Matériel végétal
L’encépagement, le levier majeur

Le choix du cépage, du porte-greffe et du clone peut avoir une influence importante sur le comportement du matériel végétal face au réchauffement climatique.

L’encépagement, le levier majeur
Gamay

En mars 2019, pour la 28e édition de la conférence technique des Entretiens du Beaujolais, l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et la Sicarex Beaujolais avaient choisi le changement climatique comme thématique. Au-delà même des observations et modélisations présentées ce jour-là, les techniciens des deux organismes avaient aussi évalué les leviers possibles d’adaptation, dans le cadre des contraintes des AOP, en l’occurrence celles du Beaujolais. Et parmi les pistes avancées, le choix du matériel végétal constitue selon eux le levier principal pour s’adapter à ce changement. « Il s’agit par contre d’une stratégie de moyen terme, puisqu’il n’est possible de modifier le matériel végétal que lors de la plantation d’une parcelle qui ne produira du vin qu’au bout de quelques années. Mais aussi de long terme s’il est nécessaire de faire agréer de nouveaux clones ou de modifier les cahiers des charges des appellations. Il est donc indispensable d’anticiper dès aujourd’hui le futur climat afin de disposer des porte-greffes, des clones et des cépages répondant à ces nouveaux enjeux », introduisaient Jean-Michel Desperrier (Sicarex Beaujolais) et Taran Limousin (IFV).

Du porte-greffe au clone

Un an après, le discours des ingénieurs de l’IFV - Sicarex n’a pas changé. Le matériel végétal conserve un crédit important aux yeux de Taran Limousin, avec trois portes d’entrée différentes, à commencer par le porte-greffe. « Il permet d’adapter la vigne aux propriétés physico-chimiques du sol et il influence la vigueur du greffon. Les capacités de résistance des porte-greffes à des excès d’humidité ou au manque d’eau sont connues de longue date », écrivait les deux techniciens, précisant toutefois que son influence sur la date de récolte est moins bien documentée. « En 2021 ou en 2022, nous prévoyons de planter une parcelle avec des porte-greffes utilisés en Ardèche ou en Languedoc, plus tolérants au manque d’eau et donc adaptés au stress hydrique », informe aujourd’hui Taran Limousin.

Le choix du clone peut aussi contribuer à compenser l’avancée des stades phénologiques due au réchauffement climatique. Comme annoncé lors des Entretiens du Beaujolais en 2019 pour le gamay, des clones plus tardifs existent et ont été agréés. Le clone 1170 originaire d’Auvergne ou le 1227 font partie de ceux qui ont une date de maturité retardée d’environ quinze jours. Pour moduler au mieux le degré d’alcool et ainsi apporter de la fraîcheur aux vins, un assemblage entre des clones qualitatifs et des clones plus productifs et donc moins concentrés peut être envisagé. « Ce qui peut être intéressant, c’est d’aller plus loin encore en combinant les pistes porte-greffe et clone par exemple. Car nous ne sommes pas à l’abri de composer avec des années fraîches ou pluvieuses, d’où l’intérêt d’avoir des outils adaptables », assure Taran Limousin.

Cépages oubliés

Enfin, le choix du cépage constitue la troisième porte d’entrée sur le plan du matériel végétal. Pour subvenir aux augmentations des températures, celui-ci peut être guidé par la quantité de chaleur nécessaire à la maturité de ses raisins. La solution : redéployer des variétés accessoires, autorisées au cahier des charges de l’appellation, mais jusqu’ici retirées car trop tardives selon les deux techniciens de l’IFV – Sicarex. Ajouter des cépages au cahier des charges d’une appellation, notamment des locaux oubliés – le chanay en Beaujolais, dont la trace a été perdue lors de la crise du phylloxéra, est possible mais cette démarche s’inscrit dans une stratégie à long terme. « En Savoie, des cépages anciens et abandonnés comme la douce noire, le bia blanc ou encore la petite sainte-marie sont à nouveau testés. En Beaujolais, ça ne semble pas le cas… », illustre Taran Limousin.

Depuis 2018, une porte s’est ouverte avec une directive de l’INAO pour la mise en place et le suivi d’un réseau de parcelles plantées avec des « variétés d’intérêt à fin d’adaptation ». Dans les faits, les syndicats d’appellation ont désormais la possibilité d’inscrire dans leur cahier des charges des cépages qui pourraient répondre à des enjeux d’adaptation au changement climatique, mais aussi de réduction des intrants viticoles ou de réintroduction de variétés oubliées/modestes. Avec quelques conditions pour ce dispositif : dans la limite de 5 % de leur encépagement et de 10 % de leur assemblage. Chaque demande par les ODG devra être limitée à une dizaine de cépages par couleur, chacun devant répondre à un enjeu précis afin de justifier la demande. « Les vignerons souhaitant revendiquer un cépage en AOC doivent alors signer une convention de dix ans avec l’INAO et son ODG. Cette autre condition s’accompagne aussi d’un suivi obligatoire de la part d’un organisme technique, ce que la Sicarex Beaujolais pourrait réaliser », précise Taran Limousin.

David Duvernay

Le gamay, le chardonnay, la syrah et le viognier sont les quatre cépages majeurs des trois vignobles rhodaniens (Beaujolais, Coteaux-du-Lyonnais et Côtes-du-Rhône septentrionnaux). Pourtant, l’adaptation au réchauffement climatique, sans dénaturer les profils organoleptiques des vins obtenus, diffèrent d’un cépage à un autre.

En blanc, le chardonnay est celui qui présente une forte capacité d’adaptation du fait de sa présence dans de nombreux pays et donc sous différents climats. Le viognier, lui, s’adapte aussi facilement au changement climatique. « Le viognier a peu d’acidité donc ce n’est pas toujours évident de garder un certain équilibre dans le vin. Si on vendange trop tôt, on peut perdre les arômes, d’où l’importance d’attendre une bonne maturité. Inversement, il peut être intéressant d’observer l’impact sur le consommateur en cas de récolte plus précoce du viognier », décrit Taran Limousin.

En rouge, le gamay montre une relative capacité d’adaptation au réchauffement climatique. Le cépage du Beaujolais préfère avant tout les climats septentrionaux. « S’il fait très chaud, on n’obtient pas le même type de vin, à l’image du millésime 2015 », illustre-t-il. Quant à la syrah, elle n’est pas la plus adaptée aux contraintes hydriques. « Les types de sol, ainsi que les coteaux sont deux autres facteurs qui peuvent influencer sur le stress hydrique de la vigne », complète Taran Limousin.

Des adaptations possibles dans le Beaujolais

Dans le Rhône, quelques vignerons ont planté d’autres cépages que les quatre traditionnels, pour ensuite commercialiser les vins en Vin de France. Certains font partie des cépages rouges et blancs étudiés par les équipes de l’IFV - Sicarex Beaujolais, ainsi que de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) sur les parcelles de collections à Pouilly-Le-Monial. Sont également présentes sur ces parcelles des variétés résistantes Inrae nommées « Resdur », selon le protocole VATE (étude des Valeurs agronomiques technologiques et environnementales des cépages). Parmi eux, la variété rouge artaban, qui possède des aptitudes viticoles assez proches du gamay, présente un indice de maturité bas, c’est-à-dire un plus faible degré probable à la récolte associé à une acidité également faible. « Ce genre de variété, outre son caractère de résistance vis-à-vis du mildiou et de l’oïdium pourra permettre de limiter l’augmentation du taux d’alcool dans les vins », concluaient Jean-Michel Desperrier et Taran Limousin aux Entretiens du Beaujolais de 2019.

D.D.

Artaban