Travaux forestiers
Le retour des chevaux pour le débardage forestier

Marc Labille
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Dans le Morvan, le débardage à cheval est de retour là où les machines atteignent leurs limites. En juillet dernier, un chantier de ce type était présenté par la coopérative CFBL.

Le retour des chevaux pour le débardage forestier
Le débardage à cheval est une solution pour les parcelles non mécanisables : forte pente, présence de roche, accès difficile, ruisseau, zones humides…

Cet été, la traction animale a repris du service sur un chantier de débardage dans le nord de la Saône-et-Loire à Chissey-en-Morvan. C’est la coopérative forestière Bourgogne Limousin (CFBL) qui en est le maître d’oeuvre. La parcelle appartient à une famille d’agriculteurs de Lucenay-L’Évêque. Située dans le fond d’une vallée encaissée, elle avait été plantée d’épicéas et de quelques sapins de Douglas il y a une cinquantaine d’années. Récemment, les premiers signes de dépérissement ont été constatés sur les épicéas. Avec le réchauffement climatique, cette essence succombe à des attaques d’insectes ; des scolytes qui sont un véritable fléau pour les forêts d’épicéas. Pour cette parcelle morvandelle, la récolte des arbres devenait urgente. Mais pour la famille Allyot propriétaire des plantations, le chantier s’annonçait complexe en raison du relief pentu et rocheux, d’un chemin d’accès étroit bordé de bois et de la présence d’un ruisseau à traverser. Face à la topographie et aux enjeux environnementaux de ce chantier, la famille Allyot s’en est remise à la CFBL, coopérative dont la mission est de valoriser les parcelles forestières de ses adhérents.

Une conseillère de la coopérative, Marlène Bourguignon, a pris les choses en main et, en accord avec les propriétaires, une récolte non conventionnelle a été organisée en à peine deux mois de temps. Le débardage avec des chevaux était une solution et la conseillère a sollicité un professionnel de cette technique installé dans le Rhône, Éric Vouillon (lire encadré). Une équipe de bûcherons-élagueurs venue de la région du Creusot (Philippe Perrin) assurait pour sa part l’abattage des arbres à la tronçonneuse. 

Complémentaire à la mécanisation

Le chantier a pris trois semaines et le cheval est venu en complément de la mécanisation. Aidé de ses deux chevaux de trait ardennais et comtois, Éric Vouillon a extrait de la parcelle chacune des grumes abattues par les bûcherons. Ces derniers faisaient en sorte de faire tomber les arbres dans le sens de la montée, prêts à reprendre par les chevaux. L’attelage commençait par regrouper les perches par deux ou trois puis il les tirait vers une première plateforme située de l’autre côté du ruisseau, au sortir de la partie accidentée non mécanisable. Là, un tracteur forestier équipé d’une pince venait reprendre les grumes pour les stocker sur une seconde plateforme accessible aux camions. 

En évitant les engins lourds de type abatteuse et porteurs articulés, ce procédé a permis de préserver le lit du ruisseau et de ne pas endommager le site. De gabarit modeste, le tracteur forestier était aussi moins impactant pour le petit chemin ancien et pittoresque qui dessert la parcelle. L’abatteuse n’a été nécessaire que sur la plateforme de chargement des bois. C’est elle qui recoupait les grumes en billons homogènes pour être chargés sur des camions porteurs routiers.

Gros travail d’organisation amont

Ce chantier atypique a nécessité un gros travail d’organisation en amont. Ce fut la mission de Marlène Bourguignon qui, mandatée par le propriétaire, s’est chargée de repérer le parcellaire, obtenir les autorisations nécessaires, louer à des riverains les parcelles recevant les plateformes de stockage ou de reprise, établir les contrats avec les prestataires… Un important travail de démarches administratives et de communication avec les personnes concernées, confie la conseillère. C’est aussi la CFBL qui s’est chargée de la commercialisation des bois. L’abattage d’urgence ayant aussi pour but de récolter des grumes avant qu’elles ne soient trop endommagées par les insectes. 

Coup de pouce de la Région

Un tel chantier faisant appel à des chevaux revient forcément plus cher qu’une récolte entièrement mécanisée, reconnait Marlène Bourguignon. Heureusement, la Région Bourgogne Franche-Comté consacre une aide spécifique pour compenser ce surcoût. Grâce à cette subvention, le coût final est assez raisonnable, assure la conseillère. « Nous ne sommes pas plus chers que les machines puisque nous intervenons sur des chantiers qu’elles ne peuvent pas faire ! », argumente Éric Vouillon. « Le cheval se justifie pour les chantiers non mécanisables », confirme Marlène Bourguignon. Et, limitant les impacts sur l’environnement, il économise en outre des frais d’aménagement de piste ou de remise en état, complète la conseillère de la CFBL.

 

Ce que la mécanisation ne sait pas faire

Ce que la mécanisation ne sait pas faire

Le travail avec des chevaux métamorphose un chantier de débardage. La première différence, c’est l’absence de bruit de moteur. Vient ensuite le côté beaucoup moins impressionnant de l’opération. D’apparence paisible, les chevaux donnent une meilleure image qu’une abatteuse à chenilles, munie d’un immense bras hydraulique et pesant plusieurs dizaines de tonnes ! Et l’impact sur le sol et l’environnement n’a rien à voir. Cela n’empêche pas l’opération d’être très physique pour le meneur de chevaux. Outre l’art de savoir diriger à la voix une paire d’équidés, il faut aussi, sur un terrain difficile, passer les chaînes sous les grumes, suivre l’attelage dans ses manœuvres, retirer les chaînes une fois les grumes déposées à bon port… Des manipulations répétées, éreintantes et risquées. Les chevaux aussi accomplissent un effort physique important dans un environnement éprouvant. Ils ne travaillent que par séquences de 1 h 30, entrecoupées de pauses d’une demie-heure. Durant la journée de travail, Éric Vouillon les nourrit avec trois rations de granulés qui imposent aussi des temps pour la digestion...

Débardage et travaux dans les vignes

Débardage et travaux dans les vignes

D’abord boulanger de métier, Éric Vouillon s’est installé comme « débardeur traction animale » en 2012 après s’être formé au lycée forestier de Noirétable (42). Au fil des années, le débardage a cédé du terrain au travail dans les vignes qui l’occupe désormais majoritairement. Éric possède trois chevaux de trait : un trait du Nord, un ardenais belge et un comtois. « Ce n’est pas évident de trouver des chevaux qui travaillent », confie-t-il. « Un comtois débourré se négocie entre 6.000 et 8.500 € », ajoute-t-il. Sur les chantiers, Éric intervient souvent de concert avec un autre débardeur à cheval pour plus d’efficacité. Dans la Nièvre, il a pris part à un chantier de 28 hectares avec trois autres débardeurs et quatre bûcherons. Dans une coupe d’amélioration, Éric Vouillon assure pouvoir débusquer une soixantaine de mètres cubes par jour avec ses chevaux. Et ce dans des pentes pouvant atteindre 60 % ; là où les machines sont incapables d’aller, fait-il valoir.