Série sur le matériel végétal
Porte-greffes, histoire et adaptabilité face aux enjeux climatiques

Charlotte Favarel
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Dans le cadre des rendez-vous techniques modernisation et du plan national dépérissement du vignoble, la chambre d’agriculture du Rhône est intervenue aux côtés de l’IFV-Sicarex sur le sujet des porte-greffes et de leur adaptabilité au changement climatique le 2 novembre, à Fleurie.

Porte-greffes, histoire et adaptabilité face aux enjeux climatiques
« Il faut compter 10 à 20 ans pour avoir des résultats sur un porte-greffe »

Reprenons le cours de l’histoire des porte-greffes pour comprendre face à quels enjeux se tient le matériel végétal aujourd’hui. À la fin du 19ᵉ siècle, en 1863, le phylloxéra, insecte piqueur, commence à faire des premiers dégâts en France et en Angleterre. « Il attaque la racine de la vigne et on a d’abord cherché à l’époque un moyen efficace contre ce puceron », retrace Taran Limousin, ingénieur spécialisé en matériel végétal à l’IFV – Sicarex. S’il existe toujours aujourd’hui dans le vignoble, « les dégâts qu’il a causé à l’époque sur les racines des ceps européens ont gêné l’alimentation de la vigne, conduisant à la mort du cep ». Il faut attendre 1869 pour découvrir la résistance des espèces américaines, présentant des signes de galles, mais ne mourant pas. Deux techniques sont alors mises au jour pour lutter contre ce puceron : « le greffage avec l’espèce américaine qui résistait, et le sulfure de carbone. On notait une opposition entre ces deux techniques, mais le greffage a été privilégié », rapporte l’ingénieur.

Trois espèces historiques

Si les espèces américaines résistent bien face au phylloxéra, « c’est qu’elles ont évolué avec ». Originaire du Nord des États-Unis, l’espèce Riparia « affectionne l’eau, car elle se développe dans la région des grands lacs, elle est donc tolérante à l’humidité ». Rupestris lui, présente l’avantage de résister à la sécheresse. Établie au sud des États-Unis, cette espèce montre une résistance insuffisante en France face au calcaire. Quant à Berliandieri, elle, est connue pour résister au calcaire actif.

C’est à partir de ces espèces que de nouvelles, hybrides, ont vu le jour. « Rupestris et Berlandieri donnent une espèce tolérante à la sécheresse et résistante à plusieurs doses de calcaire actif », illustre Taran Limousin. Le porte-greffe Vialla est un hybride entre Riparia et Labrusca. Actuellement en France, 31 porte-greffes sont autorisés et seulement 6 d’entre eux couvrent 75 % des surfaces et greffages.

Comment choisir son porte-greffe

Différents critères se présentent face au choix du porte-greffe, Taran Limousin en a listé quatre majeurs à prendre en compte : la résistance aux parasites du sol (phylloxéra, nématodes endoparasites, nématodes ectoparasites et court-noué), l’adaptation aux conditions pédoclimatiques (tolérance au calcaire ou à l’acidité, à la sécheresse ou à l’humidité, à la profondeur du sol, à la fertilité agronomique, à l’alimentation minérale, etc.), « ce choix se fait surtout en fonction du type de sol ». Troisième critère : l’interaction avec le greffon (vigueur conférée, précocité du débourrement et de la maturité, rapidité de mise à fruit, rendement et qualité, compatibilité) et enfin, sa disponibilité en pépinière : « certains porte-greffes ne sont pas disponibles, car les vignes mères sont très peu nombreuses ». Il faut donc prendre en compte la surface de vigne mère, la production de bois par ha, la facilité de débouturage, la reprise au greffage et la résistance aux parasites.

Plusieurs espèces hybrides différentes se révèlent alors plus ou moins sensibles au phylloxéra, tolérantes à la chlorose, à la sécheresse, présentant une bonne ou mauvaise absorption du potassium ou du magnésium, certaines sont plus vigoureuses que d’autres etc. Mais l’ingénieur attire l’attention sur un élément essentiel : « les seuils documentés dans la bibliographie ne se vérifient pas forcément au vignoble. Il y a des disparités en fonction des études et des lieux, même avec un même protocole ».

Et dans les vignobles Mâconnais-Beaujolais ?

Plusieurs études ont été réalisées à Charnay-lès-Mâcon, Pouilly, Liergues, Régnié-Durette, Odenas et Fleurie par l’IFV sur différents types de sols. « Pour tester un porte-greffe et avoir des résultats, il faut compter 10 à 20 ans. Il est aussi important de ne pas tirer de conclusions hâtives parce que c’est en fonction du type de sol que ça se joue », prévient Taran Limousin. Sol granitique profond, superficiel, sol argilo-siliceux, argilo-calcaire, ce ne sont pas moins de 14 porte-greffes qui ont été expérimentés entre les années 1980 et 2003. Tous les résultats ont été consignés par l’IFV afin de pouvoir comparer les porte-greffes en fonction du type de sol et de leur efficacité face à différentes caractéristiques. (Voir tableau)

Afin de continuer la recherche sur le matériel végétal et les porte-greffes, plusieurs acteurs institutionnels et de recherche se réunissent au niveau national pour créer une base de données. PGvigne.net entend rassembler les données d’expérimentation. « L’objectif de ce projet est d’analyser les données récoltées des différentes expérimentations pour identifier des porte-greffes qui seraient candidats à l’inscription au catalogue », précise Taran Limousin. L’heure est aujourd’hui à la saisie de données, l’objectif en 2024 est de les analyser et de pouvoir les valoriser en 2025.

Des projets de recherche sur le matériel végétal

Le dépérissement du vignoble est dépendant de plusieurs causes : biologiques, culturales et abiotiques. Chaque année, rien que pour le vignoble du Beaujolais, « ce sont environ 60.000 hl de perdus à cause du dépérissement », alertait Thibault Laugâa au début de réunion. Pour contrer ces pertes et s’adapter, plusieurs projets de recherche ont vu le jour sur le matériel végétal.

· Projet Origine : il a pour objectifs de comprendre les points déterminants de la production, d’améliorer le taux de reprise au greffage et la maîtrise de la production de plant et d’assurer la longévité du vignoble. Comprendre les facteurs de dépérissement des jeunes plants pour améliorer les procédés fait partie intégrante du projet. L’imagerie vient en appui.

· Projet Vitis Explorer : comme son nom l’indique, un véritable moteur de recherche dédié aux plants. L’objectif de ce projet est de structurer des données agronomiques et œnologiques, des programmes régionaux de création variétale et de développer des outils nationaux pour valoriser les résultats de ces essais dans tous les vignobles.

· Projet Qanopée : le projet Quart Nord-Est Prémultiplication Collective attend les premiers plants pour 2027. Le 17 octobre 2023, la première pierre de la serre a été posée en Champagne. Les interprofessions du Beaujolais, de la Bourgogne et de Champagne sont parties prenantes du projet, pour produire du matériel végétal, à savoir greffons et porte-greffes.

C.F.