FILIERE CUIR
« Nous sommes incapables de satisfaire les besoins de l'industrie du luxe »

Robert Ameteau, PDG de Co.Vi.Co SAS, l'un des principaux exportateurs de cuirs et de peaux brutes salées (bovins, ovins, caprins et équidés) provenant des abattoirs français et Frank Boehly, président d’Alliance France Cuir nous ont accordé une interview pour parler de la filière cuir en France.

« Nous sommes incapables de satisfaire les besoins de l'industrie du luxe »
Robert Ameteau, PDG de Co.Vi.Co. ©R_Ameteau

Qui sont les différents clients de la filière cuir ?

Robert Ameteau, PDG de Co.Vi.Co : « Au total, 7 % de nos cuirs de veau sont destinés à la filière luxe, contre 1 % des gros bovins et 3 % des ovins. Finalement, le luxe représente une faible quantité de la production. Pour les tranches de qualité intermédiaire, nous sommes obligés d’aller chercher de nouveaux usages et de nouveaux clients à l’exportation. Le produit brut intéresse notamment des tanneurs étrangers, surtout situés en Asie. Ce marché nous permet d’écouler la grande majorité des peaux françaises. »

Quel est le poids des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté pour la filière ?

Frank Boehly, président d’Alliance France Cuir1 : « En France, la filière du cuir pèse 25 milliards d’euros (Md€) de chiffres d’affaires et regroupe 13 000 entreprises et 130 000 emplois. La plus grosse dynamique est celle réalisée à l’export, avec 19 Md€ et une balance positive de près de 5 Md€. La région Auvergne-Rhône-Alpes est la seconde région la plus importante en termes de chiffres d’affaires, derrière l’Île-de-France, puisque le secteur de la maroquinerie y est extrêmement développé. En réalité, ce territoire englobe 12 % du chiffre d’affaires du secteur de la maroquinerie et les tanneries (bovins) et mégisseries (ovins et caprins) ne sont certes, pas très nombreuses, mais sont néanmoins très actives. Viennent ensuite les régions Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté et Pays de la Loire. »

La baisse du cheptel bovin français vous inquiète-t-elle ?

Frank Boehly : « En France, l’industrie du luxe utilise principalement des peaux de premier choix. Or, nous sommes incapables de satisfaire les besoins de cette activité. Nous avons pourtant en train de mettre en place un outil de traçabilité, afin de pouvoir identifier l’origine de la peau et suivre sa régularité. Cet outil nous permet aussi d’intervenir auprès de l’élevage et de l’informer de problèmes survenus sur la peau. »

Quels critères définissent une peau de premier choix ?

Robert Ameteau : « C’est un enchaînement de valeurs. En France, nous avons de bons élevages, des abattoirs qui travaillent plutôt bien, mais nous rencontrons des problèmes liés aux techniques d’abattage, ou encore de salage ou de stockage. »

N’est-il pas possible de rattraper cette baisse du cheptel avec l’usage de peaux d’ovins ou de caprins ?

Robert Ameteau : « En 2023, nous avons abattu 4 millions d’ovins. Mais malgré ce chiffre, nous sommes déficitaires, puisque 2 agneaux sur 3 consommés en France sont importés. Nous ne disposons pas des volumes et des races authentiques pour intéresser durablement des clients. Rappelons que les éleveurs produisent des animaux pour leur viande et pas pour le cuir. Ces dernières années, les producteurs ont amélioré la génétique des animaux, ce qui a également changé la structure de la peau. Elle ne répond désormais plus aux attentes et aux outils des mégissiers français. »

Ce manque de volume n’est-il pas aussi lié à un problème de juste rémunération des éleveurs ?

Robert Ameteau : « La question de la rémunération des éleveurs n’est pas liée à la filière du cuir, mais aux cahiers des charges et aux réglementations qu’ils leur sont imposés, ainsi qu’aux problèmes rencontrés avec les habitants qui n’acceptent plus certaines odeurs ou bruits. Le fait que la France, berceau européen de l’élevage, se désagrège, a pour cause un enchevêtrement économique et pas une problématique de rémunération des peaux. Comment voulez-vous que nous aidions des éleveurs qui se portent mal, alors que nous allons perdre des abattoirs et que les collecteurs de cuir se réduisent ? »

Frank Boehly : « Le plus gros problème de la rémunération des éleveurs réside dans le fait qu’ils ne puissent pas vendre leur viande au prix qu’ils le souhaiteraient. La filière cuir récupère un coproduit en sortie d’abattoir pour le travailler. Ce qu’il se passe en amont, dans l’élevage comme à l’abattoir, sort de notre champ d’action. »

Quels outils utilisez-vous afin de garantir la traçabilité du produit fini ?

Frank Boehly : « Dorénavant, la quasi-totalité des peaux de veau est tracée. C’est en cours de développement pour les jeunes bovins et cela viendra dans un second temps pour les gros bovins et les ovins. Cette traçabilité est réalisée à l’aide d’un marquage au laser sur les peaux en sortie d’abattoir. Ce marquage peut ensuite être lu par un lecteur automatique dans les tanneries équipées. Ces informations vont ensuite dans une base de données, afin de connaître la nature et les défauts de chaque peau. Pour les plus petites structures, cela fonctionne avec un système d’étiquettes. »

Propos recueillis par Léa Rochon

1 - Ancien Conseil national du cuir en France, l'organisation de représentation de la filière regroupe 21 fédérations du secteur du cuir réparties en production, transformation, fabrication et distribution.
Frank Boehly, président d’Alliance France Cuir. ©CNC