Ferm'Inov à Jalogny
Des innovations pour s'adapter au changement climatique

Ariane Tilve
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Dans le cadre de la journée dédiée à l’élevage bovin "Fiers d’être éleveurs bovins en Bourgogne-Franche-Comté !", vendredi 10 novembre, Ferm’Inov a organisé une matinée technique en proposant quatre ateliers dont un dédié à l’adaptation aux enjeux climatiques.

Denis Chapuis expose les résuttats des essais fourragers menés par Ferm'Inov.
Denis Chapuis expose les résultats des essais fourragers menés par Ferm'Inov.

Baptisé "Adapter les élevages au changement climatique : retour sur des leviers fourragers innovantsʺ, cet atelier était animé par Denis Chapuis, conseiller expérimentation lait et fourrages à la chambre d’agriculture. Il a commencé par définir les enjeux du système fourrager. Ces changements impliquent déjà des années plus chaudes avec plus de jours caniculaires en période estivale et des aléas à prévoir, en moyenne, une année sur cinq. Si la pluviométrie reste inchangée, elle se répartit différemment sur l’année avec plus de précipitations en automne et au printemps. « Il faut également insister sur le fait que la réserve hydrique est et sera diminuée. On le voit déjà, la pluie est de moins en moins efficace pour remplir nos réserves », insiste Denis Chapuis. Moins de réserves pour arriver jusqu’aux intersaisons, mais aussi une pousse de printemps plus précoce avec un avancement de la mise à l’herbe et de la première coupe en foin. L’objectif est donc d’adapter le système fourrager, notamment le chargement et les fourrages. Il faut également récolter au printemps, plus tôt, pour distribuer l’été et faire des stocks pour faire face aux sécheresses estivales, adapter ses besoins, les chargements, les types de fourrages récoltés.

L’enjeu ici est de tester « les différents fourrages les mieux adaptés à vos besoins pour s’assurer un minimum d’autonomie par rapport aux types d’animaux que l’on veut élever, pour le lait ou l’engraissement, précise le conseiller. Faire des stocks c’est bien, mais encore faut-il qu’ils soient adaptés aux besoins de nos élevages ». Les tests, Ferm’Inov en a fait plusieurs, dont un sur le sorgho (lire notre dossier alimentation du 20 octobre 2023), mais aussi d’autres qui ont été abordés par Denis Chapuis qui prévient, avant d’entrer dans le vif du sujet que « ces méthodes risquent de bouleverser nos habitudes » en travaillant sur des dérobés en maïs.

