Flavescence dorée
Du nouveau dans la lutte contre la flavescence dorée ?

Ariane Tilve
-

Dans le cadre de la commission Viticulture Œnologie Bio, l’IFV et l’ITAB organisaient en décembre deux webinaires sur la flavescence dorée (FD). Après vous avoir résumé, dans notre précédente édition, les dernières connaissances scientifiques sur le phytoplasme et la cicadelle, voici un retour sur les stratégies de lutte en viticulture conventionnelle et biologique.

Du nouveau dans la lutte contre la flavescence dorée ?

On ne cessera jamais de le rappeler, la prévention est essentielle dans la lutte contre la flavescence dorée (FD). D’autant plus que l’efficacité de la lutte établie par les arrêtés préfectoraux montre parfois ses limites. « D’abord parce qu’il est impossible de prendre en compte l’hétérogénéité spatiale des pressions à une échelle fine. Ensuite, parce que la réflexion de la gestion de la maladie a tendance à se figer en zone contaminée », insiste Antoine Verpi, directeur du GDON du Libournais. En clair, il peut y avoir, sur le terrain, des manquements au niveau du traitement à l’échelle individuelle. Des manquements qui entraînent des recontaminations régulières, plus ou moins graves. En conséquence, les collectivités imposent des traitements obligatoires. Et puisque ces traitements incessants démoralisent les vignerons, qui ne voient pas la maladie disparaître pour autant, certains finissent par douter du bien-fondé de la stratégie de lutte contre la FD, ce qui peut pousser un exploitant à des manquements à l’échelle individuelle, d’où la recontamination… La boucle est bouclée.

Pour sortir de ce cercle invertueux, les Groupements de défense contre les organismes nuisibles (GDONS) ont la possibilité de souscrire à un programme de gestion dérogatoire de la FD. Dérogatoire à l’arrêté préfectoral dans le cadre d’un cahier des charges signé avec Fredon, organisme à vocation sanitaire. Chaque cahier des charges peut être individualisé, mais tous reposent sur une approche similaire : plus l’évaluation des risques est précise, plus l’adaptation des consignes de lutte sera importante. Pour mettre en place un tel cahier des charges, Antoine Verpi conseille de définir le plus précisément possible les modalités de prospection, qu’elles soient cycliques, c’est-à-dire une surveillance d’un quart du vignoble par an, suffit à gérer les gros foyers. On peut également opter pour une prospection des foyers actifs pour éviter les redéploiements. Pour cela, il faut attendre la fin de l’expression des symptômes pour surveiller la totalité des parcelles contaminées. Attention à ne pas oublier de prospecter les parcelles antérieurement contaminées dont certains ceps peuvent remontrer des symptômes au bout de trois ou quatre ans. Enfin, dernière possibilité, la prospection d’assainissement, pour démontrer l’absence de FD, qui permet de stopper les traitements obligatoires, mais suppose une motivation inébranlable des viticulteurs. C’est l’option choisie par l'ODG Pouilly-Fuissé, qui de plus, dans son cahier des charges, a choisi de ne plus permettre l'utilisation de produits phytosanitaires CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique).

Surveiller l’arrachage

L’absence de mise en œuvre des consignes d’arrachage est souvent sous-estimée. « Sans contrôle, 30 à 50 % des pieds contaminés ne sont pas arrachés au 1er avril de l’année suivante, martèle Antoine Verpi. Il y a, de surcroît, de nombreux pieds coupés qui s’avèrent plus dangereux qu’un cep entier, particulièrement en bio, et lorsqu’on coupe un pied il y a un important risque de repousse de porte-greffe contaminée, mais asymptomatiques ». L'arrachage est nécessaire. Pour ce qui est de la surveillance du vecteur, on peut fixer un seuil de population à ne pas atteindre* avant d’avoir recours à des pièges. Si ce seuil est dépassé, on peut décider de procéder au d’argumenter le nombre de traitements insecticides pour les vecteurs adultes. Un levier d’action inadapté en bio. Si le seuil n’est pas atteint, c’est que le traitement contre les larves a, lui, été suffisamment efficace. Il existe un autre levier d’action pour limiter les traitements, qui n’est autre que la réduction de la superficie à traiter. Au lieu de s’étendre sur un département entier, le traitement se fait à la commune avec adulticide, voire géré par section cadastrale. Ou bien, on peut limiter le traitement obligatoire à un cercle de parcelles autour du foyer détecté pour et ainsi libérer les autres de cette contrainte. Mis bout à bout, ces « petits gestes » ont permis une économie de traitements obligatoire de 83 % dans le Libournais, c’est une économie financière en conséquence. « Le plan de lutte peut être adapté à chaque situation, conclut Antoine Verpi. Il dégage rapidement des bénéfices techniques et financiers et rend la lutte obligatoire plus légitime du point de vue du producteur ».

