Portrait : Jean-Paul Émorine
La ruralité, cœur d’une politique

Françoise Thomas
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Jean-Paul Émorine ne s’est pas représenté aux sénatoriales de septembre dernier, mettant ainsi fin à 25 ans de vie partagée entre Sennecey-le-Grand et le palais du Luxembourg. À 76 ans, celui qui a toujours poursuivi son métier d’éleveur bovins n’occupe ainsi plus de mandats officiels mais arbore un parcours politique impressionnant avec près de 50 ans de vie publique.

La ruralité, cœur d’une politique

Jean-Paul Émorine était en plein service militaire lorsque que John F. Kennedy est assassiné. Un événement qui le marque alors profondément, tout comme la phrase prononcée par le président américain quelques temps plus tôt lors de son discours d’investiture : « Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ».  
Le décès violent de JFK ne fait que conforter Jean-Paul Émorine dans sa volonté de faire sienne cette phrase.
À cette époque, ses parents sont déjà agriculteurs à Sennecey-le-Grand, là où il est né... Après des études en agriculture, il poursuit sur la ferme familiale en tant qu’éleveur charolais « une exploitation d’une centaine d’hectares et de 150 à 200 bovins allaitants », précise-t-il.

Premiers dossiers

Au début des années 1970, il fait également partie des premiers éleveurs qui « lancent » la race moutons charollais (une activité cessée pour sa part en 1992).
En parallèle, le jeune agriculteur s’inscrit dès cette époque dans la vie syndicale agricole. Il devient rapidement président du syndicat local. Un premier engagement qui le portera bien haut et bien au-delà de l’agriculture.

« J’ai été adhérent de la FDSEA jusqu’en 1985 lorsque je suis devenu conseiller général », se rappelle-t-il. Entre temps, il avait intégré en 1971 le conseil municipal de Sennecey-le-Grand. « C’était la grande époque des opérations de remembrements, se souvient-il. Il a fallu rassembler tout le monde autour de la table et entamer le dialogue avec les 550 propriétaires concernés ». Un premier exercice difficile qui le conforte dans sa volonté de toujours tout faire pour trouver un consensus et proposer des solutions approuvées par le plus grand nombre…
C’est également la période des premiers travaux de drainage.

Mandats locaux et nationaux

S’ensuit dès lors une carrière politique en parallèle de son exploitation, marquée en 1983 par un poste d’adjoint au maire et deux ans plus tard, par un siège au Conseil général. 
Les questions agricoles auront toujours été au cœur de son action : « j’avais beaucoup de liens avec les organisations agricoles et j’étais notamment le représentant du Conseil général au conseil d’administration du GDS ». Autant de compétences alors sollicitées dans le cadre de la commission agriculture et environnement en charge des questions de santé animale, de bâtiment d’élevage, de drainage et d’irrigation...

En parallèle, étant un proche de Dominique Perben alors député-maire de Chalon-sur-Saône, Jean-Paul Émorine devient son suppléant dès 1988. Lorsque Dominique Perben est nommé ministre de l’Outre-Mer, Jean-Paul Émorine le remplace à l’assemblée nationale. Un poste qu’il occupe deux ans, de 1993 à 1995, avant d’être élu sénateur la même année.

Questions agricoles

Vie politique et quotidien d’éleveur, ce sont deux carrières que Jean-Paul Émorine aura mené de front de nombreuses années : agriculteur jusqu’à sa retraite en 2004, maire jusqu’en 2008, conseiller général jusqu’en 2011, sénateur jusqu’en 2020… Avec l’agriculture et la ruralité, les questions économiques et d’aménagement du territoire, au cœur de son combat.

Après avoir été rapporteur de la loi de modernisation de l’agriculture en 1995 lorsqu’il était à l’Assemblée nationale, son mandat de sénateur le conduit, lui, à participer à de nombreuses missions d’information : sur l’avenir puis la révision de la politique agricole commune, sur la lutte contre l’épizootie de fièvre aphteuse, sur l’avenir de l’élevage, enjeu territoire-enjeu économique. Avec toujours comme leitmotiv au sein de sénat « la défense de la ruralité ». La densité de la population au niveau national était la même que celle de la Saône-et-Loire, « cette situation transposable me permettait d’appréhender parfaitement les problématiques de mobilité, d’accès aux soins, etc. ». Il se trouvait ainsi à-même de témoigner des différences d’approches entre les grandes villes et les communes rurales. « C’est une chance pour un pays d’avoir des espaces ruraux pour pouvoir nourrir sa population », martèle-t-il encore aujourd’hui. « La ville ne peut se passer de la ruralité, poursuit-il. Mais les espaces ruraux ne valent que parce qu’il y a de l’activité agricole ».

Toujours mobilisé

Encore faut-il offrir aux agriculteurs des conditions dignes. Il reste « scandalisé par le revenu des agriculteurs. Comment peut-on attirer des jeunes avec un tel niveau de rémunération ? Qui peut travailler à perte ? ». En cela, la loi ÉGAlim a pour lui loupé le coche, « elle est faussée » notamment par « le refus de l’amendement proposé par le Sénat qui imposait la prise en compte du coût producteur »…

Ainsi pour lui, de façon générale, « la politique agricole proposée est complètement à côté de la plaque. Il faudrait que les questions agricoles soient déconnectées du giron de l’OMC » (organisation mondiale du commerce). Et si les productions françaises doivent en priorité alimenter le marché français, et vice-versa, seule l’Europe est pour lui la bonne échelle pour tenter de rivaliser au niveau mondial face aux mastodontes américains, chinois, russe et indien.

À l’échelle nationale, l’une de ses dernières mobilisations aura été au sujet du suicide des agriculteurs : « une situation inacceptable et lancinante, qui se poursuit dans l’indifférence… ». Un combat toujours poursuivi par Henri Cabanel, sénateur de l’Hérault.

Désormais celui qui aura aussi beaucoup œuvré à la commission des affaires économiques du Sénat en tant que président pendant plus de sept ans va continuer de s’impliquer pour les autres : « j’ai été sollicité pour intégrer la fondation Leaders pour la paix, fondée par Jean-Pierre Raffarin » -celle-ci a pour vocation de sensibiliser les dirigeants et les opinions publiques sur les risques de conflits armés-, tout en continuant de suivre de près l’évolution des questions agricoles au sein de l’organisation mondiale du commerce…