Essais avec ray grass italien (RGI) – légumineuses/méteils

Ici, pas question de faire de la recherche expérimentale, à proprement parler, mais plutôt de travailler dans les conditions réelles des agriculteurs. C’est à Baudrières, dans la Bresse, que ces essais ont été menés sur des bandes de 30 à 50 ares, de 2015 à 2023, sans répétition. La récolte a, à chaque fois, été menée en condition d’exploitation avec analyse de matière sèche (MS) et de valeurs fourragères, ainsi qu’une pesée de chaque modalité pour évaluer le rendement. Les espèces présentes dans les mélanges sont le ray grass italien (RGI), les trèfles (flèche, squarrosum, de Perse, violet, de Micheli) et vesce (commune et velue). « L’intérêt de mettre plusieurs trèfles, au moins trois, quels qu’ils soient, pour être sûr d’en avoir. Parce que l’on sait ce qu’on sème, mais on ignore souvent ce qu’on aura à l’arrivée, prévient Denis Chapuis. Quant à la vesce, c’est un gage de qualité et de régularité dans nos mélanges. Chaque fois que l'on sème de la vesce, on est pratiquement sûr qu’elle poussera ». Le résultat des tests menés permet d’affirmer que, si l’on met plus de 50 % de RGI dans le mélange, la moyenne de rendement est plus élevée. En revanche, le taux de matière azoté (MAT) descend de 0,7 à 0,9 %. On reste donc en moyenne de 15 à 16 % de MAT en moyenne*. Pour le RGI pur, les rendements sont équivalents aux mélanges dont le RGI est inférieur à 50 %, mais les MAT sont inférieurs de 1 à 2 %. Bien sûr, il serait possible d’optimiser le ray grass pur pour arriver à 18 % de MAT, mais ce stade ne permet pas d’optimiser la production sur la durée puisqu’il n’atteint ce stade qu’une semaine environ. S’il n’est pas récolté à ce moment précis, il perd très vite en qualité énergétique. D’où l’intérêt de miser sur le trèfle et la vesce. En clair, pour conduire de façon optimale une fauche précoce, il est préférable d’optimiser les valeurs protéiques (MAT) et énergétiques (UFL). « Lorsqu’on augmente la part de légumineuse dans le mélange, on se rend également compte que la valeur est apportée par le stade précoce de récolte, insiste Denis Chapuis avant de préciser : nous avons fait deux coupes, dont la première avant de semer le maïs - entre le 15 et le 20 mai - pour ne pas pénaliser sa pousse ». Cette méthode a permis à Ferm’Inov de cumuler sept tonnes de matières sèches sur huit ans. Autre avantage, les parcelles sont libérées tôt pour laisser place aux cultures suivantes. On sécurise ainsi la régularité et la qualité des stocks pour un coût à l’hectare limité. Sans oublier que plus on met de trèfle (de légumineuse) moins on a besoin d’ajouter d’azote et que l’on économise donc environ 50 unités d’azote par rapport à un RGI pur. Cet essai a en outre le mérite d’ouvrir la voie à d’autres possibilités, comme par exemple le test de mélanges trèfles-vesce + RGI. Pour rappel, 2 % de MAT sur 7 tonnes de matière sèche par hectare (MS/ha) représentent l’équivalent de 400 kg de tourteaux de colza / ha.

Essais méteil protéiques 2015-2023

Partant du principe que le méteil du commerce est en moyenne deux fois plus cher que le ray grass, Ferm’Inov a mélangé, pour cet essai des céréales (avoine noire, seigle forestier, seigle fourrager, triticale et blé) mais aussi des pois (fourragers et protéagineux) et des vesces (de Narbonne, commune et velue) ainsi que du trèfle (squarrosum, incarnat, de Perse et vesiculé), de la féverole et RGI. « Plus il y a de céréales dans un mélange, plus on assure le rendement. En revanche la valeur MAT n’est pas forcément au rendez-vous, sachant que nous sommes toujours sur une récolte précoce, maximum au 20 mai ». Les taux de MAT plafonnent ici à 13 %, un résultat confirmé par d’autres essais réalisés au niveau de la région. Les valeurs UFL tournent, elles, autour de 0,7 ou 0,8 %. Grâce aux différents dosages testés, la ferme expérimentale de Jalogny constate que plus on baisse la part de céréales, plus la part de protéine augmente. Pour les méteils protéiques destinés à des vaches laitières, on descend à 40 kg de céréales dans le mélange auxquels ont ajouté 50 à 70 kg de féverole pour arriver 18 % de MAT, mais là, c'est le rendement qui est pénalisé. Autre conclusion primordiale, le stade de récolte qui est essentiel pour définir les caractéristiques du méteil. « Prenons l’exemple du seigle, si on le récolte au stade prévu, un peu avant le reste du mélange, les valeurs sont correctes. Mais si on récolte une à deux semaines plus tard, en même temps que les autres composants pour limiter les actions, les valeurs du seigle baissent de façon significative ». La conduite doit encore et toujours être adaptée en fonction des caractéristiques que l’on souhaite privilégier, que ce soit le rendement ou certaines valeurs. D’où l’importance de définir des objectifs en fonction du type d’élevage auquel le fourrage est destiné.

*Taux de MAT nécessaire à une ration de vache laitière.