Société
Lutter contre les violences intrafamiliales en milieu rural

Ariane Tilve
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Les violences intrafamiliales n’épargnent malheureusement aucune catégorie socioprofessionnelle ni aucun territoire. En revanche, les mécanismes d’emprise et d’isolement sont accentués en zone rurale. Des solutions existent pour bénéficier d’une aide d’urgence, qu’elle soit juridique, judiciaire, psychologique ou autre.

Lutter contre les violences intrafamiliales en milieu rural
Dépliant mis à disposition de toutes les victimes dans les commissariats et les gendarmeries de France.

Mobilité réduite, difficultés d’accès aux soins et aux services publics : un rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, publié l’année dernière, met l’accent sur la difficulté de lutter contre les violences intrafamiliales en zone rurale où vivent plus de onze millions de femmes. Reçue par cette délégation, Édith Gueugneau, maire de ­Bourbon-Lancy, copréside notamment une commission de l’Association des maires de France (AMF) sur l’égalité femme – homme et les violences faites aux femmes. L’élue a collaboré à l’écriture d’une dizaine de propositions pour améliorer l’efficacité des politiques de cette lutte. « Lorsque des femmes subissent des violences, elles sont sous le phénomène de l’emprise. Leurs compagnons les éloignent de leurs familles et de leurs amis. Pour lutter contre ce phénomène, un réseau Vif vient d’être créé qui irrigue Bourbon-Lancy mais aussi les petites communes alentour. Il s’agit d’apporter une réponse à ces femmes qui sonnent l’alerte ». Le réseau Violences intrafamiliales (Vif) a pour but de favoriser l’amélioration de la prise en charge des victimes grâce à un meilleur maillage partenarial de tous les acteurs sociaux spécialisés, de la commune au département en passant par les forces de l’ordre ou encore les associations telles que les Centres pour les droits des femmes et des familles (CIDFF). Le CIDFF intervient sur le volet civil, pour les demandes de divorces ou la garde des enfants par exemple. « La Saône-et-Loire est découpée en onze réseaux Vif. Toutes les collectivités n’ont malheureusement pas mis en place ce type de réseau. Il y en a notamment à Digoin, Chalon-sur-Saône, Mâcon ou encore Sennecey-le-Grand, le douzième s’ouvrira à Matour sur la communauté de communes de Saint-Cyr-Mère-Boitier. Ces réseaux disposent de travailleurs sociaux capables d’intervenir en gendarmerie et en commissariat. Ils accompagnent les victimes qui souhaitent porter plainte et font le lien avec les partenaires en fonction des besoins de la victime », explique Anaïs Zelenkauskis, l’une des deux juristes du CIDFF 71. Chaque réseau Vif est constitué différemment, avec les différents partenaires à disposition sur chaque territoire donné. Leur objectif est de diagnostiquer, de sensibiliser et de coordonner l’ensemble des interventions des professionnels concernés afin de prévenir les actes de violence ; d’accompagner les victimes (prise en charge psychosociale, matérielle, juridique, hébergement des femmes, traitement des enfants victimes directes ou indirectes) ; mais aussi d’accompagner les auteurs (éloignement du conjoint violent, prise en charge thérapeutique, etc.). Le principal partenaire commun à tous ces réseaux est France Victime.

Briser le silence avec le 3919


Malgré l’isolement, accentué en milieu rural, il existe une multitude d’outils au service des victimes, à commencer par le numéro national 3919. Seul un quart des appels pris en charge par ce numéro spécial provient de départements essentiellement ruraux alors que quasiment un féminicide sur deux s’y produit. Pourtant, il s’agit d’un numéro gratuit, disponible 7j/24h et qui n’apparaît pas sur les factures de téléphone. La victime est écoutée et orientée vers l’association et/ou le service le plus proche de chez elle. La proximité reste essentielle dans cette lutte. C’est pourquoi le CIDFF 71 essaie, dans la mesure du possible, de sortir des zones urbaines pour se mettre à disposition des personnes les plus isolées. « Nous avons de nouvelles permanences en Bresse, notamment à Saint-Martin-en-Bresse et Verdun-sur-le-Doubs. Nous avons également mis en place des rendez-vous en visio. Les victimes peuvent se rendre dans un espace France services pour échanger avec nous, avec l’aide d’un travailleur social, à titre gratuit et confidentiel », insiste Anaïs Zelenkauskis. Il existe en Saône-et-Loire au moins 44 espaces France services, selon l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), à Chagny, Pierre-de-Bresse, La Chapelle-de-Guinchay ou Chauffailles. Sans oublier, bien sûr, la permanence téléphonique du CIDFF 71 : 03.85.32.42.01, tous les mardis. Parmi les diverses organisations vers lesquelles se tourner, citons également les 19 Maisons départementales de solidarités (MDS) et d’autres associations comme les Pupilles de l’enseignement public (PEP71) ou encore Le Pont. Il ne faut pas non plus hésiter à frapper à la porte de la mairie car, comme le rappelle Anaïs Zelenkauskis, « les services municipaux sont en mesure de faire le lien avec les associations existantes ». Certaines municipalités vont même plus loin.

