Fermoscopie BFC - Élevages laitiers
Hausse des charges… et du prix du lait !

Alexandre Coronel
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En lait standard ou d’appellation, la forte hausse du prix du lait compense à la fois la baisse des volumes due à la sécheresse et la hausse des charges. Mais l’inquiétude pour l’avenir est forte, avec le risque d’un "effet ciseau" si le prix du lait plafonne tandis que les charges continuent à augmenter à ce rythme… Retour sur les principales conclusions de Cerfrance BFC sur la production régionale laitière, présentées lors de Fermoscopies BFC.

Hausse des charges… et du prix du lait !
Face à la généralisation des épisodes de sécheresse qui compromettent les bilans fourragers, il faut peut-être revoir les repères de chargement et augmenter les capacités de stockage des élevages laitiers.

« Les élevages de bovins laitiers sont les systèmes les plus compliqués à analyser cette année dans le contexte de hausse des charges », introduit Mathilde Schryve, avant de laisser la parole à Claudie Perret, conseillère d’entreprise à Vesoul, spécialiste des élevages laitiers de plaine, et Thierry Perraudin, conseiller à Amancey, pour les élevages de l’arc jurassien. « En bovins lait de plaine, nous avons travaillé sur un échantillon de 470 fermes, sous formes sociétaires pour 80 % d’entre elles – ce qui répond à un problème d’astreinte – avec une SAU moyenne de 165 ha, dont 112 de SFP. Elles produisent en moyenne 475.000 litres de lait, payé 426 €/t en 2022, avec 73 VL. Après de nombreuses années de stagnation du prix du lait, celui-ci a progressé de 42 €/1.000 litres, ce qui entraîne une progression de 12 % du produit de l’atelier lait. Les charges opérationnelles dans le même temps ont augmenté de 7 %. L’EBE a progressé de 6 %, mais au détriment de l’efficience », détaille Claudie Perret.

Un EBE plus dilué

« En lait d’AOP, notre échantillon est de plus de 1.000 exploitations, avec en moyenne 114 ha de SAU dont 107 de SFP pour 57 VL (91 UGB). La spécialisation laitière ne permet que peu de synergie avec les autres productions à l’échelle de l’exploitation. Ces structures produisent en moyenne 366.000 litres, vendus à 677 €/1.000 l, un prix en hausse de 4 % en 2022. C’est une filière qui installe, avec un taux de reprise élevé, mais des difficultés à financer le capital. Le produit lait progresse de 12 % ; avec plus de 350 K€ de produit de l’atelier… tandis que les charges opérationnelles progressent de 16 %. Là aussi, l’EBE progresse de 3 % mais l’efficience baisse un peu », poursuit Thierry Perraudin.
Cette année en lait standard, la hausse du prix payé a permis de compenser l’inflation des intrants. Et même d’apporter une amélioration historique de la couverture du prix de revient du lait (454 €/t) par le prix du lait (426 €/t). « Mais ce niveau de prix ne permet pas encore de rémunérer la main-d’œuvre à hauteur de deux Smic/UTH », relève la conseillère. Plus inquiétant, « si le prix du lait finit par plafonner ou diminue, on a un risque d’effet ciseau. Dans un scénario moyen d’inflation et d’augmentation des achats d’aliments pour faire face à un aléa climatique de type sécheresse, le prix de revient du lait en plaine progresserait de 27 % en 2023… pour s’établir à 580 €/t ».
Dans les systèmes laits destinés aux AOP fromagères, où la structuration de la filière et son rôle protecteur vis-à-vis des fluctuations de prix a fait ses preuves dans la durée, le prix de revient du lait a progressé de 10 % à 523 €/t en moyenne en 2022, largement couvert par le prix de vente (677 €/t). « Mais le talon d’Achille, ce sont les aliments achetés et les charges de mécanisation… Un scénario moyen d’inflation et d’aléas climatiques nous donne en projection un prix de revient de 691 €/t (+32 %), une augmentation qui grignoterait une bonne partie du prix payé aux producteurs ».

Pistes stratégiques

Le témoignage d’Éric Ménétrier, producteur de lait à Vannoz dans le Jura, a permis d’aborder quelques pistes stratégiques d’adaptation, notamment au risque plus élevé que par le passé d’être confronté à un déficit fourrager à cause de la sécheresse. « J’ai installé un récupérateur de chaleur sous la toiture de mon bâtiment pour améliorer l’efficacité du séchage en grange, ainsi que la qualité des fourrages. Il va falloir envisager de réaliser des stocks plus importants, ce qui signifie augmenter les capacités de stockage, pourquoi pas collectivement ? On peut aussi réduire la production laitière pendant les périodes de pénurie de fourrage, comme nous avons su le faire, collectivement au début de la crise Covid, pour anticiper une baisse de la consommation ».
L’opportunisme fourrager et la capacité à valoriser le pâturage des automnes tardifs, ou à sécher des premières coupes précoces, sont en effet des axes de travail explorés. « Il est aussi primordial d’actualiser la bonne adéquation du chargement de l’exploitation avec le nouveau climat », analyse le conseiller, qui pointe des taux d’élevage qui ont parfois dérivé au cours de la dernière décennie. « Sans oublier d’investir dans l’ergonomie des bâtiments, des salles de traite… pour diminuer la pénibilité du travail et renforcer l’attractivité du métier d’éleveur laitier », ajoute Claudie Perret.
Les responsables professionnels présents, tels Christophe Chambon pour la FRSEA, Alain Matthieu pour le CIGC ou Thierry Guillaume du Cerfrance de Haute-Saône, ont tous insisté sur les limites humaines aux augmentations de la productivité. « Ces stratégies doivent rester vivables ! » Les exploitants doivent garder du temps pour s’informer, se former, réfléchir, s’investir dans leurs filières, les outils collectifs et leur réseau professionnel… « Sinon on va convertir les vaches en tracteurs ! » met en garde Thierry Guillaume.