Institut Français de la Vigne et du Vin
Tout savoir sur le cuivre !
L’Institut Français de la Vigne et du Vin a organisé un webinaire le 18 janvier à l’occasion des Entretiens Vigne Vin du Languedoc-Roussillon pour parler de l’utilisation du cuivre qui concerne autant les viticulteurs conventionnels que ceux certifiés en agriculture biologique. Après la campagne 2021 marquée par une pression sanitaire importante, notamment mildiou en Saône-et-Loire, l’occasion de faire le point, ne serait-ce que sur sa ré-approbation (ou non) réglementaire à venir.
Alors que le changement climatique promet de faire « remonter » le climat d’environ 200 km plus au Nord, le climat de Bourgogne pourrait à l’avenir ressembler à celui du Sud de la France. Avec des avantages et des inconvénients. Mais les référentiels risquent donc de changer. L’Institut Français de la vigne et du vin (IFV) mène des expérimentations sur les doses minimums de cuivre. Ce dernier permettant de gérer les attaques de mildiou. « Il y a des perspectives avec des outils spécifiques » pour réduire les doses « au mieux ». Encore faut-il que demain ce fongicide soit encore autorisé réglementairement.
C’est le travail de l’Union européenne qui a missionné une Task Force – composée de treize sociétés scientifiques membres - qui se penchent sur la réhomologation, ou non, de la matière active cuivre. Le cuivre sous ses cinq formes autorisées - hydroxyde, oxychlorure, oxyde, bouillie bordelaise et sulfate de cuivre tribasique – doit être examiné par l’Europe avant toute approbation de chaque pays membre.
Le cuivre à part
Parmi les phytosanitaires, le cuivre est « à part », estime Matthias Weidenauer, le chairman (président) de cette European Union Copper Task Force. Car c’est à la fois un métal qui se retrouve partout, un fongicide puissant et aussi un micronutriment essentiel que « tous les organismes, y compris humains, arrivent à contrôler de façon efficace » (homéostasie).
En clair, d’un point de vue réglementation, la relation effet-dose n’est pas typique d’autres pesticides : trop de cuivre peut provoquer des intoxications d’organismes vivants mais un manque de cuivre peut également provoquer des défaillances chez un être vivant.
Résultat, les modèles d’évaluation du cuivre sont inappropriés par rapport à d’autres métaux. En 2021 toutefois, l’Agence pour la sécurité alimentaire européenne (EFSA) a « fait des progrès » pour évaluer « ce nutriment utilisé aussi comme biocide ». L’EFSA a rajouté à ses critères, de nouveaux paramètres comme la biodisponibilité. « Pas parfait parfait » toutefois, reconnaît-il, mais plus complet pour évaluer la réalité des usages. Ces nouveaux modèles signent des progrès dans l’évaluation du cuivre dans les sols, eau, air…
Approuvés pour l’heure pour une durée de sept ans jusqu’en 2025, ces nouveaux modèles de l’EFSA « risquent d’avoir un impact sur la dose journalière admissible ». Cette nouvelle autorisation ou non devait aboutir d’ici fin 2021, un temps supplémentaire a donc été accordé pour trancher ce dossier politique (comme tout pesticide) d’ici la fin 2022… normalement. Si autorisation de l’Europe, il restera à chaque pays ensuite de l’approuver sur son sol. En France, la dernière approbation du cuivre date de 2019, « sous l’ancien modèle » scientifique de référence donc.
Candidat à la substitution
Pour l’heure, le cuivre reste donc exclu des réglementations listant les CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) ou perturbateurs endocriniens. Le cuivre est par contre sur la liste des produits qui doivent chercher un ou des candidats à substitution. Dans le jargon Européen, substitution signifie essayer de remplacer ce produit chimique dangereux. Principalement en raison de sa persistance, sa toxicité et sa tendance à la bioaccumulation (PBT).
Là encore, le cuivre pose un défi scientifique pour mesurer « la réalité » de ces trois critères puisque présent à l’état naturel dans l’environnement. Comme tout produit dangereux néanmoins, il faut bien différencier le danger du risque. Le danger lié aux propriétés intrinsèques du cuivre est différent du risque lié à un usage donné. Si les scientifiques sont prêts à évaluer les risques pour les bio-organismes, ils attendent « une correction » car « le concept de PBT n’est pas cohérent pour un produit minéral qui n’est pas synthétisé », selon les normes internationales dont la norme Reach européenne. Ce qui pourrait conduire à sortir le cuivre des candidats à substitution…
Les vers de terre résistent
Est-ce à dire que le cuivre est sauvé et sera autorisé à jamais ? Pas si vite. Les chercheurs se penchent depuis 2003 sur sa toxicité envers les vers de terre. Des tests sont réalisés dans des prairies (pour avoir le réel vieillissement des résidus). Après maintenant 20 ans, les scientifiques ne constatent pas d’effet négatif sur les populations de vers avec des doses allant de 4 à 8 kg/ha/an. Cependant, des experts indépendants mandatés nuancent toutefois ces conclusions en voyant des « effets sur des espèces individuelles » de vers de terre (A. caliginosa, endogéique) mais au-delà de 8 kg/ha/an. Même avec un essai à 40 kg/ha, difficile de conclure sur une quelconque toxicité ! Des essais en vignes sont en cours pour simuler l’autorisation réglementaire maximale actuelle de 28 kg sur sept ans, avec un pic à 6 kg/ha/an, dans des sols qui ont déjà accumulé du cuivre.
Et pour les humains ?
