Ras-le-bol agricole
Faire de la colère un levier

Berty Robert
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Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA, était en Côte-d'Or le 22 janvier. Alors que la colère agricole ne cesse de monter en pression en Europe et en France, cette visite prenait un caractère particulier. Pour le responsable national comme pour les représentants des FDSEA de toute la Bourgogne-Franche-Comté réunis à cette occasion, l'important est de définir le but vers lequel le mécontentement actuel doit converger.

Faire de la colère un levier
Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA (au centre) reçu dans une ferme de Genlis, près de Dijon, par des représentants des FDSEA de toute la Bourgogne-Franche-Comté.

Manifester est une chose. Mais sans but à atteindre clairement défini, cela peut se résumer à une action stérile. Cette question sous-tendait la visite d’Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA, lors de sa venue en Côte-d’Or, le 22 janvier. Comprise, au départ, comme une étape d’un tour des régions classique de la FNSEA, elle prenait un relief tout particulier au sortir d’un week-end au cours duquel les médias s’étaient largement fait écho de blocages d’agriculteurs dans la région toulousaine. Avec, en arrière-plan, des manifestations paysannes d’une ampleur inédite en Allemagne, il était certain que la visite du secrétaire général de la FNSEA acquérait une autre dimension. Pour l’accueillir dans la ferme du Vernoy, chez Christophe Bathelier, à Genlis, les représentants de toutes les FDSEA de Bourgogne-Franche-Comté (BFC) s’étaient déplacés, de même que Christophe Chambon, le président de la FRSEA BFC. Inévitablement, Hervé Lapie a trouvé en face de lui des responsables syndicaux et des agriculteurs qui, tous, témoignaient de la montée en puissance de l’exaspération dans les campagnes, sur des motifs très nombreux, multiformes, et pas toujours identiques, selon les zones de BFC concernées. Le défi principal, pour la FNSEA, est de parvenir à canaliser ce mécontentement, et surtout de le structurer de manière à ce que les revendications ne se résument pas à un catalogue touffu et hétéroclite, mais dans le but d’obtenir une plateforme structurée de revendications à faire remonter au gouvernement.

« C’est la question du sens de notre métier qui est posée »

La visite d’Hervé Lapie intervenait également quelques heures avant la rencontre prévue entre Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, Arnaud Gaillot, l’agriculteur du Doubs, président des Jeunes agriculteurs, et le Premier ministre Gabriel Attal. Celle-ci a débouché sur la promesse, de la part du gouvernement, de réponses qui interviendraient au cours de cette semaine. Arnaud Rousseau indiquait, en tout cas « qu’il n’y aurait pas de levée des actions menées par les deux syndicats tant qu’il n’y aurait pas de décisions concrètes de l’exécutif ». Il assurait, par ailleurs, que le monde agricole ne se contenterait pas de « mesurettes ». Tout en découvrant l’exploitation de polyculture élevage de Christophe Bathelier, Hervé Lapie resituait le contexte : « Ce qu’on vit aujourd’hui, affirmait-il, c’est la nécessité de redonner de la dignité au métier d’agriculteur. Derrière les difficultés économiques, c’est la question du sens de notre métier qui est posée, la vision que nous en avons. Nous avons l’une des agricultures les plus durables au monde et, pourtant, nous avons l’impression d’avoir toujours plus de difficultés à faire passer nos messages… Le ministre de l’Agriculture a annoncé que la présentation du Pacte et loi d’orientation agricole (PLOA) qui devait intervenir ces jours-ci, est repoussée de plusieurs semaines afin d’y introduire des facteurs de simplification. Nous avons fait, dans le cadre de la préparation de cette PLOA, un boulot exceptionnel et pourtant, cette loi d’orientation risque d’accoucher d’une souris sur le volet installation-transmission, et il fallait aussi y mettre les sujets qu’on poussait : la compétitivité, la simplification. Aujourd’hui, ils paniquent et se demandent ce qui se passe ! » Hervé Lapie considère que la FNSEA va devoir organiser une réponse sereinement, consciente que le moment actuel est important et qu’il faut le gérer au mieux.

