Foncier et bâti technique
Le Domaine Normand à la pointe du bâtiment

Florence Bouville
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Dans le cadre de la journée dédiée aux Zones d’activités (ZA) animée par la chambre d’agriculture du Rhône le 24 octobre dernier, acteurs du foncier viticole ont été reçus par Sylvaine et Alain Normand, propriétaires du Domaine éponyme. Exemple même d’un bâti technique implanté au sein d’une zone commerciale. Retour sur l’histoire de la construction de ce bâtiment au look "commercial", doté de nombreux avantages.

Le Domaine Normand à la pointe du bâtiment
Le Domaine Normand, à la Roche Vineuse, est un exemple réussi de bâti vitivinicole implanté en ZAC (Zone d'activités commerciales).

La Roche-Vineuse ne fait pas exception, comme dans beaucoup de villages viticoles, « les vignes et les maisons sont implantées en coteaux », introduit Alain Normand. Cette implantation historique contraignant fortement l’expansion et le réaménagement de certains domaines.

En 1993, Alain s’installe en métayage sur 8 ha. Plus tard, en 2010, grâce à la fusion de trois exploitations, il récupère plus de terres, passant ainsi de 12 à 32 ha. Aujourd’hui, 35 ha sont cultivés. Leur maison se situe toujours au cœur du village, à un kilomètre à peine du domaine.

Construire en dehors du village historique

Souhaitant construire un nouveau bâtiment servant à la vinification, au stockage, au commerce… Sylvaine et Alain ont rencontré plusieurs personnes ayant déjà franchi le pas, pour ainsi voir ce qu’il était possible de faire. L’arrachage de vignes n’étant pas envisageable. « Tout le monde nous disait : on a construit trop petit », relate Alain. Critère essentiel : la proximité d’un axe routier. Ne serait-ce que pour faciliter les allées et venues des engins agricoles, mais aussi pour bénéficier d’une communication visuelle (panneau d’affichage sur la voie). En plus de pouvoir aisément se garer devant le Domaine, « maintenant les gens nous connaissent », souligne Sylvaine. Finalement, la séparation physique entre habitation et domaine permet de mieux cloisonner l’activité. « Avant, on n’avait presque plus de vie sociale ; les clients rentraient chez nous à n’importe quelle heure ». Autre difficulté effacée, la gêne occasionnée dans le village à cause de la circulation des semis remorque. Désormais, l’exportation de gros volumes n’est plus source de stress.

« Un outil de travail et de communication »

Lorsque les Normand ont consulté le maire, ce dernier leur a directement parlé d’un projet de Zac (Zone d’activités commerciales), en dormance, sur une aire classée depuis trente ans. Les deux vignerons ont donc lancé le mouvement en déposant la première candidature. Le couple a, par la suite, pu acheter le premier terrain de la Zac. Ce n’était pourtant pas gagné puisqu’à l’époque, la ville de Mâcon misait tout sur le pôle de Crêches-sur-Saône. « La commune nous a fait un véritable cadeau », souligne Alain, ravi de l’emplacement des terres. « On a même pu choisir notre architecture ». En effet, le Conseil municipal a adhéré à 100 % au projet architectural, rappelant un style "commercial", en total accord avec l’usage de la zone. Cet esthétisme en a apparemment quand même surpris plus d’un. « Il a fallu recommuniquer […] l’image du viticulteur entre ses quatre murs de pierres n’est plus trop d’actualité », affirme Alain. Bon nombre de vignerons et de représentants de communes se sont d’ailleurs rendus sur place, constater de visu ce nouveau bâtiment viticole. Grâce à l’activité agricole du lieu et l’obtention du statut de SARL, le domaine bénéficie de plus d’aides et d’une taxe foncière minorée, par rapport aux artisans du site. Même si le couple se revendique comme « des petits artisans, avec beaucoup de matériel et des camions remplis de bouteilles ».

« Je suis plus endetté qu’avant mais les clients semblent plus rassurés », plaisante Alain, qui raconte que leur banque historique ne les a pas suivis sur ce projet. En contrepartie d’un investissement financier conséquent, ils ont accès à des marchés et à une visibilité qu’ils n’avaient pas auparavant. La vente bouteilles du domaine a ainsi fortement augmenté, passant de 30.000 à 150.000 par an, en l’espace de seulement trois ans. « Cela nous a permis de marquer dans le marbre notre entreprise et notre image ; ce n’est plus le même domaine ».

