Maires ruraux de Saône-et-Loire
Le foncier au cœur des usages de demain

Cédric Michelin
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Le 16 septembre à Martigny-le-Comte, l’Union des maires des communes rurales de Saône-et-Loire (UMCR71), bientôt Association des maires ruraux 71, abordait un thème central, l’aménagement des territoires ruraux, la consommation de foncier et la limitation de l’artificialisation. Un débat en deux temps, ou plutôt en deux nouvelles lois : celle de la loi Zan, pour zéro artificialisation nette, et celle de la loi AER, visant l’accélération des énergies renouvelables. L’agriculture n’étant jamais bien loin.

Le foncier au cœur des usages de demain
Si les maires sont contraints « d’appliquer des lois rigides ; l’Etat, lui, déroge : photovoltaïque, nucléaire… », dénonçaient les maires sur un deux poids, deux mesures.

Pour apporter des réponses concrètes aux 150 maires de Saône-et-Loire présents, le président de l’UMCR71 (bientôt AMR71) avait convoqué par moins de deux tables rondes et huit intervenants. « La Saône-et-Loire est un territoire très largement rural, avec un maillage fort de villages dont beaucoup sont en progression démographique. La campagne attire. La raison de notre association est d’agir pour une ruralité vivante », posait en préambule, Jean-François Farenc. Et les maires sont « animés par de grandes questions », notamment autour de la loi Zan, « pour ne plus consommer » de terres agricoles et naturelles. Une demande émanant de la profession agricole à la base pour notamment permettre l’installation d’agriculteurs et assurer la souveraineté alimentaire de la France, comme il est convenu désormais de viser.

Mais derrière ce louable objectif, les maires ruraux ne veulent pas pour autant être « mis sous cloche ». Car, par la voix de leur président, ils rappelaient aux élus et au préfet présent, « que pendant des années, on n’a rien consommé ». Ils ont donc réclamé un « droit à l’hectare », sorte de « réserve urbaniste » pour « accueillir » de nouveaux habitants, voire construire. Demande portée par les sénateurs (Mme Mercier, MMr Durain et Genet ; tous réélus ce dimanche) qu’il remerciait. L’association des maires ruraux de France a porté cette demande au national et son président, Michel Fournier redisait sa volonté de voir inscrit dans la Constitution française : que la ruralité a « l’obligation d’entretenir et ces espaces à valoriser », qui font la beauté de la France. « L’eau, la terre nourricière, la forêt… tout ce qui est vital, c’est chez nous », a-t-il réussi à faire entendre à Paris. La bureaucratie parle « d’aménités » ouvrant la porte à une « dotation » crédits carbone aux communes. Venant des Vosges, Michel Fournier donnait son avis sur la loi Zan, « contraignante, obligeant à travailler sur nos bâtiments dégradés, nos centres de villages qui sont parfois en déshérence », réclamant par la même occasion des moyens à l’État ou une fiscalité « spécifique ». Est-ce que les énergies renouvelables pourront apporter des rentrées économiques ? « Nous sommes le lieu de développement des énergies renouvelables », clamait à juste titre, Jean-François Farenc qui a compris que la « loi AER nous donne la main sur les projets mais cela reste complexe », faute d’ingénierie bien souvent dans les petites communes (lire encadré).

La loi Zan, « c’est naze ? »

C’est par cette question volontairement provocatrice que l’animateur des tables rondes, Laurent Rebeyrotte débutait en demandant au directeur de la DDT71 si effectivement, les démarches sont « simplifiées ». Jean-Pierre Goron rappelait la « multiplicité des lois sur le foncier, sur les bien communs de la nation (eau, air…), autant de ressources limitées soumises à nombre d’enjeux » : agricoles, entreprises, biodiversité, sociétaux… citait-il par exemple. Il estimait que la voie de « facilité » a donc été jusqu’à présent l’étalement urbain et la consommation d’espaces. Et depuis quatre décennies, les législateurs peinent à trouver une solution malgré « l’imbrication de lois essentielles à combiner et à mettre en œuvre ». Les lois : SRU, Alur, Elan, Climat et résilience, Grenelles… faisant que c’est « devenu tellement compliqué qu’en juillet, la loi Zan vient nous aider en théorie à tendre vers la trajectoire de zéro artificialisation NETTE », insistait-il pour ne pas oublier le troisième mot.

Le maire de Matour, Thierry Igonnet ne parlait pas de « facilité » mais voit plutôt dans les questions d’urbanisme d’une commune, le « poids de son histoire », entre « volonté d’encadrer » et projets « au fil de l’eau », imprévus. Et ce malgré les plans successifs. Matour a fait son premier POS en 1983, son PLU en 2008 et à nouveau a choisi de « passer » à un PLUI regroupant huit communes. « Des réflexions » conduites tant bien que mal car « l’aspect réglementaire est de plus en plus dur » et « avec une marge de manœuvre proche de zéro. La DDT dit droit ou non », a-t-il vécu. Même ressenti dans la salle avec les maires ruraux qui bruissaient lorsque le DDT tentait de nuancer le fait que le « maire perd son pouvoir de décider », selon Thierry Igonnet et bien des maires donc. Et cela risque de ne pas aller en s’arrangeant puisque Jean-Pierre Goron présentait la loi Zan dont les objectifs courent sur « trois décades » : « la première ne posera pas trop de problèmes ; la seconde vise à réduire par deux la consommation d’espace et la troisième vise zéro artificialisation », comparativement à la décade 2010-2020. Les données et cartes de la DDT font ressortir qu’effectivement ce sont « principalement les centres urbains ont consommé plus, mais structure les territoires ». À l’inverse, des communes n’ont rien consommé ou moins d’un ha et auront donc bien droit « à une garantie d’un hectare ».

