Sociologie
Apprendre à vivre avec les nouveaux (re)venus

Cédric MICHELIN
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Habitant la « campagne », dans le sud de la France, comme il aime à le rappeler, Jean Viard travaille et vit à proximité de l’agriculture et de la viticulture. Ce "soixante-huitard" est donc précurseur du télétravail avec ses habitudes entre Marseille et Paris.

À l’heure de la guerre en Ukraine, ce sociologue estime que le dernier grand "modèle" de la France « remonte à de Gaulle, avec l’indépendance nucléaire et alimentaire », avec la fin des colonies françaises d’Afrique notamment. D’où une politique volontariste à la suite et un défi largement relevé par l’agriculture française. « Ça a été brutal aussi puisque vous êtes passés de 3 millions à 600.000 » paysans. Reste aujourd’hui 400.000 exploitations « agrandies, avec de la chimie, de la mécanique et des transformations » pour accompagner les changements opérés dans l’alimentation contemporaine.

Il faisait alors le parallèle avec le fait méconnu que 70 % des Français possèdent un jardin. « C’est important car, vous, agriculteurs, vous êtes les leaders du monde des jardins en plus grand et pourtant, vous ne cherchez pas assez le lien avec ces jardiniers de potagers ». Ils recherchent pourtant des informations sur comment cultiver, planter, traiter… Ce qui pourrait expliquer dès lors pourquoi certains de ces Français ont trouvé des informations auprès des réseaux écologistes faisant eux la promotion de l’agroécologie et autres permacultures. « Il y a un petit savoir-faire en commun à construire et vous ne le faites certainement pas assez », invitait-il.

Ce « tournant » mal engagé de communication, Jean Viard l’explique aussi par le vieillissement des chefs d’exploitation plus tournés vers la transmission de leur exploitation. Heureusement, les nouvelles générations d’agriculteurs sont en effet plus enclines à communiquer leurs savoir-faire et ont les codes pour bien le faire. De nouveaux profils et compétences arrivent aussi : « 10 % des entrants font du bio et une majorité des nouveaux installés viennent des villes ».

L’effet Martine à la ferme

La société et les politiques publiques sont aussi plus exigeants et ces demandes sont faites à partir « d’une pensée de la ville, plus écologique, de gens qui ne savent pas cultiver ». Ce qui explique ce sentiment de « rejet » ressenti par les agriculteurs. Le directeur de recherche au CNRS développait là un point sensible, sur l’agribashing, en inversant le mode de pensée. Si les critiques viennent des "urbains", paradoxalement, « les enfants des villes ont aujourd’hui plus envie d’être agriculteurs que vos propres enfants, parce que vous connaissez les difficultés du métier, la dureté du travail… alors que pour les citadins, agriculteur a un côté vacances à la campagne ». La bonne nouvelle là-dedans est que la cote d’amour des agriculteurs reste grande « même si vous mettez un peu beaucoup de chimie », nuançait-il.

La ville à la campagne

Selon ses données, la ruralité se repeuple actuellement car la société urbaine « s’étale dans l’espace » à côté des villes. Ces fameux 70 % de jardiniers du dimanche. « Et vous avez des voisins non-agriculteurs car vous avez vendu la ferme familiale ou avez vu se construire un lotissement ». Si les problèmes de voisinage ne datent pas d’hier, avec la pandémie, 40 % des Français sont passés du jour au lendemain au télétravail. « Ce qui va encore augmenter des relations intéressantes (circuits courts, vie rurale…) mais va créer aussi d’autres tensions », mitigeait-il encore. Auparavant, les citadins partaient à la mer ou à la neige, « là, ils ont un projet familial avec une maison avec jardin, un lycée correct, une paix sociale et un minimum de projet culturel et surtout du haut-débit et un train » pour rejoindre la ville rapidement « une ou deux fois par semaine ».
Un retour à la case départ en somme, dans « sa région d’origine » bien souvent. Ce ne sera pas un effet majoritaire, ne fait-il pas croire. « Et ils n’iront pas au fin fond des campagnes ». Mais, « vous, monde rural, n’êtes plus dans un monde en train de mourir mais vous retrouvez un usage de grand territoire péri-urbain, de résidences secondaires, d’artisanat, de vacances… ».
Le sociologue tendait aussi un miroir face aux agriculteurs. « Vous vous êtes agrandis, isolés sur vos tracteurs, avec des métiers plus difficiles psychologiquement », faisant là toucher du doigt que la profession s’est quelque part refermée sur elle-même. Tout l’enjeu maintenant est de se réouvrir à ce nouveau public tout en se faisant comprendre et respecter. Ce que veut chaque habitant au final.

Apprendre à vivre avec les nouveaux (re)venus
L’agriculture occupe encore « 53 % » du sol national auxquels se rajoutent environ 30 % de forêts.

Habitant la « campagne », dans le sud de la France, comme il aime à le rappeler, Jean Viard travaille et vit à proximité de l’agriculture et de la viticulture. Ce "soixante-huitard" est donc précurseur du télétravail avec ses habitudes entre Marseille et Paris.

