Le confinement de la population à domicile d'un côté, la fermeture des marchés de plein air, des restaurants, fleuristes, jardineries… de l'autre. Les mesures de lutte contre le coronavirus chambardent complètement toutes les filières agricoles et agroalimentaires. Grands gagnants en revanche, les grandes surfaces, l’e-commerce et les livraisons. L’appel à privilégier les produits français semblent accepter de tous, même des clients ?

Comment le confinement chambarde toutes les filières

Samedi 14 mars à minuit, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé la fermeture dès minuit et « jusqu’à nouvel ordre » de tous les restaurants, appelant les Français à « plus de discipline » face à la pandémie de coronavirus. Quelques jours plus tard, l’ensemble des Français sont appelés à rester confinés chez eux. De quoi bouleverser drastiquement les habitudes de consommation alors qu’un repas sur cinq est pris en dehors de la maison.
Nombreuses sont les filières à avoir dernièrement misé sur ce débouché en forte croissance. Même si c'est souvent au profit des importations (notamment de volailles de chair). Aujourd’hui, le coup d’arrêt est net à quelques exceptions près (Ehpad…). « Avec la fermeture des écoles et des universités, c’est 46 % de la restauration collective qui est à l’arrêt », observe Marie-Cécile Rollin, directrice de Restau’co, représentant de la restauration collective en gestion directe.
Aussi, pour l’ensemble de la restauration hors domicile (RHD, collective et commerciale), l’activité pourrait diminuer de moitié. « Entre -20 % et - 30 % en mars et de -35 % à -50 % en avril si le confinement se poursuit », estime François Blouin, président fondateur du cabinet d’études Food service vision, spécialiste de la consommation hors domicile. Le Comité scientifique du gouvernement préconise un confinement durci jusqu’à fin avril…

Un report vers la grande distribution

En parallèle, la demande en grandes surfaces explose. Dès les premières annonces du président de la République de fermeture des écoles et de mise en place du télétravail le 12 mars dernier, « les ventes des produits de grande consommation ont doublé sur l’ensemble de la journée » du lendemain, indique Nielsen. Il s’est vendu cinq fois plus de pâtes alimentaires que d’habitude sur le vendredi 13 mars malgré les ruptures dans certains magasins.
Nombre de producteurs et transformateurs tentent donc de transférer leurs marchandises vers les grandes surfaces. Mais entre la grande distribution et la RHD, les produits et les conditionnements ne sont pas les mêmes, ce qui engendre bon nombre de difficultés et demande du temps. « Les transferts ne se font pas si rapidement. Il y a souvent un besoin de reconditionnement », remarque François Blouin, de Food service vision.
« Nous faisons des réunions de crise avec les interprofessions laitières et fruits et légumes, notamment pour voir si les produits peuvent aller à destination de la grande distribution », explique Marie-Cécile Rollin de Restau’co. « Mais les réseaux de distribution sont complètement séparés. Les codes ne sont par exemple pas toujours les mêmes », se désole-t-elle.
En amont, ce sont l’ensemble des maillons de la chaîne alimentaire qui sont touchés. Tout particulièrement ceux proposant des produits périssables, s’altérant rapidement ou devant être rapidement transformés. Sont d’autant plus touchées les entreprises tournées vers l’international car il n’y a pas que les restaurants français qui sont fermés. De nombreux pays ont également pris des mesures de confinement. Pour les fruits et légumes frais, la situation est particulièrement délicate. « Il y aura forcément une partie de destruction », ajoute Laurent Grandin, président de l’interprofession des fruits et légumes frais (Interfel). Ces denrées particulièrement périssables ne pourront pas être valorisées autrement – en conserverie ou via d’autres activités de transformation - ou alors, en quantité très marginale.

Trop de lait, pas assez de tours

Dans la filière laitière, la chute de la RHD est l'une des priorités de gestion de crise. La baisse de consommation de produits laitiers en restauration collective avoisine les 60 %, rapportait l’interprofession laitière, le Cniel, le 17 mars. Si, pour le moment, la demande de la grande distribution prend le relais, la RHD représente 10 % des fabrications françaises de produits laitiers à destination du marché français. Et avec l’arrivée du printemps et du pic de collecte, la situation risque de se tendre encore plus. À cette période, les outils de transformation sont saturés, et notamment les tours de séchage utilisées pour transformer le lait en surplus. « Le printemps va être compliqué », prédit Damien Lacombe, président de la Coopération agricole laitière, appelant les éleveurs « à lisser la courbe de collecte ». Autre difficulté pour la filière laitière : le marché de la RHD étant fermé, la valorisation de la viande de réforme devient plus compliquée.

