Brexit J-30
L’inquiétude des agriculteurs anglais

Cédric MICHELIN
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Le mois de décembre va être crucial pour de nombreuses entreprises agricoles et alimentaires du Royaume-Uni. En effet, les négociations avec l’Union européenne pour connaître les modalités du Brexit devraient trouver une issue, avec ou sans accord.

L’inquiétude des agriculteurs anglais
La non ré-élection de Trump a affaibli encore d'un cran ou deux l'Angleterre dans ses négociations avec l'Europe. Bojo, le premier Ministre perdant un soutien de poids...

À quelle sauce les exploitations agricoles du Royaume-Uni vont-elles être mangées ? Les agriculteurs britanniques aimeraient eux-mêmes le savoir, après cette année de transition qui est passée très vite et même s’ils ont commencé à s’y préparer. Ils savent déjà qu’ils ne toucheront plus, à partir du 1er janvier 2021, les aides de la Politique agricole commune. Chaque année, le Royaume-Uni recevait environ 4 milliards d’euros (Md€). À titre de comparaison, la France perçoit environ 9 Md€, l’Allemagne 6,5 Md€, l’Espagne 6 Md€, l’Italie 5,5 Md€ et la Pologne 4,5 Md€. La nouvelle loi agricole votée le 11 novembre par le Parlement britannique donne quelques pistes sur la manière dont les futures subventions payées par le gouvernement de Londres seront déployées en remplacement des versements de la Pac. Comme celles de Bruxelles, elles devraient être soumises à des règles de respect de l’environnement, à des règles pour limiter les effets de l’agriculture sur le changement climatique, à des règles sur le bien-être animal, etc.

« L’incertitude est paralysante »

Pour le principal syndicat agricole, la National farmers union (NFU), l'agriculture peut prospérer en dehors de l'Union européenne si certaines conditions essentielles sont remplies. Parmi elles, le syndicat souhaite éviter un « non-accord » (No Deal) et tout bouleversement politique et économique à court terme. Il entend garantir un commerce des produits agroalimentaires aussi libre que possible avec le marché de l'Union européenne mais aussi obtenir un contrôle réglementaire et une discrétion accrus sur les pratiques agricoles au Royaume-Uni. Enfin, maintenir l'accès aux travailleurs saisonniers et permanents requis par la chaîne alimentaire britannique paraît, à la NFU, indispensable pour poursuivre son développement. « Toutefois, la réalité est que l'avenir est difficile à préparer alors que l'on ne sait pas encore très bien quelle sera notre relation avec l’Union européenne. L’incertitude est paralysante » a déclaré Andrew Mc Cornick, le président de la NFU Scotland au journal Northern Scotland. L’incertitude gagne aussi les marchés puisque 40 % des produits agricoles et alimentaires britanniques proviennent de l'Union européenne. Et ça, le négociateur européen en chef, Michel Barnier le mesure pleinement, lui qui a été ministre de l'Agriculture en France de 2007 à 2009. Il sait que le risque d’augmentation des prix sur les produits de base, en particulier les fruits et légumes, inquiète particulièrement les autorités britanniques, notamment avec la crise Covid-19.

Plus d’équité 

De son côté, l'ancien Premier ministre australien Tony Abbot - qui travaille maintenant comme conseiller commercial auprès du gouvernement de Boris Johnson - affirme que les agriculteurs ne devraient pas craindre les accords commerciaux post-Brexit. Or, la plus grande inquiétude des agriculteurs britanniques porte sur les normes d’importation. Malgré leur proximité géopolitique avec les États-Unis, ils ne veulent pas de leur bœuf aux hormones ou de leur poulet lavé au chlore. Mais en quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni retombe dans un régime d’échanges plus libéral répondant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Afin de surveiller et réguler les futurs échanges, le Premier ministre Boris Johnson a récemment créé une Commission sur l’agriculture et le commerce. Elle supervisera tous les accords commerciaux que signera le gouvernement à l’avenir. « Si la loi britannique dit que vous ne pouvez pas vendre de poulet lavé à l'eau chlorée, par exemple, ce poulet n'entrera pas en Grande-Bretagne, quel que soit l'accord commercial », a confirmé Tony Abbot lors d’une table-ronde organisée par l’Oxford farming conference (OFC) début novembre. « Nos concitoyens veulent que le commerce soit équitable et ne nuise pas à nos agriculteurs », a, pour sa part, déclaré la présidente de la NFU, Minette Batters, présente à cette rencontre de l’OFC. Pour elle, le Royaume-Uni a été « un exportateur très paresseux car le pays était un marché très prisé avec une économie basée sur les services (…). Il nous faut dorénavant adopter une ligne très différente sur ce point pour protéger nos campagnes. En effet, nous avons été déconnectés de nos systèmes alimentaires et nous nous sommes concentrés sur des aliments toujours moins chers, plutôt que sur les valeurs qui doivent guider la production alimentaire. Il s'agit de changer la conversation, d'être radical et de viser plus haut », a-t-elle déclaré, certifiant que « les agriculteurs et les consommateurs britanniques voulaient de l'équité ». Toute ressemblance avec l'Union européenne et la France n'est pas forcément vaine ici...

 

Un Brexit se fracassant sur le Covid-19

Le cabinet d'intelligence économique Xerfi a livré une analyse pessimiste dont le titre sur Youtube est explicite : " Royaume-Uni, la grande détresse économique". Le directeur Conjoncture, Alexandre Mirlicourtois, analyse les risques d'un Brexit dur (Hard Brexit ; faute d'accord) qui viendrait amplifier la crise Covid actuelle. Les Anglais n'avaient en effet pas prévu ce scénario catastrophe au moment du vote fatidique. De l'autre côté de la Manche, l'économie anglaise est particulièrement mise à mal par le Covid-19 et les changements de stratégie politique face à la pandémie (non confinement puis confinement). Encore dans l'Union européenne, les statistiques d'Eurostats montrent que l'économie britannique est la plus impactée d'Europe avec une perte de -9,7 % de PIB (contre -4,1 % pour la France) au seul troisième trimestre avant le reconfinement. Dans un pays très libéral en terme économique (contrats zéro heure, intérimaires...), les « digues - malgré des mesures de soutien - commencent à céder », note Xerfi. 566.000 emplois ont été détruits de février à août 2020 et les licenciements s'emballent encore depuis. Sans compter la baisse de rémunération des nombreux indépendants. Le revenu des ménages anglais a décroché de -6 % (contre -2 % en moyenne dans la zone Euro). Et les Britanniques sont toujours parmi les plus endettés d'Europe (126 % de leurs revenus). La consommation est « totalement grippée », en baisse de -13 % comparativement à l'année précédente. Derrière, c'est la distribution qui est « en pleine déconfiture », craint Alexandre Mirlicourtois citant notamment la fermeture d'un Marks & Spencer sur deux d'ici 2022, la chaine de grands magasins House of Fraser va diviser par deux ses lieux de vente ou encore le "géant" Intu (17 centres commerciaux) a déposé le bilan. Et pour finir, les filières automobiles et aéronautiques sont en crise, de même que la place financière (City), et les capitaux étrangers quittent déjà le pays, alors que le hard-Brexit n'est pas encore officiel...