Marchés export des vins de Bourgogne
Marchés export des vins de Bourgogne : trois crises majeures encore en cours

Cédric MICHELIN
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Taxes américaines, Brexit et pandémie de Covid-19 se sont télescopés en 2020. Depuis, les marchés export des vins de Bourgogne peinent à retrouver leurs repères habituels. Si ces crises n’ont pas été aussi délétères que ce qui était craint au départ, leurs véritables natures pourraient se révéler avec le millésime 2022, les trésoreries devant composer avec une moitié de récolte.

Marchés export des vins de Bourgogne : trois crises majeures encore en cours

Lors de Vinosphère 2022, le BIVB avait invité Carole Maurel de l’Université de Montpellier qui étudie les effets des crises 2019-2020. « Taxes Trump, Brexit et Covid sont trois crises majeures concomitantes que l’on continue à vivre ». L’enquête menée auprès de nombreux metteurs en marchés français, dont un tiers de bourguignons, révèle, paradoxalement, que « certaines entreprises ont connu des pertes de clients et de marchés mais au final, la situation est moins dramatique pour les acteurs ayant des débouchés export ». Par contre, la vraie crise pourrait être pour bientôt : « les tensions sont fortes sur les trésoreries pour certains » avec la hausse des charges. Et ce, pas uniquement pour les producteurs mais bien pour toute la chaîne de metteurs en marché.

L’économiste rentrait donc dans les détails. Les effets ont été différents selon le profil des exportateurs : s’ils étaient ou non fortement « exposés » aux États-Unis, s’ils avaient anticipé le Brexit et la logistique, s’ils étaient à l’aise avec les nouvelles déclarations douanières, etc. Les effets du Covid auront été supérieurs aux surtaxes américaines, le Brexit n’ayant que peu d’impact comparativement. « Taxes Trump et Brexit ont été des crises tellement longues que les entreprises ont eu le temps de s’adapter ». L’adaptation s’est faite principalement du côté de l’organisation, comme de l’adaptation de l’offre. Néanmoins peu de pertes de clients et de part de marché sont à noter. La filière s’est montrée « résiliente » dans son ensemble.

Réorientation des marchés

Les opérateurs à l’export avaient néanmoins la pression puisque les marchés domestiques français et européen tournaient au ralenti avec les restrictions liées au Covid, notamment les circuits Cafés, hôtels, restaurants (CHR). Rajouter à ce tableau des niveaux de stocks et de nouvelles récoltes qui « commençaient à faire trembler » en avril 2021 les cours des vins en amont. La recherche de marchés valorisés battait son plein…

Ainsi, la filière vins a su réagir en augmentant ses ventes directes et surtout ses ventes numériques, via le e-commerce. « L’occasion de développer ses outils ou s’y mettre alors qu’avant, vous n’aviez pas forcément le temps », souligne Carole Maurel qui note aussi des avancées sur les démarches RSE (responsabilité sociétale des entreprises).

Après les problèmes de logistiques, les fermetures CHR, l’annulation des salons… et avec un patient travail de fond « pour ne pas perdre le lien » avec les clients, les exportateurs étaient totalement prêts lorsque les marchés « redémarraient ». Pour l’heure, la situation semble stabilisée : le stockage est géré en Angleterre et les surtaxes américaines ne se renégocieront qu’en 2026. « Les exportateurs aussi ont fait des efforts pour parer au Brexit et aux taxes Trump ».

Un renouveau des entreprises

Les entreprises se seront en tout cas « renouvelées » à l’export pendant ce laps de temps 2019-2021. « Avec de nouveaux circuits de ventes alternatifs », Carole Maurel positivait et veut voir une meilleure ventilation des ventes entre négoces, grande distribution et Internet ou encore un recentrage sur les marchés européens.

Les entreprises se sont aussi regroupées pour expédier via de nouveaux partenaires. Parmi les éléments plus subits en raison de la conjoncture, il a fallu optimiser la logistique, les flux étant « tendus » que ce soit pour l’expédition des vins comme pour s’approvisionner en matières sèches… La digitalisation « à marche forcée » a développé la prospection Internet, les rendez-vous virtuels, les e-dégustations, les e-salons…
Tout ceci a néanmoins obligé les entreprises à contracter des prêts à courts termes pour éviter des problèmes de trésorerie à court terme. Ces prêts sont en cours de remboursement ou de (re) négociation de délai de paiement.

