EXCLU WEB Statut du fermage : comprendre le projet de réforme

Après de nombreuses années de négociation – et parfois d’enlisement –, les discussions entre les sections des fermiers (SNFM) et des propriétaires (SNPR) de la FNSEA ont abouti il y a quelques mois à un projet de réforme du statut du fermage. 

EXCLU WEB Statut du fermage : comprendre le projet de réforme

Le syndicalisme majoritaire propose six changements à ce statut dérogatoire à la liberté contractuelle institué au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le projet de réforme vise à limiter les contentieux, inciter les propriétaires à mettre à bail, tout en facilitant l’installation des jeunes dits "hors cadre familial". Certes de faible amplitude, le projet touche à une règle d’ordre public concernant la quasi-totalité des terres en fermage, soit deux tiers de la Ferme France. Et il pourrait être la base d’une réforme foncière plus large, attendue pour le prochain quinquennat.
Mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour conforter la productivité de la Ferme France, le statut du fermage fixe quelques grandes règles visant à pérenniser et sécuriser les exploitants fermiers dans leurs investissements : durée minimale du bail de neuf ans, prix du fermage encadrés par la loi, renouvellement automatique du bail, droit de préemption en cas de vente, droit de cession du bail à un descendant du fermier…

Soyons clairs. Une seule de ces grandes règles est amendée dans le projet de réforme sur lequel se sont entendues au printemps les sections des fermiers (SNFM) et des propriétaires (SNPR) de la FNSEA. Après des années de négociation, et parfois d’enlisement, les deux parties sont enfin parvenues à un accord, mais ils n’ont pas souhaité révolutionner le cadre en vigueur.

Toutefois, l’accord est à leurs yeux « historique », et ils demandent désormais au ministère de l’Agriculture d’inscrire ce sujet à l’agenda parlementaire, en vue d’une loi foncière que de nombreux observateurs attendent pour le prochain quinquennat, et dont le syndicalisme majoritaire espère que cet accord constituera une base de discussion.

L’objectif affiché par le syndicalisme majoritaire est de relancer l’attractivité du bail rural auprès des propriétaires, réputés de plus en plus enclins à donner congés à leur fermier en fin de bail. Il vise également à limiter les contentieux et renforcer la place des candidats dits « hors cadre familial » (HCF) à l’installation.

Cession du bail égale nouveau bail

La principale réforme proposée par le syndicalisme majoritaire porte sur le moment où le fermier cède son exploitation. Comme au moment du renouvellement d’un bail (tous les neuf ans en général), le propriétaire peut reprendre l’exploitation du bien (sous condition de formation suffisante notamment), ou laisser le fermier céder tel quel son bail à l’un de ses descendants.

L’accord SNFM-SNPR propose que dans le cas où le propriétaire ne reprendrait pas les terres, il soit proposé un nouveau bail au repreneur. Actuellement, les descendants de fermiers reprennent le plus souvent des baux déjà engagés et tels qu’ils ont été signés par leur ascendant, avec des échéances parfois très courtes.

Cette pratique « peut entraîner des difficultés pour le repreneur, notamment s’il ne dispose pas du bien sur une durée suffisante pour amortir ses frais d’installation et les investissements qu’il envisage de réaliser », souligne le texte commun. L’idée est donc de leur donner de la visibilité

Nouvelle règle pour les hors-cadre

Un autre changement est proposé au moment de la cession de l’exploitation du fermier, qui vise cette fois à faciliter la cession à des jeunes hors cadre familial (HCF). Actuellement, aucune obligation n’est faite au propriétaire d’accepter le dossier d’un hors cadre, et un fermier ne peut céder son bail qu’à ses descendants.

L’accord propose que si un fermier présente un jeune hors cadre (pour première installation ou confortation) pour la reprise d’un bail, le propriétaire doive lui accorder une promesse de bail. Sauf si lui-même est en mesure de proposer un autre jeune hors cadre.

En somme, résume-t-on à la SNFM : « L’installation du HCF sera favorisée car, lorsque le bailleur et le fermier n’ont pas de descendant souhaitant exploiter les terres, le repreneur jeune agriculteur hors-cadre familial pour sa première installation ou confortant son exploitation sera prioritaire sur tout autre repreneur ».

Extension du droit de préemption

Le deuxième objet de l’accord SNFM/SNPR porte sur le droit de préemption du fermier lorsque son propriétaire veut vendre la terre. Le syndicalisme souhaite étendre la possibilité offerte aux fermiers de subroger ce droit de préemption, c’est-à-dire d’en faire bénéficier à un tiers. Actuellement, seuls les descendants ou le conjoint du fermier peuvent bénéficier de ce mécanisme de subrogation.