« Montée en puissance graduée »

Après la visite de l’exploitation de Genlis, le secrétaire général s’est retrouvé quelques kilomètres plus loin, avec tous les participants à cette rencontre, à la ferme du lycée agricole de Quetigny, à Tart-le-Bas. Là, chacun des huit départements de BFC a pu exprimer le niveau de colère et d’inquiétude de ses agriculteurs. Et les sujets ne manquaient pas ! Dignité du métier, place des agriculteurs dans les territoires, simplification, surtransposition, définition des zones humides, jachères, directive IED sur les émissions industrielles des élevages de porc et de volailles, gestion de l’eau, prédation… Florent Dornier, président de la FDSEA du Doubs, le reconnaissait : les attentes ont un air « d’inventaire à la Prévert » qu’il faut donc structurer et, ces derniers jours, les réunions en visio entre le national et les FDSEA ont tourné à plein régime pour y parvenir. « L’objectif de la montée en puissance graduée de l’expression du mécontentement, concluait Hervé Lapie, c’est d’amener le Président de la République, Emmanuel Macron, à avoir une expression forte à l’occasion du Salon de l’Agriculture à Paris, fin février. D’ici là, il nous faudra des engagements forts : nous avons démontré qu’on marchait sur la tête dans notre pays. Les paysans veulent maintenant du concret ! »

Christophe Bathelier (bonnet noir), polyculteur éleveur à Genlis, a exprimé des inquiétudes qui sont communes à de très nombreux agriculteurs de la région BFC : Revenu, niveau des charges, non respect de la loi Egalim 2...

« Prenons garde à ne pas perdre notre souveraineté alimentaire ! »

Les constats dressés par Christophe Bathelier, qui accueillait la visite sur son exploitation, disaient déjà beaucoup de la colère paysanne qui monte : polyculteur-éleveur sur 275 hectares, avec 200 bovins dont 100 vaches allaitantes charolaises, une activité de vente directe et deux salariés, il faisait le constat suivant : « J’ai eu du mal à voir les effets de la loi Egalim1 et je ne vois pas du tout ceux d’Egalim2. Pour dégager de la plus-value, je dois passer par la vente directe et la vente, ponctuelle, de bêtes au marché au cadran de Moulins-Engilbert, dans la Nièvre. Il n’y a que là qu’on parvient à valoriser nos bêtes correctement. Je pense que la notion de bien-être animal ne peut fonctionner que s’il y a le bien-être de l’éleveur, notamment pour ce qui concerne les revenus et les charges qui nous « plombent ». Lorsqu’on travaille pour perdre de l’argent, ça ne peut pas aller. Il y a aussi la prédation du loup qui s’ajoute. Il faut prendre garde à ne pas perdre notre souveraineté alimentaire, sinon, on deviendra un pays sous-développé. Enfin, on doit se poser la question de l’influence des « bobos des campagnes » : à Genlis, on nous met des pistes cyclables partout qui posent problème pour le passage des engins agricoles. On ne tient pas compte du caractère rural de notre commune… ».

 

Le ministre... et son administration

Hervé Lapie a pointé, lors de sa visite en Côte-d'Or, le problème du fonctionnement des équipes administratives entourant les ministres de l'Agriculture : « Avec Julien Denormandie, il y avait une politique claire et il avait mis son administration au diapason de cette politique. Mais, aujourd'hui, beaucoup trop de politiques laissent faire leur administration qui nous « gangrène » la vie tous les jours ! Le politique doit reprendre la main ! Le contexte actuel nous donne la possibilité de faire changer les choses !  On va avoir un combat à mener pour montrer que les agriculteurs sont sources de solution sur l'alimentation, sur les énergies renouvelables, sur la biodiversité. Nous ne devons pas laisser l'espace aux écologistes sur ces questions médiatiques ».