À l’heure de la guerre en Ukraine, ce sociologue estime que le dernier grand "modèle" de la France « remonte à de Gaulle, avec l’indépendance nucléaire et alimentaire », avec la fin des colonies françaises d’Afrique notamment. D’où une politique volontariste à la suite et un défi largement relevé par l’agriculture française. « Ça a été brutal aussi puisque vous êtes passés de 3 millions à 600.000 » paysans. Reste aujourd’hui 400.000 exploitations « agrandies, avec de la chimie, de la mécanique et des transformations » pour accompagner les changements opérés dans l’alimentation contemporaine.

Il faisait alors le parallèle avec le fait méconnu que 70 % des Français possèdent un jardin. « C’est important car, vous, agriculteurs, vous êtes les leaders du monde des jardins en plus grand et pourtant, vous ne cherchez pas assez le lien avec ces jardiniers de potagers ». Ils recherchent pourtant des informations sur comment cultiver, planter, traiter… Ce qui pourrait expliquer dès lors pourquoi certains de ces Français ont trouvé des informations auprès des réseaux écologistes faisant eux la promotion de l’agroécologie et autres permacultures. « Il y a un petit savoir-faire en commun à construire et vous ne le faites certainement pas assez », invitait-il.

Ce « tournant » mal engagé de communication, Jean Viard l’explique aussi par le vieillissement des chefs d’exploitation plus tournés vers la transmission de leur exploitation. Heureusement, les nouvelles générations d’agriculteurs sont en effet plus enclines à communiquer leurs savoir-faire et ont les codes pour bien le faire. De nouveaux profils et compétences arrivent aussi : « 10 % des entrants font du bio et une majorité des nouveaux installés viennent des villes ».

L’effet Martine à la ferme

La société et les politiques publiques sont aussi plus exigeantes et ces demandes sont faites à partir « d’une pensée de la ville, plus écologique, de gens qui ne savent pas cultiver ». Ce qui explique ce sentiment de « rejet » ressenti par les agriculteurs. Le directeur de recherche au CNRS développait là un point sensible, sur l’agribashing, en inversant le mode de pensée. Si les critiques viennent des "urbains", paradoxalement, « les enfants des villes ont aujourd’hui plus envie d’être agriculteurs que vos propres enfants, parce que vous connaissez les difficultés du métier, la dureté du travail… alors que pour les citadins, agriculteur a un côté vacances à la campagne ». La bonne nouvelle là-dedans est que la cote d’amour des agriculteurs reste grande « même si vous mettez un peu beaucoup de chimie », nuançait-il.

La ville à la campagne

Selon ses données, la ruralité se repeuple actuellement car la société urbaine « s’étale dans l’espace » à côté des villes. Ces fameux 70 % de jardiniers du dimanche. « Et vous avez des voisins non-agriculteurs car vous avez vendu la ferme familiale ou avez vu se construire un lotissement ». Si les problèmes de voisinage ne datent pas d’hier, avec la pandémie, 40 % des Français sont passés du jour au lendemain au télétravail. « Ce qui va encore augmenter des relations intéressantes (circuits courts, vie rurale…) mais va créer aussi d’autres tensions », mitigeait-il encore. Auparavant, les citadins partaient à la mer ou à la neige, « là, ils ont un projet familial avec une maison avec jardin, un lycée correct, une paix sociale et un minimum de projet culturel et surtout du haut-débit et un train » pour rejoindre la ville rapidement « une ou deux fois par semaine ».
Un retour à la case départ en somme, dans « sa région d’origine » bien souvent. Ce ne sera pas un effet majoritaire, ne fait-il pas croire. « Et ils n’iront pas au fin fond des campagnes ». Mais, « vous, monde rural, n’êtes plus dans un monde en train de mourir mais vous retrouvez un usage de grand territoire péri-urbain, de résidences secondaires, d’artisanat, de vacances… ».
Le sociologue tendait aussi un miroir face aux agriculteurs. « Vous vous êtes agrandis, isolés sur vos tracteurs, avec des métiers plus difficiles psychologiquement », faisant là toucher du doigt que la profession s’est quelque part refermée sur elle-même. Tout l’enjeu maintenant est de se rouvrir à ce nouveau public tout en se faisant comprendre et respecter. Ce que veut chaque habitant au final.

« Pas plus légitimes que les autres »

« Pas plus légitimes que les autres »

« Le monde a changé. Historiquement, vous considériez que la légitimité à la campagne, c’était vous. Que les autres pouvaient venir mais que vous étiez là depuis plus longtemps avec la terre. Aujourd’hui, vous n’êtes pas plus légitimes que les autres », tranchait Jean Viard. Un état d’esprit que revendiquent en effet les nouveaux venus, selon le sociologue qui conseille donc « de faire la conversation et apprendre à se connaître ». Il prenait l’exemple chez lui de vendanges nocturnes une année de canicule. « Personne ne nous avait prévenus et surtout expliqués qu’il y avait de nouvelles techniques pour la qualité du vin, le prix… », regrettait-il, et il n’était pas le seul. « Les gens doivent comprendre ce que vous faites avec vos grosses machines et vos problèmes ». Il donnait un dernier conseil : « il faudrait que dans les écoles, on raconte l’histoire de ce qu’on fait pousser dans le village » et ailleurs. Le ministère de l’Agriculture va donc devoir annexer l’Éducation nationale ! Le mieux, les visites de fermes. « L’enfant d’agriculteur serait alors le roi du groupe ». Que Jean Viard se rassure, c’est déjà ce que font les agricultrices, lors des Fermes ouvertes actuellement.