Production laitière
Pour mieux affronter les accidents climatiques en production laitière

Marc Labille
-

Le changement climatique bouscule les systèmes laitiers de plaine tels qu’on les connait en Saône-et-Loire. Mais ces derniers ont de quoi s’adapter en jouant sur la sécurité, l’autonomie fourragère et la richesse des assolements.

Pour mieux affronter les accidents climatiques en production laitière
Sur le plan sanitaire, avec moins de maïs et plus d’herbe, la ration serait aussi mieux équilibrée.

Le 23 février dernier, une journée technique laitière régionale était organisée à Fontaines sous l’égide de la Chambre régionale d’agriculture et de ses partenaires. Cet évènement se proposait d’explorer de nouvelles pistes pour s’adapter au réchauffement climatique. Ce fut l’occasion de présenter les résultats d’essais conduits dans le cadre du Pôle de Compétences Laitier de Bourgogne Franche-Comté qui unit la Chambre régionale et les lycées agricoles de la Région (lire encadré). En Saône-et-Loire, c’est sur la ferme du lycée de Fontaines que sont conduits les essais sous la houlette de Denis Chapuis, responsable des expérimentations.

Cette journée régionale a aussi permis de dévoiler les résultats d’une étude sur les impacts des aléas climatiques pour les systèmes laitiers de plaine. Ces travaux sont issus du programme régional Cap’Lait qui réunit notamment les Chambres d’agriculture, Conseil Élevage et CER France.

Pour évaluer cet impact, des simulations ont été réalisées sur des cas type d’élevage selon différents scénarii, présentait Laurent Lefèvre de la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Ainsi l’évolution des rendements a-t-elle été étudiée au regard d’une année dite « normale » et en simulant les effets d’une année sèche semblable à 2018 ainsi que d’une année intermédiaire avec - 10 % de rendement.

Système lait de plaine

Ces simulations ont été appliquées à « un système maïs de plaine en exploitation polyculture-élevage » sans pâturage (231 ha, 108 laitières à plus de 9.000 kg, 50 ha de maïs fourrage, 5 ha de maïs grain, 115 de céréales à paille et colza, 46 ha de prairies temporaires et 15 de prairies naturelles). L’année sèche se caractérise notamment par une diminution importante du rendement en maïs fourrage compensée par une moindre vente de maïs grain. En année normale, l’exploitation parvient à se constituer 20 % de stock supplémentaire de sécurité. Autrement dit, elle a de quoi couvrir les besoins du troupeau s’élevant à 935 tonnes de matière sèche et elle dispose de 196 tonnes supplémentaires.

En cas d’année sèche succédant à une année normale, l’exploitation pourra consommer une partie du stock de report pour faire face au manque d’herbe. Pour compléter le déficit de récolte, elle pourra aussi ensiler la totalité de sa surface en maïs, une pratique bien connue en Bresse.

Si cette année sèche est suivie d’une année intermédiaire (- 10 % de rendement), il sera alors possible de reconstituer le stock de report en ensilant à nouveau toute la surface de maïs. Les besoins du troupeau auront ainsi été couverts, mais il manquera le produit de la vente du maïs grain sur deux campagnes soit une perte d’un peu plus de 15.000 € (selon les cours), indique Laurent Lefèvre.

Une sécheresse, ça va, mais deux…

Par contre, si l’exploitation doit affronter deux années sèches consécutives suivies d’une année intermédiaire, des achats de fourrages seront incontournables la deuxième année. En effet, l’ensilage de toute la sole de maïs ne suffira pas et 88 tonnes de matière sèche de fourrage devront être achetées. La troisième année (si elle est bien « intermédiaire » avec - 10 % de rendement), il devrait être possible de reconstituer du stock de report, mais pas autant que lors d’une année normale. Ce stock serait de 151 tonnes de matière sèche contre 196 au départ. Il pourrait être complété par l’implantation et la récolte de 5 ha de dérobées ainsi que de 5 ha de méteil. « L’objectif est de reconstituer ce stock de sécurité dès que possible », commente Laurent Lefèvre.

