Charolais
Le préfet en quête d’innovations dans le Charolais

Marc Labille
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La semaine dernière, le préfet de Saône-et-Loire a visité trois exploitations du Charolais. Destiné à mettre en lumière des pistes de résilience face à la sécheresse, ce périple a permis de mesurer les capacités d’anticipation des agriculteurs mais aussi quelques freins qui ne dépendent pas d’eux.

Le préfet en quête d’innovations  dans le Charolais
À Chambilly, Jérôme Beauchamp a expliqué comment il avait fait évoluer son exploitation en revenant à la polyculture productive.

Le 19 avril dernier, le préfet de Saône-et-Loire Yves Séguy est allé à la rencontre de trois exploitations agricoles du Charolais. Accompagné des services de la DDT ainsi que du représentant de la Chambre d’agriculture Marc Sangoy, de la députée Josiane Corneloup et d’élus locaux, le représentant de l’État entendait mettre en lumière des solutions de résilience face au changement climatique. Comme il l’expliquait aux médias présents, « les niveaux des cours d’eau sont bas en cette sortie d’hiver et le département est en vigilance avec le risque de devoir prendre des mesures de restriction… ». Aussi, le Préfet incite-t-il à « aller au devant » de ces problèmes. Et pour étayer son propos, il est allé à la rencontre de trois exploitations atypiques, ayant d’ores et déjà opté pour des stratégies innovantes.

En finir avec le tout herbe…

La première visite conduisait à Chambilly sur la ferme de Jérôme Beauchamp. Installé en 2016 à la suite de ses parents, le jeune agriculteur a métamorphosé la conduite de la ferme familiale en rompant avec un système traditionnel où la prairie naturelle avait été trop « sanctuarisée » selon lui. Encouragés par la prime à l’herbe, les exploitants s’étaient, comme beaucoup, laissés piéger par un système trop simplifié, dominé par les prairies naturelles extensives, avec des bovins vendus en majorité maigres et des achats importants d’aliments. Mais au fil des ans, cette conduite a fini par atteindre ses limites tant économiques qu’agronomiques. Inspiré par de nombreux stages qui lui ont fait découvrir d’autres façons de voir les choses, le jeune agriculteur a décidé de remettre en question ce système.

Rotation des cultures et pâturage tournant

Le Bourbonnais était historiquement un pays de polyculture et Jérôme a fait le choix de retourner des prairies. Pour optimiser la productivité herbagère, le pâturage tournant a été introduit sur les surfaces maintenues en herbe tandis que des rotations ont été mises en place sur les terres. La structure a été intensifiée avec un accroissement de surface à 220 hectares, une augmentation de cheptel à 140 vaches allaitantes et 160 brebis et une hausse du chargement de 0,8 à 1,39 UGB/ha. Dans le même temps, Jérôme s’est mis à engraisser la totalité de sa production.

L’exploitation produit désormais une quarantaine d’hectares de céréales à paille ce qui lui permet de vendre une partie de ses grains et d’être autonome en paille. Elle cultive 24 hectares de maïs fourrage et a introduit 4 ha de betteraves fourragères. Jérôme implante également des intercultures comme du colza fourrager qui nourrit des bovins hivernés en plein-air. 15 ha de ray-grass sont également semés en automne pour être récoltés avant le semis de maïs. Ces rotations, qui peuvent inclure aussi de la luzerne, servent à renouveler les prairies, fait valoir l’agriculteur.

Des génisses finies rien qu’à l’herbe

Pour la récolte des fourrages, Jérôme vise la qualité en se fiant aux sommes de températures pour opter pour la bonne date de fauche. Aujourd’hui, l’éleveur ne donne aucun concentré à ses bêtes d’élevage. Seuls les animaux à l’engraissement reçoivent des céréales et des tourteaux. Grâce au pâturage tournant, il parvient même à finir des femelles rien qu’avec de l’herbe. Jérôme n’achète pas d’engrais de fond. Des plaquettes de bois lui servent de litière et il composte ses fumiers en incorporant des déchets verts de collectivités.

