Union européenne
L’Europe change d’approche mais garde ses objectifs

Cédric Michelin
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Le député européen et éleveur charolais de Saône-et-Loire, Jérémy Decerle, fait le point sur le télescopage de la guerre en Ukraine avec l’actualité européenne déjà forte entre reprise post-Covid, réforme de la Pac, Green Deal et Farm to Fork, le nouveau plan stratégique national français validé… Les lignes bougent fortement mais au rythme de la démocratie et des différences de point de vue.

L’Europe change d’approche mais garde ses objectifs
Jérémy Decerle en déplacement avec le président de la République, Emmanuel Macron aux Terres de Jim.

Dans l’immédiat, « pas de grand changement », prévient le député européen Jérémy Decerle mais plutôt une « prise de conscience » générale au niveau de la Commission, du Conseil et du Parlement de devoir accélérer sur la souveraineté alimentaire ainsi que sur les questions environnementales.

Depuis la guerre en Ukraine déclenchée en pleine réforme de la Pac et de la présidence européenne de la France, les « calendriers ont été chamboulés et ont pris du retard » évidemment. Cependant le député l’assure, « tout sera discuté comme prévu, mais avec une approche différente ». Il prend pour exemple la stratégie Farm to Fork, de la fourche à la fourchette en français, qui vise une diminution de moitié des pesticides. Si l’ambition est intacte, « nous allons l’agrémenter d’alternatives. On va demander la possibilité d’utiliser des NBT », l’édition génomique pour sélectionner des plantes d’intérêts comme plus de résistances aux maladies et ravageurs. D’ici la fin de l’année 2022, s’enchaîneront donc les débats de fond sur les pesticides, sur la promotion des produits, sur l’étiquetage… avec toujours « cette même ambition environnementale », inscrite dans le Green Deal. Les joutes politiques promettent donc d’être violentes après tant d’années de mauvaises polémiques médiatiques, un peu à l’image de la désinformation autour des vaccins Covid.

Inverser les logiques passées

Mais là encore, Jérémy Decerle croit percevoir une inflexion forte. « L’idée maintenant est que c’est au Green Deal de se mettre en adéquation avec les objectifs de la Pac et même qu’elle aille plus loin ». En clair, réviser les textes pour « prévoir les moyens adéquats et financiers pour accompagner les transitions », en renforçant la recherche, si l’on reprend l’exemple précédent sur la sélection génomique. Autre exemple, plus d’actualité encore, avec le texte voté récemment sur les économies de gaz – pour ne plus dépendre des gisements russes – qui a intégré « une spécificité pour être plus performant sur la fabrication d’engrais » en Europe, pas forcément fabriqué demain à base de gaz. Tant pis néanmoins si un temps il faut utiliser du gaz pour les fabriquer. Des innovations seront recherchées dans tous les domaines de production et notamment alimentaire.
La France a inscrit ses ambitions environnementales et alimentaires dans son PSN, validé cet été. « On a inversé : on passe d’objectifs de moyens à des objectifs de résultats », et pour Jérémy Decerle, c’est capital « de valoriser ceux qui luttaient déjà contre le changement climatique en les accompagnant financièrement » et en les récompensant sur leurs bonnes pratiques.

Clauses miroirs ou miroir aux alouettes ?

Consciente de ses faiblesses, l’Europe veut néanmoins s’appuyer sur ses forces actuelles : les normes et règles. « On inscrit nos exigences dans les nouveaux accords signés et il y a au Parlement une vraie volonté d’avancer sur les clauses miroirs pour une plus juste réciprocité dans les échanges commerciaux », se bat Jérémy Decerle. Une volonté partagée désormais au sein du Conseil des ministres des États membres et il semblerait que la Commission européenne y soit plus favorable qu’avant. Rien n’est gagné cependant, comme l’atteste malheureusement le « mauvais signal » envoyé par l’accord entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande, venant concurrencer l’élevage ovin notamment.
Lors de sa visite en Ukraine avant l’été, Jérémy Decerle a été impressionné par la détermination des Ukrainiens et en particulier des agriculteurs qui continuent de travailler leurs terres au milieu de la guerre. Pour autant, l’éleveur charolais de Saône-et-Loire a aussi constaté les fortes différences de normes de production. Si les droits de douane ont été portés à zéro pour « débloquer » ses céréales et éviter les famines, les volailles ukrainiennes en ont profité pour envahir nos étals. « On va vite travailler sur les compensations à l’adhésion de l’Ukraine, on va pousser nos normes et faire évoluer leur agriculture. À la fin, avec l’Ukraine au sein de l’Union, l’Europe aura encore plus de poids » sur le volet agricole.

Fausse lenteur climatique

Pour autant, l’Europe continue d’avancer « doucement ». Elle le fait par « cliquets » et « ne revient pas en arrière ». Une lenteur imputable aux débats démocratiques qui permet toutefois après, une fois votés, une « force de frappe et d’exécution » bien plus importante, comme l’ont prouvé les commandes en commun de vaccins contre le Covid-19 ou le plan de Relance européen post-pandémie.
Sortant d’une sécheresse historique en Europe, le Parlement a également voté une résolution « d’importance » pour mieux accompagner l’existant et renforcer le « système assurantiel » européen. Un sujet qui se traduira dans de prochains textes inclus dans Farm to Fork.
Concernant la gestion de l’eau, là aussi des amendements français seront inscrits dans les prochains textes « pour arrêter de s’opposer bêtement lorsqu’on parle de bassines ». Si les pays au Sud sont en avance sur ces questions, la France va rattraper son retard avec le Varenne de l’eau qui donnera, à la fin des débats, des « arguments et des propositions » à inscrire dans le cadre européen.

Aides sociétales et rurales

Enfin, la réforme de la Pac 2023-2027 se veut à la hauteur du besoin de renouveler les générations et renforcer les installations. « Si l’on veut relever le défi climatique, cela passera par des femmes et hommes nombreux », plaide-t-il de longue date, depuis sa présidence au JA. Un « gros » débat, car tous les pays européens n’ont pas cette vision qui va revenir lors des discussions pour renforcer l’attractivité de la ruralité. Le président de la République, Emmanuel Macron, entend porter cette voie comme il l’a affirmé aux Terres de Jim. « Les aides à l’actif devraient revenir dans les prochaines négociations Pac à la suite de la définition d’un agriculteur actif. Une partie des aides pourrait être liée, sans aller jusqu’à interdire les aides surfaciques Pac bien sûr, mais socialement et sociétalement, cela serait plus acceptable », s’est mis pour objectif Jérémy Decerle, « avant la fin de la Pac en 2024 ».