Bio Bourgogne-Franche-Comté
Premier rendez-vous grandes cultures bio : discussions de l'avenir du secteur... sans noircir le tableau plus qu'il ne l'est déjà

Florence Bouville
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Le 12 octobre, Bio Bourgogne-Franche-Comté et les chambres d’agriculture départementales ont donné rendez-vous aux acteurs de la filière grandes cultures bio, pour une journée d’échanges au lycée de Fontaines. Au vu des difficultés actuelles que rencontre la bio (baisse de la consommation couplée à une augmentation des volumes), il est important de se réunir localement pour discuter de l’avenir du secteur et voir comment sécuriser les débouchés. Des agriculteurs prévoient d'ores et déjà une diminution des surfaces productives.

Premier rendez-vous grandes cultures bio : discussions de l'avenir du secteur... sans noircir le tableau plus qu'il ne l'est déjà
Le 12 octobre, au lycée de Fontaines, les acteurs de la filière grandes cultures bio se sont réunis pour parler des difficultés actuelles, notamment au niveau des débouchés.

À l’échelle BFC, les surfaces en grandes cultures bio ont été multipliées par presque neuf en 15 ans (90.000 ha dont 13.120 en conversion). L’Yonne produit 35 % des céréales bio du territoire et concentre près de 40 % des Scop AB. Mesure phare mise en place sur ce département : le déplafonnement des aides à la conversion par l’Agence de l’eau, dès qu’une parcelle se situait en zone de captage. Aujourd’hui, bon nombre d’acteurs regrettent l’absence de réel soutien économique vis-à-vis des aides au maintien ; en sachant que la France arrive en fin de vague de conversion. Laurence Henriot, présidente de Bio BFC, dénonce ainsi « le manque de courage politique pour faire de l’AB, l’agriculture de demain ». Gérald Pichot, agriculteur en Haute-Saône, éleveur diversifié et élu à la chambre régionale en charge de la bio, s’accorde aussi à dire que « les pouvoirs publics n’ont pas les bonnes actions ». Pourtant, au vu du « virage du renouvellement des générations », la profession reste convaincue : « la bio a encore de beaux jours devant elle ».

Malheureusement, en deux ans seulement, le pays a connu une hausse d’inflation de 10,6 %. Conséquence, les Français se serrent la ceinture. D’après l’Agence Bio, en 2023, 46 % d’entre eux se disent en restriction alimentaire.

L’export, une nécessité ?

À ce jour, la France n’est plus déficitaire en céréales bio et n’a, de ce fait, plus recours à des importations. Afin d’écouler tous les stocks, la question de l’exportation se pose donc de plus en plus au sein de la filière. « On n’a pas le choix, il faut qu’on construise des filières d’export de blé, en travaillant sur la juste rémunération », déclare Frédéric Desmarais, conseiller à la chambre d’agriculture du Jura. Seulement, la logistique manque ; « on n’est pas encore assez structurés pour exporter des céréales bio » poursuit-il. Certains marchés ont néanmoins déjà été ouverts, notamment depuis la guerre en Ukraine. Même si l’Europe de l’Est reste plus concurrentielle, des pays acheteurs se sont "rabattus" sur la France : Allemagne, Hollande et Belgique principalement. « La situation géopolitique ne nous sauvera pas une deuxième fois », alerte un éleveur, bien au fait des volumes de volailles écoulés en Allemagne en 2022-2023. En attendant que la conjoncture économique se rétablisse, des agriculteurs ont trouvé une alternative pour diminuer la production : augmenter la part de luzerne dans l’assolement.

Face à la hausse des déconversions…

Malheureusement, plus qu’une crainte, c’est un fait. Des agriculteurs se déconvertissent. « Il faut utiliser le mot crise », déclarait Gérald Pichot en introduction. Attention cependant avec le nombre d’arrêts par territoire, car ces chiffres comprennent à la fois les départs en retraites, les cessations d’activité et les décertifications. La principale cause de déconversion est directement liée au marché et à la baisse de l’EBE (Excédent brut d’exploitation) bio. « Ceux convertis par l’économique se déconvertissent par l’économique […] Les freins techniques n’étant aujourd’hui plus cités par les conventionnels », souligne un des conseillers Bio BFC, durant la table ronde. Par ailleurs, les transferts de gamme et les déclassements touchent de nombreuses filières (orge, volailles…). Plusieurs bâtiments bio ont par exemple été requalifiés en plein air, pour assurer un meilleur équilibre sur le marché.