Les commerciaux en plein doute

Mais ceux qui ont peut-être vécu le plus de changements durant cette période sont les « commerciaux export ». « Leur métier a connu un vrai questionnement de fonds, obligés de faire évoluer leur métier pour continuer l’activité et pour s’adapter à tous ces enjeux ». Ces hommes et femmes se sont même retrouvés complètement déboussolés, cloués au sol ou plutôt au bureau. Le bon côté : ils ont pu participer aux projets de développement de l’entreprise avec le reste des équipes, ils se sont « mis en pause pour réfléchir, se réinventer, se former… ». Tout ceci avec de difficiles baisses des ventes à gérer.
S’en trouvent des relations renforcées avec les grandes enseignes de distribution, la hausse des contacts avec les cavistes, le développement des bag-in-box, des compétences dans le e-commerce… L’occasion aussi d’innover avec des dégustations en visioconférences ou le développement des réseaux sociaux avec le recrutement de stagiaires, d’alternants qui ont « renouvelé » les liens sociaux dans l’entreprise également.
Mais de l’autre côté, beaucoup d’énergie « perdue » à rassurer les clients et de doutes avec l’annulation en série des salons. Dernier point et pas des moindres, ils ont pu « passer du temps en famille et trouver un nouvel équilibre », autant de remises en question personnelles sur l’intérêt même du métier, « rationaliser des voyages d’affaires pour un rendez-vous de 20 minutes »… et un sentiment « d’abattage » avec les négociateurs féroces des centrales d’achats.

Des pratiques à pérenniser

Que restera-t-il après ? Même s’il est encore trop tôt pour le dire, il semblerait que la tendance est à une diminution des listes de vins dans les restaurants. Les clients ont par contre pris l’habitude – sans forcément tous apprécier – de scanner des QR code, pour leur pass sanitaire ou pour les cartes des vins et menus des restaurants. Une digitalisation qui s’est donc démocratisée dans les pratiques quotidiennes mais côté professionnel, qui devrait finalement plus être des outils pour la fidélisation des clients que pour leur prospection. Le symbole est évidemment la communication via les réseaux sociaux qui n’ont pas forcément débouché sur des ventes via ce canal. L’arrivée de sang neuf dans les entreprises aura été précieuse pour gérer tous ces nouveaux canaux et à l’inverse la solidarité intergénérationnelle à jouer à fond. Pour Carole Maurel, un juste équilibre est maintenant à trouver : « le tout digital n’est pas souhaitable, le contact et les liens humains sont nécessaires ». Surtout avec la raréfaction des stocks de vins à venir en raison de la faible récolte 2022 qui va se faire ressentir l’année prochaine. « Ce qui fait peur maintenant à la Bourgogne, avec des prix de vente déjà positionnés sur le haut de gamme, c’est qu’une nouvelle augmentation des prix ne va pas être possible ni suffisante pour contrebalancer les pertes de la récolte 2022. Il va falloir gérer les tensions sur la trésorerie (besoin en fonds de roulement), en se réinventant et en développant les exportations ».

La forte rentabilité de la Bourgogne 

Une étude du Crédit Agricole observant les entreprises agroalimentaires de mars 2021 à janvier 2022 montre des indicateurs financiers particuliers pour la Bourgogne comparativement aux autres vignobles français. « La Bourgogne conserve un ratio conforme à ses performances habituelles (Ebitda/CA = 8,7 %) grâce notamment aux performances des petites entreprises (12,2 %, toujours en hausse). À l’inverse donc des autres vignobles français qui voient cette rentabilité d’exploitation baisser de -17 % en 2020 par rapport à 2019 ». Leurs résultats nets sont d’ailleurs globalement inférieurs de 30 % à la moyenne des quatre années précédentes. Résultat : 20 % des entreprises sont en déficit (contre 15 % en 2019). De nombreuses entreprises de la filière agroalimentaire ont réduit fortement leurs investissements. Alors que la rentabilité économique (Roce) est en net retrait (2,8 à 4 %) en 2019 en raison de la baisse des revenus et des hausses de capitaux engagés, la Bourgogne au contraire, enregistre la plus forte rentabilité après la Champagne et même au-dessus d’elle en 2020 (3,7 % contre 4 % en 2019)