Filière bovine
Contractualisation : mode d’emploi

L’obligation de la contractualisation écrite pour les bovins est entrée dans la loi et est en vigueur. La FDSEA de Haute-Saône avait convié Nina Bayer, de la FNB, pour faire le point sur ce sujet et préparer tous les éleveurs de France à ces évolutions.

Contractualisation : mode d’emploi
Nina Bayer, chargée de mission à la FNB, a expliqué la contractualisation.

Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots le contexte de cette évolution réglementaire et ses échéances ?
Nina Bayer : La Loi Besson-Moreau, ou ÉGAlim 2, se donne pour objectif d’assurer une plus juste rémunération des agriculteurs, en rééquilibrant les relations commerciales entre les différents maillons de la chaîne alimentaire et agroalimentaire, en complétant la loi du 30 octobre 2018, dite ÉGAlim. En termes de dates, un décret du 29 octobre 2021 fixe la date d’entrée en vigueur anticipée, pour les filières bovines, porcine et du lait cru de brebis, de chèvre et de vache, des dispositions de l’article 1er, qui généralise les contrats de vente écrits et pluriannuels (sur trois ans minimum) de produits agricoles entre un producteur et son premier acheteur. Pour la filière des bovins viandes (jeunes bovins, génisses et vaches allaitantes), c’est depuis le 1er janvier 2022 que la contractualisation est obligatoire, et au 1er janvier 2023 en race laitière, pour les jeunes bovins, les génisses et les vaches, et pour tous les bovins sous signes officiels de qualité.

Quels sont les principaux éléments de ce contrat ?
N.B. : Le principe est de permettre la construction d’un prix plus protecteur de la rémunération de l’agriculteur, qui prenne en compte différents indicateurs tels que les coûts de production dans la détermination du prix pour pouvoir vivre de son travail. En 2021, le revenu moyen d’un producteur de viande bovine était inférieur à 10.000 € ! L’idée, c’est d’avoir une visibilité, sur trois ans, avec un volume et un prix en face. La formulation du prix pourra tenir compte des coûts de production (on a des indices qui permettent de traduire les évolutions des charges opérationnelles dans les exploitations, telles que le carburant, les aliments…) ainsi que des cotations. Les contrats peuvent aussi intégrer, au-delà des clauses obligatoires, des clauses de revoyure, des réserves, des marges de manœuvre qui tiennent compte par exemple du sex-ratio… pour introduire de la souplesse et mieux correspondre à la réalité (aléas climatiques, sanitaires…).

Concrètement, comment ça se passe, qui est le ‘’1er acheteur’’, existe-t-il des modèles de contrats dont on peut s’inspirer ?
N.B. : Le premier acheteur, ça dépend des habitudes historiques de l’exploitation : ça peut être le négociant, le groupement d’achat de la coopérative… un agriculteur peut contractualiser avec plusieurs partenaires commerciaux, avec des contrats différents. À la FNB, nous avons établi plusieurs modèles de contrat qui peuvent servir de base aux éleveurs pour créer leurs propres contrats, ou les appliquer tels quels. La situation actuelle, avec des cours élevés, n’incite pas à contractualiser, mais attention, cette embellie ne va pas forcément durer, et nous incitons tous les éleveurs à prendre le temps d’établir des contrats qui leur correspondent et leur permettent de se projeter sur plusieurs années, avec des perspectives de prix réalistes, accordées aux niveaux de leurs charges qui augmentent comme jamais.
Propos recueillis par Alexandre Coronel

Le contrat, ça marche !
Chez Géraud Fruiquière, un exemple de contractualisation conforme à Égalim 2 avec le Carrefour market de Mauriac.

Le contrat, ça marche !

Le président de la FNB (Fédération nationale bovine) Bruno Dufayet a réuni les membres de son comité directeur chez Géraud Fruiquière à Drugeac (Cantal), un éleveur engagé dans l’Association viande au pays de Mauriac qui livre des génisses au Carrefour market. L’exemple d’un partenariat gagnant-gagnant basé sur la contractualisation. « La contractualisation est au cœur de notre action économique, a rappelé le président. On a choisi cette exploitation pour montrer que c’est possible, et qu’on n’est pas seulement dans un discours syndical. Ici, la contractualisation a permis de créer des volumes, elle a sécurisé les approvisionnements et apaisé les relations entre les éleveurs et la GMS ». Autre exemple, Stéphane Peultier, président de l’Apal, témoignait de son organisation de producteurs non commerciale de l’Est. L’Association de production animale de l’Est a été la première à signer un contrat tripartite sur le bœuf avec l’enseigne Lidl en 2017, cinq ans avant la loi ÉGAlim 2. « On a voulu prendre la parole, porter notre produit jusqu’à la distribution. On a plus d’histoire à raconter autour de notre produit que certains commerciaux d’abatteurs », a souligné Stéphane Peultier. Depuis, près de 8.000 bêtes ont été abattues pour une plus-value générée de 1,6 million d’euros et l’Apal ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, projetant parallèlement de vendre 15.000 tonnes de crédits carbone.

Basculer dans la modernité

Depuis cinq ans, la FNB s’appuie, elle aussi, sur les chiffres pour tirer la sonnette d’alarme : diminution du cheptel allaitant, baisse du nombre d’éleveurs, faible revenu,… Cette conjoncture difficile pèse sur le moral des producteurs et la filière perd en attractivité, alors même que le renouvellement des générations est un enjeu majeur pour sa pérennité. Autre constat de la fédération : une déconnexion entre les coûts de production et les prix payés aux éleveurs qui représente un delta de près de 80 centimes à 1 euro. « Aucun autre métier n’accepte de vendre à perte ! relève Bruno Dufayet. La production de viande bovine ne cesse de baisser alors que la demande est stable. Si on ne fait rien, on risque d’atteindre un point de non-retour et de devenir dépendant des importations. Or, la loi ÉGAlim peut nous permettre de changer de système, ça fait 50 ans que la filière n’a pas évolué, elle doit basculer dans la modernité ». Pour le président de la FNB, c’est le moment de passer à l’action et de saisir l’opportunité de la loi ÉGAlim 2 pour se réapproprier de la valeur. « La valeur ajoutée n’arrivera pas toute seule, il faut aller la chercher ! Pour la première fois, la filière dispose d’un outil : la contractualisation. C’est énorme, c’est un choc culturel, c’est un bouleversement, a-t-il poursuivi. Avec cet outil, on donne des perspectives aux éleveurs. Notre message, c’est qu’on n’a pas le droit de ne rien faire ! »
Chez Géraud Fruiquière, le moral est bon et l’heure est aux projets d’avenir avec une augmentation du nombre de génisses engagées dans la filière AVP et la création d’un atelier de diversification en porc plein air.

Redonner des perspectives

Son neveu Jérôme Bouissy va pouvoir s’installer avec lui en Gaec. « Sans avoir recours à l’agrandissement, on a l’installation d’un associé grâce à la création de revenu », se félicite Mathieu Théron, président des JA du Cantal et membre du comité directeur de la FNB. Ce dernier tient à préciser que « la contractualisation n’est pas une perte de liberté, au contraire, elle nous laisse le temps d’aller à la négociation et de ne plus être au pied du mur ». Après la visite d’exploitation, les éleveurs de la FNB se sont rendus au carrefour de Mauriac avec le directeur Anthony Corbeau pour voir comment la viande locale est travaillée puis mise en avant au rayon boucherie.

C. Jahnich/APAP et P. Olivieri