Changement climatique
« Notre objectif : maintenir la diversité agricole française »

Agricultrice dans la Drôme, Anne-Claire Vial est également présidente d’Arvalis-Institut du végétal et de l’association qui fédère les instituts techniques agricoles (Acta). Elle a présidé le deuxième groupe thématique du Varenne de l’eau. Pour elle, les agriculteurs ont déjà pris en compte le changement climatique et l’appliquent. 

Vous avez présidé la thématique n° 2 du Varenne de l’eau ("Renforcer la résilience de l'agriculture dans une approche globale en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales, les infrastructures agroécologiques et l'efficience de l'eau d'irrigation"). Jamais cette thématique ne semble avoir été autant d’actualité…À quand une mise en œuvre de ces travaux ?           

Anne-Claire Vial : L’agriculture est un domaine où la patience est une vertu cardinale. On ne retourne jamais la table et les changements s’effectuent au fil de l’eau. C’est l’un des points communs entre l’agriculture et la recherche : la notion de temps long. J’ajouterai aussi celle d’invisibilité car ces changements sont ténus et peu perceptibles notamment à l’échelle du grand public et des médias, toujours prompts à vouloir des résultats rapides. C’est cette philosophie qui a guidé en grande partie les travaux qui ont été menés par la thématique n°2 du Varenne de l’eau et du changement climatique. Le ministre de l’époque, Julien Denormandie, avait souhaité « cranter » ce changement avec l’idée que les efforts réalisés et les effets obtenus ne seraient susceptibles d’aucun retour en arrière. C’est chose faite et très concrètement, les 35 filières françaises s’y sont d’ailleurs engagées. Elles ont d’ores et déjà commencé à intégrer puis à décliner l’adaptation au changement au sein des plans de filières. 

Cette thématique sera donc déclinée localement. Les régions seront-elles impliquées ? 

A-C.V : En lien avec Chambres d’agriculture France, chaque chambre régionale (CRA) a mené des diagnostics régionaux qui serviront à mettre en place des expérimentations ou des investissements sous pilotage des régions. Il existe autant de diagnostics que de régions métropolitaines : 13. L’un des objectifs de ces diagnostics est de croiser les données avec les plans de filières pour leur donner de la visibilité, de la cohérence et de l’efficience. Par exemple, en Paca où le blé dur représente une culture importante sur de nombreux plans, la région peut accompagner la recherche sur l’amélioration génétique de cette céréale, pour qu’elle soit plus résistante au stress hydrique notamment. De même, des régions comme la Bourgogne pourront se pencher sur l’opportunité de développer cette plante à la faveur du réchauffement climatique. 

Quels sont les moyens qui vont sont dédiés ? 

A-C.V : Ils sont nombreux : Plan de résilience, Plan de relance, les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Il existe des outils comme les réseaux mixtes technologiques (RMT), créés pour favoriser le rapprochement entre les acteurs de la recherche, de la formation et du développement. Ils sont validés par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Ainsi un RMT ClimA a été créé début 2021. Il réunit les 30 meilleurs experts français du climat. La thématique 2 du Varenne s’est rapprochée d’eux afin de capitaliser sur leurs travaux et aussi créer au niveau national un seul centre de ressources sur le sujet de l’adaptation au changement climatique à l’échelle de l’exploitation de la production ou de la parcelle. De nombreuses autres expérimentations sont menées en viticulture, en grande culture, en fruits et légumes (comme l’agrivoltaïsme), en maraîchage, élevage, etc. L’objectif est d’évaluer les changements, les adaptations, les coûts, l’efficacité. Pour être encore plus concrets, nous disposons déjà de deux outils d’aide à la décision gratuits qui permettent de choisir sa variété de blé tendre et Varmaïs, sa variété de maïs, en fonction de son lieu de production et de ses contraintes techniques et climatiques. 

Comment faire en sorte de mieux gérer une eau qui en période hivernale et printanière est surabondante et qui l’été vient à cruellement manquer ? 

A-C.V : Cette problématique relative à l’accès et à la gestion de la ressource en eau concerne surtout la thématique n°3 du Varenne de l’eau, même si nous avons pu aussi, à notre niveau, nous y pencher, en particulier sur la réutilisation des eaux usées traitées (REUT). D’un point de vue scientifique, il nous importe, entre autres, d’évaluer les réserves disponibles à des échelles pertinentes sur le territoire. Cela a été l’objet de notre deuxième recommandation. Malheureusement, le sujet de la thématique n°3 reste éminemment politique au lieu de se décliner sur des indicateurs fiables et locaux. 

Comment d’une manière plus globale rendre l’agriculture résiliente face à ces nombreux aléas climatiques ? 

A-C.V : La recherche est indispensable pour apporter des solutions durables. Les instituts techniques agricoles travaillent tous d’arrache-pied pour que cette transition agroécologique, que tout le monde souhaite réussir, aussi bien les agriculteurs, les politiques que le grand public, devienne une réalité. Nos expérimentations sont nombreuses sur la couverture des sols, l’agriculture de conservation, l’agriculture régénératrice, ... Face à l’accélération des problèmes liés au changement climatique, l’intelligence artificielle (IA) va se révéler primordiale pour raccourcir les délais. Les enjeux sont importants et multiples car l’agriculture est plurielle. Les acteurs français de la recherche sont très engagés au niveau européen et à l’international notamment sur le levier génétique. Nous pouvons aussi citer deux projets récents dont l’animation nous a été confiée par l’Europe : 

- Climate Farm Démo : 80 partenaires sont impliqués à l’échelle européenne pour échanger sur les solutions d’adaptation en élevage ;

- Roots2 RES dont l’objectif est de mieux connaître et analyser les liens entre racines et microbiotes pour favoriser l’absorption d’eau. Notre ambition dans le secteur de la recherche est d’apporter des solutions pour nos territoires avec l’objectif de maintenir la diversité agricole française et faire cohabiter tous ces modèles et les rendre plus résilients. Je peux vous assurer que la prise en compte de la transition est réelle chez les agriculteurs et que le changement est déjà en cours.