Des logements d’urgence réservés


Briser le silence, oser partir, mais pour aller où ? La question de l’hébergement d’urgence pérenne est primordiale en milieu rural, surtout avec des enfants. Une problématique qui représente le principal frein à un départ de foyer, faute d’une éviction du conjoint. « Il y a des femmes qui ne travaillent pas, qui ont des enfants et qui n’ont pas les moyens financiers de partir. Il faut qu’elles soient vraiment bien accompagnées pour le faire et oser le faire, insiste Édith Gueugneau. J’ai trois logements d’urgences, qui me permettent d’accueillir des femmes et des enfants qui peuvent venir s’y réfugier. Encore faut-il qu’elles puissent échapper à l’emprise des hommes […] Durant toute la période Covid, ces logements ont été occupés ». La convention établie initialement par la maire de Bourbon-Lancy pour ces logements permettait d’accueillir les victimes durant trois mois, le temps de les laisser se reconstruire et de leur trouver un autre logement. Une durée qui s’est avérée insuffisante, de l’aveu même de la maire, « les victimes sont dans un état d’effondrement tel qu’elles ne sont pas en mesure de rebondir ». Une fois en hébergement d’urgence, les victimes doivent être accompagnées dans le dépôt de plainte puis attendre le jugement. « Une attente extrêmement longue car les dossiers de ce type se multiplient », insiste Édith Gueugneau.


La mobilisation des élus primordiale



« En tant que maire, je pense que les actions à mener sur le sujet sont connues de mes consœurs et de mes confrères. À Bourbon-Lancy, nous avons du personnel dédié à cette problématique pour y parvenir. Mais si les élus ne prennent pas les choses en main, s’ils ne mettent pas des outils à disposition des victimes, c’est une mission quasi impossible », reconnaît la maire de Bourbon-Lancy. Ce constat a nourri le lancement, l’année dernière, d’un appel à manifestation d’intérêt interministériel pour financer une dizaine d’associations exerçant en milieu rural, à hauteur d’un million d’euros sur deux ans. Aux côtés des associations, certaines collectivités participent aussi au travail de prévention et de prise en charge de ces victimes. Si les préfectures assurent le relais de dispositifs nationaux de lutte contre ces violences à travers l’implication de délégués départementaux, la mobilisation des élus reste primordiale, surtout dans des plus petites communes, où le témoignage et le dépôt de plainte peuvent s’avérer plus difficiles par peur d’un manque de confidentialité. « Si les démarches de victimes sont de plus en plus nombreuses en ville, en zone rurale de nombreuses victimes restent muettes. La plupart n’ont pas connaissance du réseau qui existe pour les prendre en charge. Souvent, les gens se connaissent et une forme de honte pèse sur la victime qui n’ose pas faire part de sa situation par peur d’être jugée par le voisin. La prise en charge est plus difficile tout simplement parce que les personnes concernées ne nous sollicitent pas », affirme Anaïs Zelenkauskis. Pour y remédier, le CIDFF du Jura a mis en place un bus itinérant dont le but est de créer du lien social, parler avec les gens et mettre le doigt sur d’éventuelles situations de violence et orienter les victimes vers les bons interlocuteurs. « L’objectif est de faire connaître notre association, ses actions, mais il est essentiel de comprendre que c’est toujours la victime qui décide, ou non, de porter plainte ou d’agir. Nous sommes là pour l’accompagner, quel que soit son choix ». Mis en place le mois dernier, ce type de dispositif itinérant existe en Alsace depuis plusieurs années. Pour le moment, c’est un essai, avec l’embauche d’un travailleur social pour le véhicule. Si l’essai est concluant, la Région pourrait déployer ce type de van dans d’autres départements.

Louise Ropert et Anaïs Zelenkauskis, les deux juristes du CIDFF 71

Les Chiffres en Saône-et-Loire

En 2021, 1.310 victimes de violences conjugales ont été prises en charge par France Victime 71, contre 1.047 en 2020 et 743 en 2019. Cela représente un tiers du nombre total des victimes suivies par l’association pour différentes formes de violences : 1.015 victimes de violences physiques, 43 de violences sexuelles, 229 de violences psychologiques, 3 de tentative d’homicide volontaire et 20 d’atteinte aux biens ou violence économiques.