« Il pourrait être autre chose qu’une cave »

Au moment de l’élaboration du bâti, ils n’étaient pas sûrs que leur fils reprenne le flambeau. « On n’a pas d’attachement spécialement viticole pour ce bâtiment […] on pourrait même en faire plusieurs parties », souligne Sylvaine. Alain s’est lui-même beaucoup investi dans la conception des plans, ayant toujours bien en tête tout « l’espace nécessaire ». « La salle où nous nous trouvons n’était pas prévue », ajoute-t-il en souriant. Cet espace étant dédié aux séminaires d’entreprise.

Aujourd’hui, le couple ne voit aucun inconvénient majeur à leur implantation en Zac et à la construction de ce type de bâtiment (2.000 m²), au contraire. À ce jour, la zone est complète, accueillant au total sept entreprises. Entre 50 et 60 personnes y travaillent quotidiennement.

Pour l’instant, le Domaine peine à retrouver un(e) remplaçant(e) pour animer l’espace boutique et caveau. Ils jonglent à trois pour se répartir les horaires et sont contraints de ne plus ouvrir le samedi. En sachant que les consommateurs expriment de plus en plus le souhait de rencontrer en personne le vigneron. De plus, en Bourgogne, la mutualisation d’un magasin est rare.

« On produit notre électricité », poursuit Sylvaine, lors de la visite extérieure. Grâce à un traqueur solaire de 120 m², posé en 2021 et fabriqué par une entreprise basée à Sancé. L’entreprise gère toute la maintenance et les réglages (inclinaison variable). Les Normand louent le traqueur pour une durée de dix ans, renouvelable. Les commerçants de la Zac réfléchissent d’ailleurs à en installer un deuxième, mutualisé. Prochain projet en vue pour le domaine : la récupération de toutes les eaux de pluie.

Ainsi, le concept de pôle "artisano-agricole", implanté sur des surfaces qui ne sont pas démesurées, apparaît intéressant et recherché. D’autant plus sur des communes rurales à proximité d’agglomérations. Bien sûr, lorsque cela est possible, mieux vaut « utiliser l’existant » mais il n’empêche que « nous avons besoin d’autres modèles », conclut Daniel Bulliat, vice-président d’Inter Beaujolais. Comme nous l’avions vu dans le premier volet de cette journée (lire notre édition du 10 novembre), la construction d’une ZA 100 % agricole peut-être une option, mais soulève des questions. À commencer par le regroupement d’une unique catégorie socioprofessionnelle. De même, en termes de durabilité, les acteurs publics penchent plus pour la pluridisciplinarité des usages, afin de ne pas forcément cantonner le bâti à une activité viticole. Le débat reste ouvert.

PLU

Limiter les changements de destination

Le contexte réglementaire actuel limite les constructions en zone agricole. D’après le Tribunal administratif de Lyon (20/10/2022), "la construction d’une maison d’habitation à proximité des bâtiments techniques d’une exploitation viticole ne peut être regardée comme nécessaire à l’exploitation". D’autre part, « dans le PLU, 99 % des bâtiments peuvent faire l’objet d’un changement de destination », passant du statut "agricole" à "habitation", explique Valentine Lucot, conseillère foncière urbanisme à la chambre d’agriculture du Rhône. « L’objectif est donc de limiter cette action et de préserver le bâti agricole existant », poursuit-elle. Une grille de huit critères a d’ailleurs été validée par la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) en juillet 2023. Parmi ces critères figurent l’accessibilité du bâtiment et son utilisation, les subventions, l’impact sur le mitage… Cette grille vise ainsi à harmoniser les critères d’expertises et homogénéiser les pratiques dans le département, notamment au regard des objectifs de la Zan (Zéro artificialisation nette). Autre exemple inspirant, celui de la Communauté d’agglomération Hérault Méditerranée (lire notre édition du 10/11/23), qui a créé un lotissement en sous-secteur Ah du zonage A du PLU, permettant aux agriculteurs de stocker leur matériel agricole et le cas échéant, d’habiter sur place.