Pascal Bernard à La Grande-Verrière
Faire face aux contraintes naturelles

Marc Labille
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Sur les hauteurs du Morvan, Pascal Bernard a mis au point un système économe basé sur le plein-air et un allaitement à l’herbe optimisé. Malheureusement, la répétition des sécheresses remet en cause cette conduite misant sur l’autonomie. Reportage. 

Faire face aux contraintes naturelles
Sans frais de bâtiments et avec une conduite économe, Pascal Bernard avoue s’en être plutôt bien sorti jusqu’à ce que le dérèglement climatique ne change la donne.

Pascal Bernard s’est installé en 2011 à la suite de son père sur les hauteurs de la Grande-Verrière dans le Morvan. La ferme compte 170 hectares classés en montagne avec un siège historique à près de 600 mètres d’altitude en face du Mont-Beuvray et du Haut-Folin. Sur cette exploitation aux terrains granitiques et accidentés, Pascal et son père ont mis au point un système d’élevage très économe. Autrefois confrontés à des maladies sur ses petits veaux et à un manque de place dans ses vieilles étables, le père s’était mis à hiverner une partie de ses bêtes dehors. Et comme la santé de leurs charolais s’en trouvait mieux, Pascal a poursuivi dans cette voie. Les vaches ne sont rentrées qu’une quinzaine de jours, le temps du vêlage. L’ancienne étable entravée de 50 places fait office de maternité. Les vêlages sont étalés de fin octobre à fin mars. « Une nécessité », fait remarquer l’éleveur qui ne peut loger plus d’une vingtaine de vaches à la fois dans son étable. Lorsque le veau est bien dégourdi et en bonne santé, Pascal reconduit la mère et sa progéniture au pré d’hivernage. Là, l’éleveur a aménagé des petits abris permettant aux couples mères-veaux d’y transiter quelques jours, « le temps de s’acclimater », avant d’être relâchés pour de bon avec le reste du troupeau en plein-air. 

Plein-air rationné en hiver

Durant tout l’hiver, Pascal Bernard affourrage ses animaux au pré. Les 90 vaches suitées de l’élevages sont réparties dans cinq parcelles dotées d’abris en dur ou de protections naturelles. Ce sont des prés pentus, souvent bordés de forêts de résineux, parfois couverts de bosquets d’arbres, où les bovins trouvent toujours un endroit abrité du vent, favorablement exposé.

L’éleveur nourrit ses animaux tous les matins à l’aide d’une dérouleuse. Il dépose ainsi le fourrage au sol, par petits tas dispersés, jamais à la même place. Cette méthode sans râtelier évite le gaspillage et les bourbiers. Le sol reste propre. Chaque matin, Pascal voit si tous ses animaux viennent bien manger. Par commodité, il distribue alternativement un jour de l’enrubannage, le lendemain du foin. Avec cette méthode de distribution rationnée, Pascal estime que ses animaux en plein-air ne consomment pas beaucoup plus que s’ils étaient en bâtiments.

Sur les sols sains et filtrants de ces buttes morvandelles, les passages répétés du tracteur ne font pas d’ornières. Au printemps, un coup de herse à prairies suffit pour remettre en état ces parcelles à pousse précoce. « Le plein-air aurait même tendance à faire du bien à ces sols », constate Pascal qui évoque les bienfaits du piétinement, des bouses et même des graines du foin déposées au sol… Quant aux bovins, ils ne craignent pas le froid ni la neige, rapporte l’éleveur. C’est le vent et la pluie qu’ils redoutent. Mais le relief et les arbres leur permettent de facilement s’en protéger et l’éleveur signale que les hauteurs se réchauffent plus vite que le fond de vallée.

De l’herbe courte pour plus de lait

À la belle saison, Pascal Bernard fait en sorte que ses animaux pâturent toujours de l’herbe courte. Pour ce faire, il pratique un pâturage tournant en changeant les lots toutes les trois semaines environ. Une rotation réalisée sur trois parcelles. Et si l’herbe devient trop haute, alors l’éleveur la met de côté pour le foin. Pâturée à la bonne hauteur, l’herbe fait produire davantage de lait aux vaches, explique Pascal qui fait en sorte d’avoir des vaches très laitières et choisit ses taureaux avec soin en ce sens. Grâce à cette stratégie, les veaux ne reçoivent aucun granulé au pré, jusqu’au sevrage, fait-il valoir. Ce n’est que vers l’âge de dix mois, lorsque les broutards entament leur repousse en bâtiment, qu’ils reçoivent une ration sèche pendant deux mois à deux mois et demi (céréales autoproduites, granulés complémentaires, foin et paille). Les femelles non conservées sont au même régime. Les broutards repoussés atteignent ainsi 400 kilos vifs et les femelles 310 kg.

