Maires ruraux de Saône-et-Loire
Quel avenir pour le commerce rural ?

Cédric Michelin
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Quel avenir pour le commerce rural ?

Les agriculteurs le savent bien, entre les intentions et promesses de « manger français » et la réalité des habitudes alimentaires, il y a un fossé. Les maires ruraux sont dans la même situation sur la question des commerces ruraux de proximité. Il s’agit d’un facteur d’attractivité lorsqu’ils sont présents et dynamiques, mais cela peut également être l’inverse, lorsque les rideaux sont baissés avec des panneaux à vendre. L’animateur des deux tables rondes, Laurent Rebeyrotte rajoutant que tous les habitants « ont peur de leur fermeture, car il est dur de les faire repartir », savent bien les maires ruraux qui ne manquent pourtant pas d’idées, ni d’initiatives à ce sujet.

Maire d’Iguerande, David Cordeiro a la particularité d’avoir travaillé sur ce thème à la CCI de Roanne. Et il ne cachait pas d’emblée, « qu’en 20 ans, la situation (des commerces ruraux, N.D.L.R.) ne s’est pas améliorée ». Maintenant qu’il est aussi de l’autre côté, en tant qu’édile de cette commune rurale de 1.000 habitants du Brionnais, il mesure mieux la complexité du dossier « qui mélange plein d’acteurs ». Trop ? Car les initiatives publiques ne manquent pas : Village d’Avenir, Cœur de Ville… pour ne citer que les dernières du genre.

Pourtant, les commerçants n’ont généralement pas besoin de ces aides si le potentiel commercial est présent. « Le commerce se développe sur les flux de mobilité, en péri-urbanisation, sur les axes domicile-travail… ». Une évidence qui n’est donc pas forcément favorable aux communes qui ne sont pas « bien placées ». La crise Covid avait fait naître l’idée d’un « monde d’après », remettant la ruralité au centre de la vie des Français, mais le soufflé est retombé de plus belle. La crise du pouvoir d’achat actuel rebat les cartes de l’alimentaire en périphérie (faillite de Casino…) et remet même en question « l’hyperspécialisation des centres-villes » de taille moyenne comme en Saône-et-Loire, dépourvue de métropole. La ruralité n’est pas épargnée. « 60 % des communes rurales n’ont plus aucun commerce contre 25 % dans les années 1980 ». La ruralité ne pèse plus que pour 5 % des ventes totales en France. L’éloignement se fait toujours plus lointain, avec désormais une moyenne de 8 km à parcourir pour accéder au premier commerce… sachant que « 80 % des dépenses alimentaires se font en grandes surfaces ».

Le graal du commerce rural

Après ce constat noir, David Cordeiro listait les quelques situations positives : le long de routes à fort passage, près d’un site touristique… « Le graal alors est d’avoir un café-auberge », n’imaginant même plus un commerce vendant de la décoration ou des vêtements. Les livraisons Internet et les "drives" ayant pris le relais.

Maire de Saint-Emiland dans le Couchois, Francky Sabot a essayé de « sauver le dernier commerce » restant. Il est le premier en Bourgogne-Franche-Comté à répondre en 2019 à l’appel à projet gouvernemental « 1.000 cafés », visant à les sauvegarder. Mais d’autres « grands groupes » avaient déjà des vus sur cet argent public « investissant dans des locaux, mettant en gérance », avant de fermer. « On avait des emplois, des apprentis avec des services de proximité. Dès lors, que faire », se souvient-il. Son conseil municipal décide de faire chiffrer ce que cela coûterait à la commune pour continuer l’activité. La CCI a fait le diagnostic Hygiène, accessibilité, santé… pour des mises aux normes tablant autour de 300.000 €, auxquels il fallait rajouter le prix du bâtiment à racheter au propriétaire, soit un total de 600.000 € « pour ne pas devenir le village désertique du far-west » ! De quoi, grever les comptes de la commune à moyen termes et empêcher bien d’autres projets.

Impayés, mises aux normes…

Et ce n’est pas forcément la pire des situations. La Maire de Le Fay, Géraldine Gilles a eu « deux expériences malheureuses dont une qui nous a coûté 27.000 € et une autre, moins ». Tout avait débuté par une émission de TF1 où la commune de 140 habitants appelait les commerçants à venir s’installer dans le local communal. « On a eu deux années d’impayés des loyers et ils ont laissé le matériel dans un état inutilisable ». Et cela aurait pu durer longtemps car « on peut expulser un commerçant mais ils logeaient aussi et là, ce n’est plus pareil », regrette-t-elle, tout comme les habitants voyant bien « le profil peu courageux » des nouveaux venus. L’autre mésaventure fut celle d’un commerçant installé près de Lons, dans le département voisin, qui est venu « profiter l’été des deux mois de loyers gratuits » avant de repartir comme un voleur. Le bâtiment étant fait pour faire dépôt de pain, presse, tabac, Poste… Dans l’ancienne boulangerie, « le fournil n’est plus aux normes ». Les habitants se disent prêts à acheter leur pain là mais les « quatre boulangers » intéressés sont « gênés » par le côté administratif « lourd » avant reprise… Préférant d’autant plus que ce soit la commune qui s’en charge, faisant presque jouer la concurrence entre villages.

Faut-il sauver tous les commerces ?

