Rénovation de prairies
Alternatives au glyphosate au banc d’essai

Alexandre Coronel
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L’analyse multicritère pour évaluer les techniques de destruction d’une prairie permanente alternatives au glyphosate et au labour fait ressortir des coûts totaux un peu supérieurs, mais dans une proportion raisonnable. Les retours d’expérience mettent en évidence les facteurs de réussite : précision du travail, bon ‘’timing’’ des interventions (état du sol, météo favorable…).

Alternatives au glyphosate au banc d’essai
Didier Deleau, d’Arvalis et Patrice Pierre, de l’Idele, ont présenté les résultats des essais de rénovation de prairie conduits pour évaluer les alternatives au labour et au glyphosates sur cinq sites.

Les aléas climatiques ou des pratiques inadaptées peuvent dégrader le couvert des prairies et favoriser la prolifération d’espèces indésirables. Lorsque le couvert d’une prairie permanente est dégradé, moins productif, plusieurs questions se posent, à commencer par l’évaluation de l’intensité des dégâts. « Un couvert dégradé, c’est quand 10 % de la prairie présente des manques. Ça correspond à des trous de la taille d’une assiette », précise Didier Deleau, ingénieur régional Arvalis spécialisé dans les fourrages, à l’occasion d’une conférence donnée dans le cadre du Sommet de l’élevage. Si le retournement par le labour d’une prairie dégradée ou son désherbage chimique à l’aide du glyphosate ont longtemps été les moyens les plus couramment employés, ces deux méthodes connaissent leurs limites. « Le labour n’est pas possible dans tous les contextes de sols ou n’est volontairement plus pratiqué dans certains systèmes de culture. La réglementation actuelle limite fortement l’usage du glyphosate afin de réduire le risque de transfert dans l’environnement ».

Un projet pluriannuel pour explorer les alternatives

Pendant trois ans, le projet PraiGly piloté par Arvalis, en partenariat avec l’Institut de l’Élevage (Idele), la Ferme expérimentale « La Blanche Maison » (chambre d’agriculture de Normandie) et l’Association francophone pour les prairies et les fourrages (AFPF), a comparé différents itinéraires techniques et des outils de travail superficiel du sol. « L’idée était de développer des solutions pour détruire des prairies en rotation ou les rénover en limitant l’usage de désherbants chimiques et du labour, en s’appuyant sur les retours d’expérience d’agriculteurs qui mettaient déjà en œuvre des pratiques alternatives, pour évaluer ces solutions de manière précise, sur des parcelles d’essais ».
Dans le cadre du projet Praigly, différents itinéraires techniques ont donc été testés entre 2019 et 2021 sur la ferme expérimentale de Saint-Hilaire-en-Woëvre, dans la Meuse. Ils s’appuient tous sur un travail superficiel préalable, à l’aide d’un déchaumeur à disques indépendants, complété par d’autres opérations culturales. Parmi les cinq modalités testées, un semis décalé fin septembre – début octobre sous couvert d’un méteil d’automne affiche les meilleurs rendements la première année après implantation (figure 1). Le semis de fin d’été après une culture dérobée fourragère est lui aussi très prometteur. Ces deux modalités garantissent, dès la première année, une bonne maîtrise des adventices contrairement aux trois autres modalités (glyphosate, désherbage électrique ou travail superficiel avant semis).

Un travail du sol à faible profondeur

Un travail réalisé au cours de l’été-automne 2021 sur la Ferme Expérimentale des Bordes (36) a permis de comparer trois outils de destruction de la prairie avant sa rénovation - charrue déchaumeuse, outil à dents avec ailettes et rotavator - à deux témoins (glyphosate et labour). Si les principes d’action de ces trois outils sont différents (pseudo-labour, scalpage de la végétation et émiettement fin du sol), ils ont tous en commun de travailler le sol entre 5 et 10 cm. Les premières observations sur le taux de levées des espèces semées montrent une efficacité correcte sur les modalités labour, outil à dents avec ailettes et, dans une moindre mesure, charrue déchaumeuse. Le témoin glyphosate montre une réussite à la levée insatisfaisante, qui peut s’expliquer par la reprise en végétation importante des trèfles blancs. Le rotavator a permis une destruction complète de la prairie et un lit de semence bien émietté, mais le taux de levée reste très faible sur cette modalité.
À la Ferme Expérimentale de la Blanche Maison dans la Manche, ces modalités ont été testées, dans le contexte particulier d’une prairie permanente caractérisée par une forte présence d’agrostis. « C’est une espèce ubiquiste, dont le port couché fait qu’elle est favorisée par le pâturage. Elle s’installe dans les trous, avec une forte capacité à coloniser les espaces vides. Face à ces plantes à rhizome, il faut une rupture suffisamment longue, car elles sont coriaces et présentent des capacités importantes de régénération. C’est un des facteurs d’échec du sursemis, à cause du phénomène de bouturage et d’allélopathie », détaille Patrice Pierre, de l’Idele, qui a suivi les essais.