En année normale, Pascal Bernard est autonome en fourrage (enrubannage et foin). Ses huit hectares de céréales lui suffisent pour couvrir les besoins en paille de son système semi-plein air. Sans frais de bâtiments et avec une conduite économe, l’éleveur morvandiau avoue s’en être plutôt bien sorti jusqu’à ce que le dérèglement climatique ne change la donne.

Dix mois de pansage en 2020 !

Des trois sécheresses consécutives qui viennent de frapper l’exploitation, celle de 2020 aura été la plus dure parce que printanière et longue, confie Pascal. « J’ai été contraint de panser mes animaux aux prés dix mois dans l’année ! », résume-t-il. Sur les terres séchantes du Morvan, les bêtes n’ont en effet trouvé de l’herbe à brouter que pendant deux mois. Dès la fin du mois de mars, le thermomètre était déjà monté à trente degrés et les premiers ronds d’herbe jaune apparaissaient dans les parcelles… « J’ai dû acheter 15.000 € de fourrage », confie l’éleveur qui devait aussi « rouler 12.000 litres d’eau par jour, car seuls vingt des 170 hectares de l’exploitation avaient encore de l’eau ! ». 

Lui qui a participé à l’étude Climaviande destinée à évaluer les impacts du changement climatique sur les élevages morvandiaux (lire Exploitant Agricole du 12 mars en page 20), Pascal Bernard avoue être assez pessimiste quant aux possibilités d’adaptation de son exploitation au climat décrit pour les années futures. « Je ne vois pas comment on peut continuer à nourrir nos bêtes. Les effets de la sécheresse se voient sur le cheptel. Les génisses qui ont vécu trois étés sans herbe consécutifs sont plus petites que les autres. Les broutards, je les garde plus longtemps sous les mères pour compenser, mais ils sont moins lourds… », confie l’éleveur. 

Dans un système dont la clé de réussite économique est de valoriser au maximum l’herbe de mai à août, Pascal Bernard ne voit pas de solution. Pour lui, le sol, le climat et le manque d’eau interdisent toute nouvelle culture qui, de plus, « coûterait une fortune. Dans notre secteur, tout le monde arrête le maïs à cause de la sécheresse et des sangliers… ». Et l’éleveur déplore aussi le temps passé à affourrager les animaux quand l’herbe devrait les nourrir… 

Du foin pour les petits veaux dès leur plus jeune âge
Grâce à des mères très laitières, les veaux ne reçoivent aucun concentré jusqu’au sevrage.

Du foin pour les petits veaux dès leur plus jeune âge

Comme le faisait déjà son père en son temps, Pascal Bernard a toujours veillé à ce que ses petits veaux aient accès à de la fibre dès leur plus jeune âge. « Les quatre premiers jours, ils tètent leurs mères. Mais au bout d’une semaine, ils commencent déjà à aller prendre un peu de foin à leur disposition. À deux mois, ils mangent du foin avec le reste du troupeau ce qui développe leur panse », explique l’éleveur. Les petits veaux ingèrent leurs premiers brins d’herbe durant leur séjour en étable de naissance. Une fois en plein-air, ils viennent manger du foin tous les matins avec leurs mères lorsque Pascal distribue le fourrage à la dérouleuse. Avec ce régime, l’éleveur dit ne pas connaitre de veaux ballonnés ni de problèmes d’entérotoxémie au printemps. Cet accès précoce à la fibre est corrélé à la sélection de mères très laitières. « Un veau qui n’a pas assez de lait risque de manger trop de foin, d’où des problèmes de santé », explique l’intéressé. 

 

Un système pourtant vertueux

Pascal Bernard évalue ses frais vétérinaires à environ 43 € par UGB. Pour atteindre cette conduite économe, l’éleveur veille aussi à la facilité de vêlage en proscrivant le gène culard dans l’achat de ses taureaux et en privilégiant des lignées génétiques sélectionnées dans ce sens. L’élevage, conduit en monte naturelle, ne connait aucune vache vide. Ce qui conforte Pascal dans l’idée que son système procure du bien-être à ses animaux. L’éleveur signale aussi ne pas mettre de produits phytosanitaires sur ses céréales et nourrir ses bovins avec de l’aliment non OGM.