées pour générer des arômes trop fruités est crucial pour ne pas masquer la minéralité du vin.
3. Élevage en cuve :
Privilégier l'élevage en cuve plutôt qu'en fût de bois. Si des fûts sont utilisés, ils doivent être très vieux pour éviter d'apporter des notes boisées, toastées, vanillées ou caramélisées qui pourraient masquer la minéralité.
4. Élevage sur lies :
Les lies, composées de levures mortes après la fermentation, jouent un rôle important. Elles protègent le vin de l'oxydation et peuvent favoriser des arômes réducteurs légers, tels que des notes de pierre à fusil ou de coquillage, considérées comme faisant partie de la minéralité.
5. Éviter la fermentation malolactique :
En général, la fermentation malolactique est évitée pour les vins blancs minéraux. Cette fermentation transforme l'acide malique en acide lactique, réduisant l'acidité vive et ajoutant des arômes beurrés qui ne correspondent pas au style minéral recherché.
Le résultat est un vin jaune pâle avec une légère réduction, beaucoup de fraîcheur, quelques agrumes, sans notes beurrées, boisées, toastées, ni trop gras ou alcoolisé.
Les viticulteurs continuent d'affiner ces techniques pour produire des vins qui capturent l'essence de la minéralité, un descripteur aussi complexe que fascinant. Ces méthodes offrent une feuille de route précieuse pour quiconque souhaite explorer ou reproduire ce style particulier dans ses vins blancs.
Les recherches de Jordi Ballester et les pratiques des viticulteurs offrent des éclairages précieux pour mieux comprendre et produire des vins avec cette qualité recherchée.