Plan pollinisateurs
Les grandes lignes dévoilées

Les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique ont dévoilé le 20 novembre les grandes lignes du « plan pollinisateurs ». Doté d’un budget de 115 millions d’euros, il est mis en œuvre pour cinq ans.

Les grandes lignes dévoilées

Julien Denormandie avait promis sa révision après avoir accordé une dérogation de trois ans aux néonicotinoïdes en 2020. À partir du 1er janvier 2022, avec le nouvel arrêté « abeilles », publié au journal officiel le 21 novembre, les agriculteurs devront attendre deux heures avant le coucher du soleil pour réaliser leurs traitements sur cultures mellifère en fleurs.

Avec l’arrêté « abeille », les conditions d’utilisations des pesticides seront resserrées sur les cultures ou couverts mellifères à partir du premier janvier 2022. Principale mesure : les agriculteurs devront réaliser tous leurs traitements sur les cultures en fleurs « dans les 2 heures qui précèdent le coucher du soleil et dans les 3 heures qui suivent le coucher du soleil ».

Dans un texte soumis à consultation publique le 21 novembre, le ministère a détaillé les cultures qui ne seront pas concernées par ces dispositions. Les traitements diurnes devraient donc rester autorisés en période de floraison pour le blé, l’orge, l’avoine, le soja, les lentilles, les pois protéagineux et fourragers, ou encore le riz, le ray-grass et le triticale. Ainsi qu’en vigne, seule culture pérenne échappant au cadre de l’arrêté.

Plusieurs autres dérogations sont prévues. L’application pourra ainsi être réalisée « sans contrainte horaire » « en raison de l’activité exclusivement diurne des bio-agresseurs », ou lorsque l’efficacité d’un traitement fongicide « est conditionnée par sa réalisation dans un délai contraint ». À titre temporaire, précise l’arrêté, les traitements diurnes seront d’ailleurs autorisés jusqu’en juillet prochain, « à condition que la température soit suffisamment basse pour éviter la présence d’abeille ».

Une liste très attendue

Le texte prévoit que la fenêtre pourra même être « adaptée ou supprimée », sous réserve d’identifier des méthodes « apportant des garanties équivalentes en matière d’exposition des abeilles ». Le ministère précise que l’Anses devrait publier, dès le début de l’année 2022, une liste des techniques éligibles, « notamment en vue de permettre des traitements le matin ou sous un seuil de température ». Une expérimentation d’une durée maximale de trois ans sera par ailleurs lancée, toujours sous l’égide de l’agence sanitaire, pour évaluer les garanties apportées par les « outils d’aide à la décision ou autres technologies ».

L’interdiction des traitements diurnes s’appliquait déjà partiellement aux insecticides et acaricides. Les fabricants devront soumettre à l’Anses de nouveaux éléments d’évaluation pour les fongicides et les herbicides. Délai maximal accordé : 4 ans pour les produits dont le renouvellement n’était pas prévu dans les 30 prochains mois, et 30 mois pour tous les autres. Des délais qui ne concerneront pas les cultures « qui ne sont pas considérées comme majeures » par le catalogue national des usages phytopharmaceutiques, comme le chanvre, le lin ou les légumineuses fourragères.

Dans sa version précédente, datant de 2003, l’arrêté « abeilles » ne s’appliquait qu’aux insecticides. Mais dans deux avis rendus en 2014 et 2019, l’Anses a recommandé de l’étendre aux autres classes de produits, dont les fongicides et les pesticides, et d’interdire tout traitement avant le coucher du soleil. Un avis que le gouvernement n’a suivi que partiellement dans la mouture finale, en élargissant la plage horaire pour les passages de pulvérisateurs.

Les six axes du plan

Budgété à hauteur de 115 millions d’euros, notamment à partir de la Pac, des fonds de l’Agence nationale de la recherche (ANR), d’Ecophyto et des collectivités locales, ce plan contient six axes. Le premier vise l’amélioration des connaissances scientifiques. Le deuxième axe concerne l’activation de leviers économiques pour préserver les pollinisateurs domestiques et sauvages. Il regroupera quatre actions spécifiques, parmi lesquelles un volet sur la sélection des abeilles et la mise en place de couverts mellifères dans les collectivités locales. Le troisième axe s’appuiera sur la doctrine « Éviter, réduire, compenser » avec la rédaction prochaine d’un guide.

Le quatrième axe consistera à préserver le bon état de santé des pollinisateurs contre les risques climatiques, sanitaires etc. Pour ce faire, plusieurs leviers seront développés comme la formation des agriculteurs et la mise en place d’un observatoire de la mortalité des abeilles. Le cinquième axe a trait à l’élargissement de l’arrêté de 2003 à l’ensemble des intrants (fongicides, herbicides…). Enfin sixième axe : le partage des bonnes pratiques agricoles. L’objectif est ici de récupérer, compiler et déployer ces bonnes pratiques protectrices des pollinisateurs, notamment à travers le Contrat de solutions initié par la FNSEA. Le plan qui fera l’objet d’un comité de suivi regroupant l’État, les filières agricoles, les apiculteurs, les associations environnementalistes, les instituts techniques etc., prévoit aussi d’évaluer le risque de tous les pesticides, dont les herbicides et fongicides, pour les pollinisateurs en vue d’une possible restriction, voire d’une interdiction de traitement sur les cultures attractives en floraison.

Ce plan qui s’appliquera lors des cinq prochaines années a pour objectif de stopper le déclin des insectes pollinisateurs (abeilles, guêpes, bourdons, papillons, coccinelles, mouches…), indispensables à l’agriculture. « Leur fonction est essentielle, y compris économiquement. Les experts estiment la valorisation de leur service rendu entre 3 et 5 milliards d’euros par an », explique-t-on dans l’entourage du ministre de l’Agriculture. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), entre 40 % et 75 % des insectes du globe sont en train de disparaître et pas moins d’une espèce sur dix de pollinisateurs serait au bord de l’extinction. Ce mouvement touche aussi la France avec des taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 30 % pour les abeilles domestiques et sauvages.

La FNSEA et JA dénoncent la surtransposition

Dès le 21 novembre, la FNSEA a dénoncé la « surtransposition des règles communautaires L’instauration d’un processus franco-français d’évaluation des produits phytosanitaires, en anticipation par rapport au cadre européen, met les agriculteurs français en situation de distorsion de concurrence pour la protection de leurs cultures », affirment la FNSEA et JA. Les deux syndicats agricoles s’inquiètent en outre de l’« insuffisance des moyens financiers pour mettre en œuvre les objectifs ambitieux de ce plan ». Ils s’interrogent notamment sur les financements et les outils disponibles pour favoriser l’implantation par les agriculteurs de couverts mellifères ou pour préserver le bon état de santé des abeilles contre les agresseurs biologiques des colonies. Sur les plages horaires de traitement des cultures, FNSEA et JA saluent l’ajout d’une plage de 2 heures avant le coucher du soleil. Les deux organisations saluent aussi « la décision actant la possibilité, pendant les 8 prochains mois, de réaliser des applications sans contrainte horaire si la température est suffisamment basse pour éviter la présence d’abeilles », indiquent-elles. Les travaux des scientifiques pourraient ainsi permettre des traitements le matin.