« L’absence de sécurité coûte cher… »

L’impact économique de ces trois années climatiques perturbées pourrait atteindre 45.000 € de perte soit 140 € par vache laitière par an : produit en moins sans le maïs grain, charges en plus avec les achats de fourrage et implantations de dérobées et de méteil. Le résultat est toutefois très dépendant du prix des céréales et des fourrages qui peuvent varier presque du simple au double en ce moment…

La synthèse des impacts sur différents systèmes montre que la perte se creuse pour les exploitations qui ont moins de stock de sécurité. Avec seulement 5 % de stock de fourrage de report, l’impact de deux années de sécheresse peut aller jusqu’à 300 € de perte par vache, signalait Laurent Lefèvre qui ajoute que « l’absence de sécurité fourragère coûte cher. Et il faut être en capacité de faire face à des achats de fourrages et d’intrants d’où l’importance d’une trésorerie suffisante ».

Plus d’herbe, moins de maïs

Des pistes d’amélioration ont été imaginées pour permettre à une telle exploitation de mieux résister. L’un des leviers serait de remplacer 1 tonne de matière sèche de maïs (par vache et par an) par 1 tonne de matière sèche d’ensilage d’herbe de qualité. Autre levier : introduire 10 ha de dérobées et 9 ha de prairies temporaires de fauche supplémentaire en enlevant 9 ha de maïs ensilage. Cette solution reviendrait à faire davantage de stock au printemps avec des fauches précoces qui amélioreraient l’autonomie protéique de l’exploitation. Le risque météo serait mieux réparti sur deux périodes de récolte. Sur le plan sanitaire, avec moins de maïs et plus d’herbe, la ration serait mieux équilibrée. Enfin, la hausse des prairies temporaires tendrait à allonger la rotation.

Mais ces adaptations ont aussi leur lot d’inconvénients. « Le système serait plus gourmand en temps de travail » avec « une culture de l’herbe » qui implique davantage d’interventions dans la saison et des chantiers plus nombreux. La qualité de l’ensilage d’herbe est aussi plus irrégulière que celle du maïs. L’introduction de dérobées peut être risquée pour le maïs qui suit, complétait Laurent Lefèvre.

L’autonomie, la meilleure option

L’autonomie, la meilleure option

Face à la sécheresse, trois stratégies ont été comparées dans le cadre du groupe régional Galacsy et du programme Cap’Lait. Cette simulation a porté pour une exploitation de type lait-céréales de 233 ha avec 115 vaches pour 972.000 litres de lait vendus. L’assolement fourrager comporte 50 ha de maïs, 17 ha de luzerne, 45 ha de prairies, 13 ha de dérobées. Cette exploitation subirait une baisse de rendement de - 30 % pour le maïs ensilage et - 25 % pour la luzerne et les prairies. La première option testée est une amélioration de l’autonomie avec une augmentation de la surface fourragère qui se traduirait par plus d’herbe dans la ration et moins d’achats. Le second scénario serait l’utilisation de maïs destiné à la vente en grain pour de l’ensilage et l’achat du solde du déficit de fourrage. Troisième solution : réduire le nombre de vaches et la production pour coller aux ressources fourragères. Des trois scénarii, c’est l’autonomie qui apparaît la plus durable. À l’inverse, la réduction de cheptel est celle qui coûte le plus cher, fait remarquer Laurent Lefèvre. La solution de l’achat de fourrage est le moyen le plus réactif. « Mais ce n’est pas durable : il faut en tirer des leçons… », incite le technicien. Pour affronter des accidents climatiques récurrents, le mieux est de « rechercher l’autonomie en augmentant la surface fourragère et la part d’herbe dans l’alimentation. Des capacités de stockage et un report de stock d’au moins 20 % (voire même 30 %) sont une bonne assurance. Il est aussi prudent de disposer d’une surface tampon en maïs grain ; d’intégrer un peu plus de prairies temporaires ou légumineuses dans le système et de jouer à la marge avec des dérobées quand c’est possible », complète Laurent Lefèvre.

Des alternatives au système maïs/tourteaux

Le changement climatique commence à remettre en question la place du maïs fourrage dans les systèmes laitiers et la flambée du prix des tourteaux incite à améliorer l’autonomie protéique. Plusieurs pistes ont été testées à l’échelle du Pôle laitier régional. Ainsi a-t-on tenté de remplacer le maïs ensilage par de l’ensilage de méteils protéiques. Dans une autre expérimentation, de l’ensilage de sorgho a pris la place de l’ensilage de maïs dans la ration. On a aussi incorporé des graines protéagineuses produites sur l’exploitation et notamment des graines de soja toastées. Toutes ces solutions se sont avérées possibles sous certaines conditions, nuançait Denis Chapuis. Ce dernier citait aussi les essais méteils protéiques et ray-grass/trèfle conduits depuis 8 ans à Baudrières.