La viande en GMS et boucheries

Justement, pour les filières viande, la fermeture des restaurants a brutalement privé les industriels de « 85 à 90 % de leurs débouchés en RHD », constate Thierry Meyer, responsable porc chez Bigard et Culture Viande. Un ordre de grandeur confirmé par la Fedev (fédération des métiers de la viande). L’impact reste cependant difficile à préciser au niveau national. « Globalement, les grandes enseignes de restauration rapide ont fermé leurs restaurants », observe Thierry Meyer. Par contre, le report s’est fait massivement vers la grande distribution et les commerces traditionnels (boucheries-charcuteries), où les ventes ont « littéralement explosé », assure-t-il.
Assez pour compenser les volumes perdus en restauration ? « Globalement oui, répond le responsable de Bigard. Il y a un bon transfert, même s’il ne se fait pas forcément dans les mêmes entreprises ». Les petites entreprises, livrant en RHD donc spécialisées, n’arrivent, elles, pas à basculer leurs ventes vers la grande distribution qui nécessite d’être référencé.
Globalement, « la consommation de viande ne baisse pas », souffle Hervé des Déserts. Mais pour combien de temps ? Après la frénésie de stockage qui s’est emparée des Français dans les premiers jours de l’épidémie viendra probablement le « syndrome du congélateur plein », prévient Paul Rouche. Mais avec six semaines de confinement, ils devraient avoir le temps de se vider...

Agneau : reprise des cours incertaine

Une reprise avortée du cours de l’agneau français, c’est ce que redoutent les professionnels de la filière ovine à quelques semaines de Pâques. « On peut s’attendre à un report de consommation de la RHD vers la GMS, mais ce report va probablement pénaliser la consommation d’agneau qui a beaucoup lieu hors domicile », analyse l’Institut de l’élevage. « Pâques arrive, mais on ne sait pas ce que ça va donner en agneau (ou chevreau), s’interroge Hervé des Déserts, car c’est une viande festive que les gens mangent habituellement en famille ».

Les livraisons de semences dans une course contre la montre

Alors que les emblavements s’accélèrent avec le retour du soleil, une course contre la montre est lancée pour la livraison des semences.

Les achats d’aliments du bétail bondissent

Alors que les achats d’aliments du bétail ont bondi d’environ 30 % ces derniers jours, les fabricants d’alimentation animale alertent sur des dysfonctionnements dans la chaîne logistique. Un sujet qui affecte toutes les industries agroalimentaires. « Nous avions anticipé en rechargeant nos usines en matières premières », précise François Cholat, président du Snia (industriels). Cette hausse n’est pas appelée à durer, en raison de la mise à l’herbe des bovins qui a commencé, mais aussi car « les capacités de réception de nos clients ne sont pas extensibles ». Pour les industriels de l’alimentation animale, « les transports, c’est le point crucial aujourd’hui », martèle-t-il. Même si, « globalement, il n’y a pas de gros problèmes d’approvisionnement », les mesures sanitaires liées au coronavirus provoquent des difficultés logistiques de deux ordres. Premier problème, « on manque de chauffeurs », constate-t-il, entre ceux qui sont tombés malades, ceux qui restent à la maison pour garder leurs enfants et ceux qui ont fait valoir leur droit de retrait.
De son côté, le président de l’Association des industries alimentaires (Ania), Richard Girardot, prévient aussi sur des tensions dans la chaîne logistique, rappelant qu'« en temps de guerre, sans logistique une armée n’est rien ». Le gouvernement multiplie les demandes de permettre aux camions de rouler et rassurer les chauffeurs, au sujet notamment des stations-services et des garages pour poids lourds.

Bienvenue à la ferme s'attend à un effet « négatif »

Le président délégué national de Bienvenue à la ferme (vente directe, séjour à la ferme), Jean-Marie Lenfant, s’attend à un effet « négatif » du coronavirus sur une bonne partie des producteurs fermiers du réseau. Ces derniers sont engagés dans des activités de vente à la ferme et sur les marchés, dans les magasins de producteurs, en grandes surfaces, auprès de restaurants et de la restauration collective.

Une poussée des ventes en e-commerce

La pandémie de Covid-19 tire le drive vers des sommets : une accélération des ventes quatre fois plus forte que dans les autres circuits de distribution y a été observée du 2 au 8 mars, selon Nielsen. Une explosion des ventes qui profite notamment à l’épicerie : pâtes (+ 114 %), riz (+ 111 %), légumes secs (+ 106 %), plats cuisinés épicerie (+ 101 %), farine (+ 96 %), purées déshydratées (+ 84 %), poissons surgelés (+ 75 %).

Les vétérinaires appelés à se concentrer sur les actes urgents

Dans un message vidéo diffusé le 17 mars, Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, appelle les praticiens à « réduire drastiquement [leurs] déplacements et [leur] activité professionnelle » pour cause de coronavirus. Avant de prendre en charge la demande d’un client, les professionnels doivent désormais « apprécier si la demande peut être différée », préconise l’Ordre des vétérinaires. Dans le détail, les actes prioritaires en élevages sont les « interventions chirurgicales et médicales d’urgence (obstétrique, déplacement de caillette, etc.) », les « soins aux animaux malades », les prophylaxies « uniquement pour les animaux qui vont être mis au pré pendant la période », ainsi que les visites d’achat « au regard de la notion de vice rédhibitoire ». Les vaccinations sont aussi considérées comme prioritaires, mais uniquement « dans les zones où une maladie sévit de façon endémique » ou pour les protocoles en cours liés à des maladies réglementées (FCO par exemple).