La SNFM et la SNPR proposent que le droit de préemption du fermier puisse être exercé également par « toute personne physique ou GFA », à condition qu’ils signent un bail à long terme avec ledit fermier, et qu’ils s’engagent à ne pas exploiter les terres pendant toute la durée de ce bail (moins protecteur que le bail dit rural).

L’intérêt de cette nouvelle disposition, explique-t-on dans le syndicalisme majoritaire, est de permettre au preneur qui n’a pas pu acheter la terre de conserver l’exploitation du bien. L’avantage de l’extension de la subrogation du droit de préemption du fermier est d’élargir le champ des porteurs de capitaux.

Inciter davantage à l’état des lieux

Troisième objet de l’accord : l’état des lieux qui doit normalement être établi avant la signature d’un bail. La SNPR et la SNFM constatent que malgré l’obligation faite par la loi (L.411-4 CRPM) d’établir cet état des lieux, la réalité du terrain est toute autre, car le défaut d’établissement de ce document est sans influence sur la validité du contrat.

Par conséquent, les parties sont régulièrement amenées à omettre cette formalité… et trop souvent les rapports bailleurs-preneurs finissent en contentieux. « Au début les relations entre le fermier et le propriétaire sont au beau fixe, mais l’absence d’écrit crée des malentendus », explique le député Jean Terlier (LREM, Tarn), co-rapporteur de la mission d’information sur les baux ruraux, terminée en juillet 2020.

Pour inciter davantage, la SNFM et la SNPR proposent de supprimer le bénéfice de l’indemnité de sortie pour les baux effectués sans état de lieux. Une mesure qui peut inciter les deux parties, car elles en sont toutes deux potentielles bénéficiaires : l’indemnité pour l’amélioration est une gratification pour le fermier du travail fourni, et l’indemnité pour dégradation est une compensation pour le propriétaire.

Parcelle de subsistance et propriété

La quatrième évolution prévue par le syndicalisme majoritaire a trait au droit des fermiers de conserver une parcelle de subsistance au moment de leur départ à la retraite. Un propriétaire ne peut congédier, sans son aval, un fermier ayant atteint l’âge de la retraite si cela conduit à ce qu’il ne puisse plus mettre en valeur une parcelle d’une surface inférieure à 2/5e de la surface minimale d’assujettissement (SMA), soit un peu plus de 4 hectares en Ille-et-Vilaine.

Problème, explique-t-on à la SNPR : dans les zones à forte tension foncière (ex. bords de mer), les parcelles de subsistance peuvent faire l’objet de contentieux lorsque le fermier par ailleurs lui-même propriétaire, insiste pour faire en sorte que les terres louées soient considérées comme sa parcelle de subsistance.

Tout comme les députés de la mission d’information parlementaire, SNPR et SNFM souhaitent qu’au regard des juges, cette parcelle, de moins en moins utilisée, soit « obligatoirement prise en priorité sur les terres détenues en propriété » par le retraité. Sauf « cas exceptionnels », comme une parcelle « très éloignée du preneur sortant ».

Indemnisation des travaux assouplie


Le cinquième point d’accord porte sur l’indemnisation des travaux du fermier, que le syndicalisme majoritaire souhaite assouplir. Aujourd’hui, le statut du fermage renvoie à des règles d’indemnisation des travaux automatiquement fixées par la loi. Parmi ces travaux : suppression des haies, talus et arbres, retournement de parcelles en herbe, mise en œuvre de moyens culturaux non prévus au bail, travaux d’amélioration de la maison d’habitation…

Le syndicalisme majoritaire propose que les deux parties puissent « permettre la rédaction d’un accord amiable préalable […] qui fixera les modalités de l’autorisation de faire et de leur indemnisation ».

La SNPR explique que les fermiers investissent dans des installations de plus en plus importantes (ex. méthanisation) dont les propriétaires craignent parfois que les remboursements leur incombent en cas de reprise des terres. « Grâce à cette proposition, les parties pourront déterminer contractuellement les modalités des travaux entrepris », commentent les deux sections.

Attendre davantage avant d’attaquer


Enfin, les deux sections proposent d’allonger le délai minimal avant qu’un fermier puisse contester un fermage trop élevé. Selon la SNPR et la SNFM, il arrive que le fermier accepte, voire demande un niveau de fermage élevé pour emporter le bail face à un fermier concurrent, et qu’il attaque le fermier pour fermage anormal.

Il s’agirait d’introduire l’action au cours de la sixième année et non plus au cours de la troisième année. Aujourd’hui, la révision peut être portée au tribunal par le fermier à partir de la troisième année de jouissance.