Des outils réglés précisément et un contrôle visuel

Sur la thématique de la destruction de prairies temporaires avant un maïs, quatre essais ont été conduits entre 2019 et 2021 sur les stations expérimentales Arvalis de Bignan et de La Jaillière. En comparaison aux témoins glyphosate et labour, trois itinéraires alternatifs ont été évalués dans des conditions expérimentales variées : état de la prairie à détruire, cumuls de pluie au printemps… « Le labour, quand il est possible, confirme son efficacité pour détruire les espèces prairiales et les éventuelles vivaces, avec une bonne souplesse de mise en œuvre », expose Didier Deleau. Le travail du sol superficiel peut donner de bons résultats, mais avec plus de variabilité. Sa réussite nécessite de réunir plusieurs conditions : un sol bien nivelé, un nombre minimum de trois passages (à l’exception du rotavator), un réglage précis des outils (notamment la profondeur de travail) et un temps suffisamment long sans pluie après passage pour terminer la destruction de la prairie. « Les itinéraires fauche tardive et dérobé méteil n’ont, en moyenne, pas donné satisfaction dans ces essais. La fauche tardive laisse peu de temps pour détruire complètement la prairie avant l’implantation du maïs et le méteil, implanté à l’automne, ne permet pas toujours d’étouffer les repousses prairiales, même quand sa production est élevée ».
À l’aune de l’analyse multicritère, qui intègre les variables temps de travail, consommation de carburant, de produits phytosanitaires, émissions de gaz à effet de serre… les itinéraires alternatifs "pèsent" plus lourd en termes de temps de travail et de consommation d’énergie. « Parmi l’ensemble des itinéraires de destruction testés dans le cadre de ce projet nous pouvons néanmoins de mettre en avant le travail superficiel et l’utilisation d’une charrue déchaumeuse par rapport au recours au glyphosate ou au labour », concluent les chercheurs.

Analyse floristique (% de familles prairiales) réalisée au cours de la première année d’installation (2e cycle) dans les différentes modalités de rénovation des prairies permanentes – ferme expérimentale de Saint-Hilaire-en-Woëvre

Enquête de terrain : Retours d’expérience

Le projet PraiGly a débuté par une enquête pour capitaliser les retours d’expériences de dix agriculteurs - tous éleveurs de bovins et, pour la plupart, en agriculture biologique - qui ont mis en place depuis quelques années des alternatives au labour ou au glyphosate pour la destruction de leurs prairies. Ils réalisent principalement des interventions mécaniques effectuant un travail du sol superficiel, avec des outils qui scalpent les plantes ou extirpent les racines du sol. Leurs pratiques peuvent être regroupées selon quatre classes d’outils :
– outil à dents avec socs « pattes d’oie » ou à « ailettes », ayant pour finalité de scalper les plantes en dessous du plateau de tallage ;
- outil à disques indépendants, dont l’objectif est de découper la prairie en bandes étroites ;
- outil à dents animé, avec rotor à axe horizontal et lames incurvées (type fraise rotative ou rotavator), pour scalper les plantes en dessous du plateau de tallage et mélanger les résidus ;
- outil à dents auto-animé, avec rotors à axes horizontaux et dents droites (type Dynadrive), pour découper et soulever la prairie.
Pour réussir à détruire la prairie, les quatre conditions les plus souvent citées par les exploitants sont la précision du travail (en particulier le contrôle de la profondeur de l’outil ; cité par neuf agriculteurs sur dix), l’état du sol au moment des interventions, le délai entre le début de la destruction et l’implantation de la culture suivante et une météo favorable.
Plusieurs passages successifs d’outils sont nécessaires pour venir à bout des repousses de prairie - plus de cinq en moyenne, semis inclus, selon les agriculteurs enquêtés. Quatre des dix agriculteurs enquêtés croisent les passages d’un même outil afin d’avoir une surface maximale de sol travaillé. Les outils à disques ainsi que le rotavator ont tendance à créer une semelle sous l’horizon travaillé. Dans ce cas, les agriculteurs enquêtés la fissurent avec un outil à dent.