Des projets au long cours

La conseillère régionale en charge de la ruralité, Jamila Habsaoui revenait alors sur le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) qui a fait le constat que la « démographie en Bourgogne-Franche-Comté va stagner, voire diminuer, avec des territoires moins denses et un taux de vacation des habitations rurales qui explose », auquel il faut rajouter des résidences secondaires en hausse. Le syndrome des volets clos et boutiques vides au final, même si les résidences secondaires ont permis nombre de rénovations de vieux bâtis. Le conseil régional a lancé des dispositifs : villages innovants (Envi) ou de rénovation des centres Bourg, avec aussi un volet « d’aide d’ingénierie » pour aider les maires à « concrétiser leurs projets ». « Qui demandent des moyens importants », rebondissait le maire de Matour, sollicitant des aides. Sa mairie avait fait l’achat d’un ensemble immobilier en 2004 pour « densifier le bourg centre avec une rénovation de logements » qui viennent juste d’être inaugurés, soulignant l’intérêt d’un PLU pour « se saisir du long terme ».

Jean-Pierre Goron ne semblait pas encore avoir une claire vision à long terme car « une fois la territorialisation du Zan dans le Sraddet et dans les Scot, l’objectif de la trajectoire Zan s’imposera aux PLUI… ». Et ce « même si un projet est soutenu par l’État ou une commune ». Le DDT invitait donc les maires à ne pas avoir peur de « reconstruire les cœurs de leur village, de réfléchir à densifier et de ne plus se concentrer sur l’urbanisation ». Le directeur de l’Établissement public foncier local (EPFL) Doubs BFC, Charles Mougeot allait dans ce sens : « le tout beau, tout neuf, ce n’est pas pour nous. Ou quand il y a carence des initiatives privées, il faut bien des initiatives publiques », redisait-il. Son établissement aidant toutes les communes à porter les politiques des élus et « parfois déconstruire pour éviter le phénomène de paupérisation » qui peuvent toucher aussi les communes rurales.

Renverser le rapport de force avec les opérateurs énergétiques

La deuxième table ronde de la matinée était ensuite consacrée aux énergies renouvelables. L’ambition de la France est d’arriver à la neutralité carbone en 2050 en réussissant à « sortir des énergies fossiles » qui représentent deux-tiers des énergies totales consommées. Pour y arriver, des énergies dites « décarbonnées », nucléaire et énergies renouvelables, ont vu leurs ambitions être « accélérées » par la loi AER notamment. Pour arriver à la neutralité, deux autres piliers devront être mis en œuvre en plus : sobriété énergétique et efficacité énergétique, en augmentant au passage le captage de CO2. Pour la référente préfectorale à la loi AER, Agnès Chavanon espère voir les « maires reprendre le pouvoir – un peu – par rapport aux opérateurs énergéticiens », qui sont en train de les démarcher. L’objectif avec la loi AER serait que les municipalités déterminent des espaces où installer les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque…) pour que ces projets soient acceptés localement par les populations dans un premier temps et que les communes puissent ensuite faire jouer la concurrence entre opérateurs. « On a déjà identifié des zones favorables et des solutions facilement mobilisables », veut-elle croire. Une belle promesse qui se heurte à la réalité actuellement. Maire de Saint-Vincent (7e mandat), Jean Girardon n’est pas né de la dernière pluie et se montrait critique. « Notre chauffage au fioul flanche et le coût devient élevé. Nous avons opté pour une chaufferie au bois, technologie maîtrisée, durable et renouvelable. Elle sera opérationnelle en 2025 après un an et demi de phase administrative », croise-t-il les doigts pour que la chaudière fioul tienne jusque-là, subissant en plus les hausses tarifaires.

Là encore, les maires doivent bien souvent se débrouiller seuls. À l’image de Michel Maya, maire de Tramayes, village pionnier des communes durables, visant même à être énergétiquement positif. Il montrait un outil web indiquant « le potentiel énergétique » d’une commune donnée, mais aux termes abscons, que seuls des « spécialistes » peuvent interpréter. Pas de quoi le décourager, à l’inverse de nombre d’autres qui baissent les bras où sont obligés de payer des cabinets de conseils. Maire de la Vineuse-sur-Frégande, Jean-François Bonnetain attirait aussi l’attention de paramètres nouveaux à intégrer. « Sur nos communes forestières, la biomasse fait partie du bilan énergétique. Mais attention aux plans d’approvisionnement des territoires, surtout des agglomérations, car nos forêts demain ne grandiront pas comme elles l’ont fait », dénonçant l’optimisme d’affichage de certains plans. Au dernier Euroforest, le Ministre de l’Agriculture n’avait pas dit autre chose au sujet des plans des différents Ministères qui comptent la même forêt pour plusieurs usages énergétiques, bâtiments, ameublement… Impossible donc. C’est en quelque sorte le même risque de conflits, cette fois entre alimentation et énergie, que craint Luc Jeannin, vice-président de la chambre d’agriculture qui venait rappeler les orientations de la profession sur l’agrivoltaïsme : « garantir l’accès foncier aux jeunes ; sécuriser le fermier face aux opérateurs ; sécuriser le propriétaire foncier sur le démantèlement… ». Les maires ruraux n’ont donc pas fini de devoir gérer des territoires ruraux (88 % de la superficie française) avec de plus en plus d’usages et publics différents.