Irriguer le maïs…

Pour faire face à la sécheresse, le jeune agriculteur envisage d’irriguer son maïs fourrage. Car l’ensilage de maïs reste la meilleure solution pour bien finir ses bovins et assurer le stock nécessaire à 120 animaux, justifie-t-il. Mais Jérôme a fait part de ses difficultés à faire aboutir son projet d’irrigation. L’Office Français de la Biodiversité l’a dissuadé de s’alimenter dans un étang que son grand-père avait créé autrefois. Finalement, Jérôme a fait une demande pour prélever directement dans la Loire, solution apparemment préférée par l’administration, bien que moins pratique pour l’éleveur…

À une vingtaine de kilomètres de là, Jean-Marc Auduc et Didier Rondepierre ont présenté une exploitation diversifiée de longue date. Sur 220 hectares, ils élèvent aujourd’hui un troupeau de 85 vaches charolaises, exploitent deux poulaillers standards et un poulailler label. La moitié de la surface est consacrée aux cultures. Une partie des céréales est autoconsommée et le reste est vendu : colza, tournesol, blé en filière Mc Donald, moutarde de Bourgogne IGP… Les deux associés font aussi un peu de vente directe de céréales à des particuliers qui leur achètent aussi des petites bottes de foin ou de paille et même du compost pour les jardiniers !

Transmission difficile…

La structure exploite deux toitures photovoltaïques et elle avait même envisagé la méthanisation… Le Gaec a été parmi les premiers à composter des fumiers dans le département et aujourd’hui, il incorpore des déchets verts à la litière de ses animaux. Ces déchets végétaux proviennent de la communauté de communes de Paray-le-Monial. Jean-Marc et Didier ont aussi développé une activité d’agroforesterie avec la production de plaquettes de bois issues de leur exploitation. Ces plaquettes alimentent une chaudière à bois énergie qui chauffe les poulaillers de la ferme. Des plaquettes sont aussi livrées à la commune de Poisson qui s’est équipée d’un chauffage collectif à bois énergie, explique Jean-Marc.

À la tête d’une telle structure employant un salarié et occupant quatre personnes, Jean-Marc et Didier préparent leur succession. Cela fait 18 mois qu’ils sont à la recherche d’un repreneur, sans succès, confiaient-ils au Préfet.

Du maraîchage sans phytos

Troisième étape de ce périple, les Jardins de Champlecy, exploitation maraîchère tenue par Jérôme Canton-Macé et sa compagne. Installé depuis six ans, le jeune couple produit des légumes, des fraises, des melons sur seulement 6.000 mètres carrés. 80 % de la production est vendue en direct à des particuliers. L’exploitation n’est pas agréée bio, mais Jérôme travaille comme s’il en était. Pour assurer la protection des cultures, il applique des filets anti-insectes qui le dispensent de traitement. Pour éloigner les ravageurs, il recourt aux phéromones. Contre le risque de maladies fongiques, ce sont les serres qui protègent les végétaux. Le maraîcher effectue également des lâchers de coccinelles, prédateurs de petits insectes. Pour ne pas avoir à désherber, il recouvre son sol de toiles.

Indispensable irrigation

Toutes ces alternatives aux produits chimiques sont possibles parce que la surface est petite, faisait valoir Jérôme. Mais le manque de surface l’oblige à optimiser les mètres carrés. Deux hectares supplémentaires devraient venir consolider la structure, confiait-il. En production légumière, l’irrigation est indispensable. Pour économiser l’eau qu’il prélève sur le réseau d’eau potable, Jérôme irrigue la nuit. Il recourt à la technique du goutte à goutte avec des arrosages fractionnés sous serre. Le maraîcher greffe lui-même ses plants de tomates. Le porte-greffe est doté d’un système racinaire « beaucoup plus vigoureux » que le greffon « ce qui augmente de dix fois la production du pied », faisait valoir Jérôme au Préfet.

 

Faciliter les choses, vraiment ?

Faciliter les choses, vraiment ?

Visiblement enthousiasmé par ces trois exploitants, le préfet Yves Séguy a apprécié les initiatives qui lui ont été exposées, saluant « une réflexion sur la sobriété ». À la lumière de ces trois témoignages, le représentant de l’État invitait « à chasser les idées préconçues en s’appuyant sur des explications techniques et une approche raisonnée ». Un discours encourageant, renforcé par une volonté affichée de « faciliter les choses », complétait le directeur de la DDT 71, Jean-Pierre Goron. Un message bienvenu face à des agriculteurs qui n’ont cependant pas caché leurs difficultés quotidiennes tant vis-à-vis de la police de l’eau que de l’administration et des réglementations en général. Ainsi, n’ont-ils pas manqué d’évoquer le loup surprotégé dont la multiplication des attaques inquiète grandement tout éleveur. À Poisson, Jean-Marc Auduc a témoigné de la menace de la grippe aviaire pour laquelle il doit affronter d’innombrables notes réglementaires hebdomadaires qui peuvent atteindre 160 pages ! Ont été cités aussi les réglementations redondantes sur les produits phytosanitaires, la montée du bien-être animal, etc. « On ne peut jamais être dans les clous ! », concluait sans langue de bois l’épouse de Jean-Marc Auduc.