EXCLU WEB / Inflation : « Les restrictions d’eau risquent de compromettre des productions »

Propos recueillis par Christophe Soulard
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Interview de Françoise Roch, Présidente de la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits (FNPF) qui revient sur les effets de la sécheresse, compromettant les récoltes de cette année et déjà de l'année prochaine. Elle analyse aussi les marchés avec la nouvelle donne du pouvoir d'achat des Français face à l'inflation généralisée. Alors même que la profession fait face à des besoins de main d'œuvre criants...

EXCLU WEB / Inflation  : « Les restrictions d’eau risquent de compromettre des productions »

Familles Rurales a récemment publié une étude relatant l’augmentation de +11 % des fruits et légumes dans le panier moyen du consommateur. Pourquoi cette enquête vous a-t-elle irritée ?

Françoise Roch : Nous contestons ces résultats chaque année pour plusieurs raisons. Si les relevés que Familles Rurales réalisent ne sont pas contestables, la méthode d’exploitation des données est sujette à caution. D’une année sur l’autre, on ne retrouve pas toujours le même panier. Juste un exemple : les cerises étaient absentes du calcul en 2021. Elles sont présentes en 2022. De même, il n’existe aucune pondération dans les calculs : le haricot vert pèse autant qu’une orange. De plus, il importe de relativiser le poids des fruits et légumes dans la consommation des ménages. Il serait important de ramener les calculs à la portion et de comparer la hausse des prix à ce que reçoivent les producteurs. 

La sécheresse que la France connaît depuis quelques mois a-t-elle un impact sur votre production ? 

FR : Les conditions climatiques depuis le mois de mai ont permis de produire des fruits sucrés, gouteux. C’est le point positif. La contrepartie est que nous avons, faute de pluies, perdu en quantité par hectare. Les fruits sont plus petits. Moins de tonnage veut dire moins de rémunération surtout si les prix restent stables. Ce qui nous inquiète maintenant le plus, ce sont les coupures d’eau qui risquent de compromettre des productions comme la pomme, la poire et le kiwi. Sans apport d’eau, les arbres risquent de puiser leurs ressources sur les fruits. On commence à percevoir ce phénomène sur certaines productions. Cette sécheresse conjuguée aux fortes chaleurs impactent les fruits dont certains, comme les raisins de table, commencent à flétrir. Sans eau, les arbres peuvent s’épuiser et compromettre les récoltes de 2023. L’idéal serait de stocker les surplus d’eau hivernaux. Ca fait plus de 20 ans qu’on le réclame. 

L’été est la période rêvée pour certains fraudeurs de « franciser » les fruits et légumes étrangers. Comment éradiquer ce phénomène ? 

FR : Franciser les produits, c’est tromper le consommateur qui se tourne (les fraudeurs l’ont bien compris) de plus en plus vers les fruits et légumes français, sur ceux qui manquent le plus et dont les prix sont élevés. La tentation est grande pour des intermédiaires peu scrupuleux de se faire de l’argent facile, sur le dos des producteurs français. Je tiens à saluer le travail remarquable de la DGCCRF qui, malgré des effectifs toujours en réduction, parvient à mettre en échec des bandes organisées de malfaiteurs. Leur travail est d’autant plus compliqué qu’entre la survenance de l’infraction et la condamnation des fraudeurs, il se passe parfois quatre ans, six ans… Grâce à la réalisation d’analyses isotopiques, nous travaillons avec eux pour tenter de simplifier la détection de la francisation, mais cela nécessite beaucoup d’analyses, cela prendra encore du temps. 

Avez-vous assez de main d’œuvre pour couvrir tous vos besoins en récolte ? 

FR : Comme les secteurs de la restauration et du BTP, ceux de l’arboriculture et du maraîchage subissent une perte d’attractivité. Le rythme de nos productions nous impose d’employer une main d’œuvre saisonnière en grande quantité dans un laps de temps assez court : entre 3 et 6 mois. Autrefois, les étudiants reprenaient leurs études le 15 octobre. La rentrée a été avancée en septembre. Il devient plus compliqué pour nous de les employer. De même, l’administration ne comprend pas toujours nos contraintes, surtout avec la main d’œuvre étrangère, hors Union européenne. Quand nos futurs salariés, notamment marocains, doivent arriver par exemple le 1er juillet et que nous en avons besoin le 15 juin parce que la récolte à 15 jours d’avance, l’administration peine à s’adapter. C’est un euphémisme. Cela étant, nous essayons de pérenniser ces emplois à travers des groupements d’employeurs, en formant notre personnel à des emplois durables et confirmés comme tractoriste, tailleur, chef d’équipe. Les producteurs aiment aussi retrouver sur leurs exploitations des équipes qui ont fait leurs preuves. 

Sur un plan plus technique, les contraintes européennes sur les produits phytosanitaires vous pénalisent-elles ? 

FR : Bien évidemment. Le retrait des molécules est plus rapide que l’apparition des solutions. D’autant que la France a réduit ses crédits pour la recherche et que l’administration ne cesse d’ouvrir le parapluie. Plutôt que de prendre sa responsabilité, elle préfère la rejeter sur la profession agricole. Je vous rappelle que le verger français a perdu 40 % de sa surface et donc de sa production au cours des 20 dernières années et que nous sommes importateurs net de fruits. Je suis également abasourdie de constater qu’une même molécule peut être autorisée sur une culture et pas une autre alors que le risque invoqué concerne l’applicateur. Quelle serait la différence entre un applicateur viticulteur ou arboriculteur ? De même, pourquoi n’applique-t-on pas en France la technique d’insecte stérile (TIS) qui a cours dans d’autres pays. L’Italie, l’Espagne et le Portugal qui vivent de l’agriculture ont compris qu’avec ce secteur devenu stratégique, ils avaient une économie à gérer. En France, on pourrait placer la défense de cette économie au même niveau que celle de la biodiversité. Ce serait un premier pas.