L’inflation bouleverse tous nos repères
Le contrecoup du « quoi qu’il en coûte », des Banques centrales et des gouvernements, est là : une inflation à deux chiffres qui oblige les chefs d’entreprise à revoir leur stratégie d’urgence, sous peine de voir fondre leurs réserves…

Le spécialiste de la finance Philippe Dessertine était l’invité de Cerfrance BFC, le 14 novembre dernier à Vesoul. Le professeur en sciences de gestion est venu donner une leçon d’économie en forme de stand-up aux chefs d’entreprises réunis pour l’occasion. « On est en train de changer de leader mondial et il y a des conséquences pour le monde entier, lance-t-il en préambule. La part de création de la richesse mondiale la plus importante est désormais produite par la Chine ». Une situation qui n’est pas sans évoquer pour Philippe Dessertine celle du transfert de leadership entre l’Angleterre victorienne et les États-Unis… en 1915 ! « La guerre est une conséquence de ce changement de leadership. En 1815, avec Waterloo, en 1715 à la mort de Louis XIV on observe les mêmes phénomènes : crise économique, guerres… ».
Une histoire qui se répète
L’occasion de rappeler, à travers ces exemples historiques choisis, que « l’argent n’est pas synonyme de richesse. Ce qui est déterminant, c’est la production de richesse. Quand on émet de la monnaie sans créer de richesse, ça finit par entraîner une dévaluation, une perte de confiance dans la monnaie ». Et de remarquer que l’intérêt médiatique pour les élections de mi-mandat aux États-Unis est disproportionné par rapport à celui accorder au vingtième congrès du parti communiste chinois… « Dans le monde qui est en train d’émerger, la concurrence va se jouer entre la Chine et l’Inde, les deux puissances démographiques et industrielles. Et l’enjeu sera mathématique : le calcul, la capacité à coder informatiquement les données… »
S’appuyant sur l’exemple d’une conversation avec le chauffeur de taxi qui l’a emmené de Besançon à Vesoul, Philippe Dessertine a abordé le thème de l’inflation. « On nous annonce 6,5 %, un chiffre étonnamment bas par rapport à nos voisins européens… mais les Français qui font leurs achats alimentaires pressentent qu’en réalité, c’est déjà bien plus : si on remplit son caddie avec les mêmes produits qu’avant, c’est de l’ordre de 30 % ». Dans le monde de l’entreprise, il va falloir très vite intégrer ce nouveau paradigme. « Si vous regardez votre chiffre d’affaires, n’oubliez pas de déduire l’inflation, car sinon vous n’avez rien compris à ce qui se passe, en particulier si vous avez un cycle de production long, comme la construction ou la production agricole ». De même, pour rester attractif en termes d’embauche, il est urgent d’intégrer cette inflation à deux chiffres dans la masse salariale. « On va devoir s’inspirer de ce qui se fait dans les pays qui vivent depuis longtemps avec de l’inflation : trouver des outils pour la répercuter sur les prix de vente. On crée plus de pauvreté en faisant faillite parce qu’on a engagé des moyens supérieurs aux prix de vente, qu’en augmentant ses prix ! » Et de rappeler qu’une inflation à 10 % provoque une érosion très rapide de toutes les formes de capital (épargne, assurance vie…). « C’est comme essayer de retenir du sable alors qu’on pensait avoir des lingots, vous avez beau serrer les poings, ça s’écoule ! »
Vers des pénuries d’énergie
Le spécialiste de la finance prédit aussi des pénuries d’électricité, compte tenu de la dynamique du parc de production nucléaire français. « Mon conseil, c’est de mobiliser votre cash pour investir dans des panneaux solaires, ça diminuera vos factures d’électricité et c’est une protection contre l’inflation ». Quant aux taux d’intérêt, il est probable qu’ils soient rapidement relevés, pour éviter la perte de confiance des épargnants. « C’est le prix à payer pour maintenir la confiance dans la monnaie, même si ça va retarder l’investissement et pénaliser le pouvoir d’achat ». Une récession avec de l’inflation, un cocktail dangereux…