Avéal
Avéal chahutée par la crise des matières premières

Marc Labille
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Pour son second exercice, la jeune coopérative Avéal a été chahutée de plein fouet par le yoyo du marché mondial des engrais. Résultat, elle présente une perte économique importante qui l’amène à se poser beaucoup de questions.

Avéal chahutée par la crise des matières premières
A la droite du président Gilles Mazille, Jean-Pierre Gillen qui a pris la direction d’Avéal en juillet 2022 suite au départ inattendu de son prédécesseur.

La coopérative Avéal a tenu sa troisième assemblée générale sous ce nom, présentant le bilan de son deuxième exercice comptable. Avéal est la nouvelle entité née du regroupement entre Téol et les établissements Agri Sud Est de Saône-et-Loire. À l’occasion de cette fusion, elle est devenue coopérative associée du groupe Oxyane. Les 24 premiers mois de l’existence d’Avéal auront été éprouvants. Il lui a fallu composer avec la flambée des matières premières et faire face au départ inattendu d’un directeur courant 2022. Avec le conflit russo-ukrainien, l’inflation s’est aggravée durant le dernier exercice. Le spectre angoissant de pénuries de marchandises liées à la fourniture en gaz par la Russie a conduit à réaliser des achats d’engrais très précocement. Conséquence, les stocks d’approvisionnements (engrais, produits phytosanitaires, autres intrants…) de la coopérative ont été décuplés. Mais en janvier 2023, un renversement du marché s’est produit. Des engrais se sont retrouvés à des prix inférieurs aux prix d’achat des stocks de la coopérative. La dépréciation de ces stocks a lourdement impacté la structure, expliquait son directeur Jean-Pierre Gillen.

Reflet direct de cette conjoncture très agitée, le chiffre d’affaires d’Avéal a fortement progressé atteignant 37 millions d’euros (+ 4 millions d’euros). Mais en tonnage, cette progression est limitée, car c’est l’inflation qui a fait gonfler le chiffre d’affaires. Et sous l’effet des aléas conjoncturels vus plus haut, la coopérative se retrouve avec un EBE négatif de – 691.700 € et une perte en résultat net de – 1,65 million d’euros.

À cause des engrais

À l’échelle du groupe Téol - comprenant ses filiales, le chiffre d’affaires consolidé s’élève à 60 millions d’euros. Le tonnage d’aliments commercialisé est en baisse à 39.000 tonnes (- 4.000 tonnes). Les hivers plus courts participent à cette baisse, expliquait le directeur. Le tonnage d’engrais est en forte baisse lui aussi : 16.780 tonnes contre 20.500 l’exercice précédent. Ces engrais génèrent 7 millions d’euros de chiffre d’affaires « sans marge ! », soulignait Jean-Pierre Gillen qui confirmait que ce sont ces engrais qui ont été « destructeurs du résultat de la coopérative ».

La production d’aliments d’Avéal se maintient à 26.270 tonnes pour un chiffre d’affaires en hausse à 12,8 millions d’euros.

Dépassant désormais 20.000 tonnes, la collecte de grains continue d’augmenter du fait de l’évolution des exploitations où les cultures prennent le pas sur les vaches.

L’activité magasins grand public continue de bien se porter avec un chiffre d’affaires de près de 9 millions d’euros.

La « perte importante » subie en 2022/2023 a amené les responsables de la coopérative à « modifier ses façons de faire dans les achats ». Dans un marché baissier des engrais azotés, Avéal a « freiné des quatre fers », n’achetant que très peu de marchandise, confiait Jean-Pierre Gillen qui ajoutait que « sans mécanisme de couverture, un risque majeur perdure sur ces engrais ».

Le système atteint ses limites

Au terme d’une deuxième année pour Avéal, « la construction se poursuit… », résumait le président Gilles Mazille. Après une première année « encourageante », la suite a été plus contrastée et le résultat économique de ce second exercice amène des réflexions. Des investissements auraient été nécessaires, notamment pour moderniser et adapter les outils de collecte de la coopérative. « Mais pour cela, il faut assez d’EBE », regrettait Gilles Mazille. Et si le problème des engrais a bel et bien aggravé les choses, « le hic, c’est qu’on traîne un boulet consécutif à une mauvaise gestion passée », car « notre situation financière actuelle a ses racines dans le passé ». Et le président de poursuivre : « notre système montre ses limites avec un adhérent qui ne prend aucun risque et la coop qui supporte tous ces risques ». Il regrettait aussi le soutien insuffisant des banques… À ce stade, le conseil d’administration d’Avéal s’interroge : « faut-il continuer seul ? Faut-il se séparer de certains actifs ? Faut-il se rapprocher d’autres structures ? ». Mobilisés sur ces questionnements, les responsables de la coopérative en étudient tous les avantages et les inconvénients, concluait Gilles Mazille.

 

Transition ou rupture ?

Chaque année, Avéal (ex Téol) fait venir un intervenant à l’occasion de son assemblée générale. La diversité des profils des invités offre une richesse de points de vue sur les enjeux de l’agriculture. Cette année, c’est Philippe Collin, agriculteur en Haute-Marne à la tête d’une structure atypique et bien connu des réseaux sociaux qui est venu témoigner de son expérience. Pionnier de la méthanisation à la ferme, son parcours est une belle illustration du thème « évolutions et ruptures en agriculture ». Philippe Collin s’est installé sur l’exploitation familiale en 1990. La structure était déjà importante avec six associés, un troupeau laitier, de l’engraissement, des cultures… En avance sur son temps, Philippe Collin s’est inscrit dans le réseau FARRE (agriculture raisonnée) dès 1998. Il réalisait son premier diagnostic carbone en 2007. La crise de la vache folle l’a amené à opter pour la diversification d’autant que le Gaec avait évolué en main-d’œuvre. En 2010, l’agriculteur créait sa première unité de méthanisation. Quatre ans plus tard, l’activité laitière de 1,3 million de litres de lait était cédée à deux jeunes voisins mais l’engraissement était renforcé. La même année, l’exploitation se convertissait au bio, aboutissement d’un raisonnement vers une agriculture plus durable avec davantage d’autonomie. Philippe Collin a été l’un des premiers en France à installer une station-service de biogaz à la ferme. Avec d’autres agriculteurs, il a aujourd’hui un projet de transformation de graines en farines et huiles en circuits courts. Le haut-marnais, dont l’exploitation est en label bas carbone, envisage également de commercialiser des crédits carbone…