Guillaume Conseil, président de la Cocebi (Coopérative céréalière biologique de Bourgogne), créée en 1983, témoigne : « quand ça va bien, les agriculteurs quittent la coopérative, quand ça va mal, ils reviennent vers quelque chose de structurant ». Chaque adhérent contractualise pour une durée de cinq ans, en apport total (autrement dit en engageant toute l’exploitation). Le défaut de concurrence n’ayant pas lieu d’être vu « qu’une coopérative est le prolongement de l’exploitation », affirme-t-il. Pionnière dans la valorisation de l’AB, la Cocebi souhaite au maximum pérenniser et relocaliser les filières secondaires. Depuis 2017, des travaux sont d’ailleurs en cours autour de la filière avoine. D’ici peu, une unité de fabrication de flocons d’avoine verra le jour à Nitry. Autre acteur économique de poids dans le secteur, la meunerie Moulin Marion. L’entreprise se voit forcée de refuser des producteurs, parfois pas loin du Moulin. Comme tous les autres collecteurs et transformateurs, elle dépend grandement des prix nationaux, malgré ses réseaux historiques.

Finalement, face à la hausse des déconversions, deux réponses peuvent être données : une « sociétale synthétise Guillaume Conseil, on continue d’augmenter les surfaces », et une « économique ; on arrête tant qu’on n’a pas de vraie réponse et soutien politique ». Dilemme cornélien. Pour Benoît Méot, paysan meunier installé en Côte-d’Or, la question de la déconversion ne devrait même pas être soulevée, dans la mesure où « on a fourni un véritable travail pour en arriver là ». « On regarde des graphiques, des tendances et des tonnages, mais la portée est au-delà » ajoute-t-il. « Arrêtons d’opposer bio et conventionnel […] la bio, cela doit être une continuité dans la recherche du vertueux ».

La communication

Méconnu ou mal connu, le logo AB avait initialement pour objectif de faciliter la communication entre producteur et acheteur, surtout dans le cadre des filières longues. Aujourd’hui, les consommateurs le boudent, synonyme, entre autres, de prix trop élevés. De plus, face à l’AB, le local l’emporte, en particulier sur les marchés. Ajouté à cela, la multiplication des labels et signalétiques, dont le HVE (Haute valeur environnementale). À l’échelle nationale, l’Agence Bio a récemment lancé une campagne de communication à la radio nommée "BioRéflexe". « À quand des spots à la télé ? », ironise un céréalier. Localement, l’engagement et l’investissement des agriculteurs ne faiblissent pas. Bon nombre d’entre eux prennent part à des démarches collectives de PAT (Projets alimentaires territoriaux), de protection des aires d’alimentation de captage, etc. Ils misent donc déjà beaucoup sur la sensibilisation et la pédagogie. De même, à l’échelle d’une GMS, le combo producteur/écriteau et échanges avec le consommateur est très souvent gagnant. « Je peux vous assurer que le rayon est vide en fin de journée », confirme un participant. Concernant la restauration commerciale, c’est une autre paire de manches, puisque la loi ÉGAlim porte uniquement sur la restauration collective. La profession attend des pouvoirs publics qu'ils respectent la loi. Un comble ! Un autre marché bienvenu serait enfin celui de la restauration privée, mais pour l'heure, n'offrant encore que trop peu de débouchés valorisants.

Marchés et débouchés

En bio, l’alimentation animale constitue le débouché majoritaire. Les volailles concentrent 80 % des volumes, dont 60 % à destination des poules pondeuses. La grippe aviaire étant venue considérablement réduire la demande. Globalement, l’alimentation humaine couvre donc des marchés de niche ; les gammes de produits comptant de moins en moins de références. Bien que les céréales secondaires (avoine, seigle, épeautre…) soient utiles pour les rotations, la production est excédentaire. Entre 2021 et 2022, les surfaces en petit épeautre ont doublé en BFC, en passant de 10.000 à 20.000 ha. En plus, « ce produit est franco-français et n’est pas connu ailleurs », indique Camille Désoblin, responsable des ventes chez Fermes Bio. À plus grande échelle, le marché meunerie (25 % des usages céréaliers) n’est pas au meilleur de sa forme (baisse de 9 % des consommations). « Il y a encore du blé national R22 dans les silos », ajoute-t-elle, du fait des 120.000 t de stocks de report (chiffre Coop de France), sans compter les volumes au sein des fermes. Malgré le décrochage du prix du blé, il y a toujours des débouchés, que ce soit via le marché conventionnel ou via l’export, alors que pour les autres cultures (hors oléagineux et protéagineux) « on fait face à une impasse physique », déplore-t-elle.