On fait comment en bio ?

En bio la gestion de la cicadelle repose sur le pyrèthre naturel, un insecticide à base d’extraits de chrysanthèmes qui agit de façon neurotoxique, par contact. En clair, le pyrèthre va bloquer le système musculaire de l’insecte et entraîner des troubles neurologiques. Pour optimiser son utilisation, il est souhaitable d’effectuer un épamprage, d’abord parce qu’il y a souvent plus de larves sur ces feuilles, mais aussi parce que l’insecticide y est moins efficace. « L’aspiration permet également de récupérer en moyenne un vecteur adulte par feuille, même les ceps traités » ajoute Margot Huet, chargée de mission technique viticole chez Sudvinbio. Elle recommande en outre une qualité de pulvérisation irréprochable, pour bien couvrir la face inférieure de la feuille et le cœur de la souche, où se trouvent les larves, ce qui implique un matériel bien réglé.

Si la toxicité de ce traitement est faible, il peut entraîner des troubles respiratoires, des maux de tête, voire des convulsions chez certains mammifères. Le pyrèthre est pratiquement inoffensif pour les oiseaux, il est en revanche dangereux pour les invertébrés aquatiques ainsi que pour les pollinisateurs tels que les abeilles ou les bourdons. Les dates de traitements sont communiquées par arrêtés préfectoraux. Trois applications maximum par hectare et par an, sachant que le pyrèthre est plus efficace sur les larves que sur les adultes. Une étude Sudvinbio montre que l’humidité relative semble jouer un rôle dans l’efficacité du traitement. « Traiter après 19 heures augmente de 25 % en moyenne l'efficacité d'un traitement avant 9 heures du matin. Entre les deux, les traitements sont loin d’être efficaces », déconseille Margot Huet. Une autre étude a en effet démontré, la dégradation accélérée du pyrèthre naturel dû aux UV. Il y a sans doute d’autres facteurs, dont la qualité de pulvérisation qui fait actuellement l’objet d’études, sachant que c’est sur la face inférieure des feuilles que l’on retrouve le plus de larves, il faut bien traiter les deux côtés des feuilles. Des données particulièrement importantes lorsque l'on connaît le prix de pyrèthres naturels, environ 40 euros par litre/hectare après une augmentation de 10 % cette année. Pour choisir la date du traitement, dans le respect des arrêtés préfectoraux, « il est important d’observer les stades larvaires sur les parcelles, insiste Claire Maisonneuve, technicienne en viticulture bio chez Agrobiopérigord. Il existe un protocole dérogatoire d’aménagement de la lutte contre la FD qui implique d’observer le stade larvaire avec comptage sur les parcelles économiser un traitement  ». On réalise un comptage sur 100 feuilles. S’il n’y a pas de larve, il n’y a pas de traitement. Entre une et deux larves, un second traitement est recommandé. S’il y a plus de six larves pour 100 feuilles, un dernier traitement est obligatoire. S'il y a moins de six larves sur 200 feuilles, on peut s’en passer. L’étude menée depuis 2015 démontre qu’un tel décompte permet d’économiser plus de 80 % d’insecticide naturel.

Les recherches en cours

Pour lutter contre la FD, pas question de rester sur ses acquis. La recherche est un allié de taille, utilisé sur tous les terrains, comme le rappelle Nicolas Constant, référent viticulture biologique, IFV. « Des tests sont en cours pour comprendre les moyens pour la cicadelle d’ingérer le phytoplasme, à l’Inrae Bordeaux qui s’est également penché sur le génotypage des souches de FD. Trois souches ont déjà été identifiées, dont une qui est moins épidémique, ce qui est pris en compte dans les obligations de traitement de certains secteurs ».  On sait en revanche, grâce à Sudvinbio, que les pontes se font principalement sur la tête de souche et les cordons. « On sait également qu’elles tombent régulièrement au cours de la saison, mais pour l’heure aucun nouveau moyen de lutte n’en découle » ajoute le directeur. Autre précision qui a son importance, il existe d’autres vecteurs que la cicadelle mais le risque épidémique est infime.

La France doit également rattraper son retard sur l’Italie en ce qui concerne les différentes sensibilités à la maladie en fonction des cépages, à la demande notamment de plusieurs appellations. D’autres encore mises sur la technologie et espèrent mettre au point des capteurs embarqués sur drone ou sur enjambeur, « mais pour l’heure les capteurs ne sont pas au point », précise Nicolas Constant. L'intelligence artificielle (deep learning) promet d'y arriver plus vite.

*Le seuil est en moyenne de trois adultes par semaine, voire moins en zones contaminées.