Les autorités européennes ont également demandé aux scientifiques de se pencher sur les risques pour la santé humaine. Les recherches débutent. Le cuivre se trouve dans le corps humain (70-90 mg) de façon naturelle. L’homme en absorbe via la nourriture entre 1 à 4 mg/jour et en excrète 2 à 2,5 mg/jour. Le cuivre est dans tous les tissus et le sang (et double chez les femmes enceintes) mais se concentre plutôt dans le foie et le cerveau.
Énième problème législatif, le seuil de toxicité actuel pour un adulte est fixé à 0,08 mg/kg. Ce qui est « déjà dans la plage de concentration de cuivre dans le sang » régulièrement. Et le modèle scientifique de l’Anses permettant de modéliser le transfert du cuivre de la vigne à l’Homme serait « très exagéré ». À revoir donc pour savoir quels sont les transferts via la peau notamment.
Sans conclure réellement, Matthias Weidenauer « reste convaincu que le cuivre est un produit sûr » et devrait voir sa réhomologation intervenir d’ici la fin 2022 en Europe.
Des réductions de doses possibles
Après cette longue introduction réglementaire, Caroline Gouttesoulard de l’IFV parlait du pilotage et de la réduction de doses de cuivre dans les vignes. Elle s’appuyait pour cela sur les données d’un projet arrivé à terme (Biocuvitioeno) qui abordait tant la partie viticulture qu’œnologie. Quatre années d’essais ont été menées en rosé AOC costières de Nîmes, rouge AOP gaillac et blanc AOP gaillac (profil thiols), offrant des contextes pédoclimatiques différents. Sur ces deux sites d’essais, trois modalités ont été appliquées. Le premier « pire cas de figure » à 6 kg/ha/an de cuivre (nommé CU +) avec un maximum de résidus côté œnologique. Le second essayant de mettre le moins de cuivre possible avec une limite maxi de 4 kg/ha/an (bouillie bordelaise à 100-120 ml/ha pulvérisé en face par face) dans tous les cas de figure (nommé CU-). Enfin, une modalité se basant sur les pratiques du viticulteur accueillant la parcelle expérimentale. Caroline Gouttesoulard détaillait donc en particulier la modalité CU- piloté avec l’outil d’aide à la décision Decitrait permettant d’adapter la dose de cuivre au minimum, et encore si et seulement si la pression sanitaire nécessitait de traiter (modèle Optidose en fonction aussi stade phénologique et développement de la végétation). Toujours en vue de réduire les doses de cuivre, les chercheurs ont utilisé en plus des produits de biocontrôles (huile essentielle d’orange) en cas de présence de mildiou.
Elle donnait alors quelques résultats comme en 2018 sur les Costières où la parcelle témoin non traitée a été totalement détruite par le mildiou. Dans le même temps, avec seulement sept traitements (4 IFT cuivre avec 4 IFT biocontrôle) pour un total de 3 kg/ha de Cu apporté, l’intensité des dégâts a été autant contenue que dans le protocole maximaliste (7,7 kg/ha). Le vigneron ayant lui apporté 5,6 kg/ha en dix traitements.
Résultats quasi-similaires en 2020 sur la parcelle de Gaillac. Le témoin non traité affichait 34 % de pertes. En réduisant à seulement cinq traitements (2 IFT cuivre avec 1 IFT biocontrôle) pour un total de 1,7 kg/ha contre 8 traitements et 2,8 kg/ha pour le vigneron, les rendements et résultats sont au final identiques
Enfin, en 2021, sans apparition de mildiou sur le témoin non traité, le vigneron a joué la prudence et apporté 2,5 kg/ha « pour rien », estimait la scientifique, démontrant tout l’intérêt de Décitrait.
Baisse du nombre de passages
En moyenne, sur quatre campagnes, les essais permettent de démontrer qu’il est encore possible de baisser d’un kilo de cuivre par hectare par rapport aux pratiques du vigneron déjà performant. Cette réduction se fait sans forcément de réduction de la dose par passage mais bien par une baisse du nombre de passages pilotée, en gagnant trois passages en moyenne par campagne. Avec toujours ce bémol que ces gains se font selon la pression maladie du millésime ou le secteur, avec plus de « réductions de doses » sur les Costières de Nîmes que sur Gaillac ici.
Reste qu’il s’agit d’essais scientifiques et Caroline Gouttesoulard attirait l’attention sur les limites connues pour un véritable domaine viticole et son économie : un orage imprévu dans les prévisions météo peut toujours survenir et le mildiou s’installer. Ces essais restent donc quelque part théoriques. Et de rappeler également que le cuivre permet aussi de gérer le black-rot, bien que le soufre aussi.
En conclusion, des réductions de doses de cuivre semblent possibles, dans le respect des 4 kg/ha/an de cuivre métal en actionnant plusieurs leviers… enfin tout du moins en Occitanie.
Du cuivre à la vendange
La deuxième partie de son exposé s’intéressait à l’impact sur les résidus à la vendange « qui naturellement contient déjà du cuivre », rappelait Caroline Gouttesoulard, comme le montraient les analyses des témoins non traités (jusqu’à 2 mg/kg sur baie de Syrah…). Il n’y a pas de corrélation du cuivre contenu dans les sols avec celui retrouvé sur les raisins. Par contre, logiquement, plus le dernier traitement est un apport conséquent en cuivre, plus il y a de résidus sur baies, inversement avec le délai par rapport à la date jusqu’aux vendanges. L’effet lessivage joue aussi s’il pleut entre le dernier traitement et la vendange. Et ce même dans la modalité dose de cuivre maxi. Les pratiques du vigneron et la modalité Decitrait laissent des résidus en quantité extrêmement faible à la fin au chai.