Le maire de Viré a lui pris les choses en main, pas de gaieté de cœur. La boucherie à Viré a fermé en 2003. « Elle était rentable mais invendable. Le boucher intéressé devait tout refaire et en plus, racheter le fond ». La commune fait le constat qu’il en sera probablement de même pour les autres commerces privés. En 2006, décision est prise de racheter l’ensemble des bâtiments, de reconstruire. « Désormais, on ne gère que les murs ». Les commerces (épicerie, boulangerie, coiffeur, bar-tabac…) sont rassemblés et le centre-bourg réaménagé en conséquence. Coût de l’opération, 2,2 millions d’€ sur 10 ans, avec 700.000 € d’autofinancement et « un tiers donc de subventions et le reste d’emprunts, couverts pas les commerçants ». La formule semble marcher, avec une épicerie « vendue et maintenue deux fois depuis ». Patrick Desroches n’est pas dupe, « les études de marché ne sont pas inintéressantes, mais c’est celui derrière le comptoir qui décide si c’est intéressant de s’installer ou non ».

David Cordeiro posait donc la question qui fâche : « faut-il sauver tous les commerces ? » en sachant que la « moitié des commerces multiservices en rural ne se sorte pas de rémunération », en raison de taux de marge très faibles et surtout du « fait que le potentiel de commercialisation » n’est pas là. Il faisait un rapide calcul avec une part de marché de 5-7 % des achats totaux du secteur (2.5 M€), donnant un chiffre d’affaires de 150 k€. Si le taux de marge est de 10 %, cela ne fait au final que 15.000 € pour « tout payer, charges, loyer et se payer », en faisant plein de métiers différents sans relâche. Résultat, les villages tendent à avoir « un commerce de dépannage, sinon, les gens vont en GMS », concluait-il plein d’amertume, avec le mal du pays.

Les paradoxes du vieillissement rural

La députée, Josiane Corneloup et le sénateur Fabien Genet étaient invités à réagir. « Il faut dire la vérité, il faut avant tout un modèle économique », débutait Fabien Genet, reconnaissant que sans cela, « les prises de risques valent pour les commerçants et pour les communes ». Comme dans tout projet, « le poids immobilier doit aussi être rapproché du chiffre d’affaires réalisable ». Sa proposition est donc celle de « différencier » les politiques d’aides pour qu’elles ne soient « pas la même entre une commune de 100 ou 10.000 habitants », afin de revenir à plus de péréquation et de solidarité entre communes. Mais le sénateur veut aller plus loin vers « une décentralisation assumant sa fiscalité devant le terrain en mettant tout le monde autour de la table pour accompagner de façon pragmatique les porteurs de projet ». Il plaidait donc pour « balayer » la loi NOTRe qui bloque.

Ayant exercée 35 ans dans un « commerce particulier » (réglementé, N.D.L.R.) qu’est une pharmacie à Saint-Bonnet-de-Joux, Josiane Corneloup rappelait que tout commerce s’inscrit dans son environnement et reste « tributaire des autres » commerces. Si elle plaidait pour de véritables politiques d’aménagement du territoire et commerciales, Josiane Corneloup est inquiète du « vieillissement » de la population rurale. « Nous aurons bientôt plus de 20 millions de Français de plus de 60 ans dont 4 millions en situation de dépendance ou avec de grandes difficultés à se déplacer ». Si les seniors ont tendance à aller près des centres de soin, lorsqu’ils en ont les moyens, garder des commerces de proximité est aussi synonyme de « rester à domicile le plus longtemps possible », souhaite une large majorité de Français. Elle envisageait donc des commerces multiservices, des marchés attrayants, voir des commandes en lignes pour « récupérer au passage des produits frais ». Néanmoins, elle reprenait les mots des maires inaugurant des locaux : « Ce commerce, c’est le vôtre, c’est à vous de le faire vivre », en consommant régulièrement et pas qu’en dépannage.

Même s’il n’était pas prévu qu’il donne son avis, Michel Fournier, le président des Maires ruraux de France ne manquait pas l’occasion, lui qui fut fleuriste pendant 30 ans. Il se souvenait surtout de son enfance dans la ferme des Vosges à une époque bien différente. « Mon père était paysan. À la fermeture du tabac, on a récupéré le dépôt en libre-service, sans salarié, sans déclaration, sans fiscalité… tout au black », rigolait-il franchement en regardant le préfet. Mais derrière sa boutade se cache une part de vraie et une leçon de vie qu’il transmet aux commerçants néophytes de la ruralité. « Ce qui est important, c’est le commerçant », voulant dire par là, qu’un nouveau ou un repreneur doit se montrer « prudent ». Il prenait un dernier exemple de l’auberge du village qui a « réussi à faire 80 couverts par jour : il faut faire d’abord 5 couverts sans perte mais en prévoir pour 7, etc. » pour monter progressivement en régime. Le repreneur de l’auberge « n’a pas travaillé » ainsi et pire, la commune « s’est retrouvé avec sept personnes à charge puisque le fond appartenait à la commune ». Depuis, toute nouvelle embauche est « à la charge des gérants », gravée cette fois dans une clause du contrat.

La France hors politique des ronds-points

Fini le magasin de tabac unique. Cela fait bien longtemps que les buralistes se sont « diversifiés », rappelle Alain Couet, secrétaire général de la Fédération nationale. Car, « la baisse du chiffre d’affaires tabac » est continue, ce qui n’arrange ni les buralistes, ni les finances publiques. Seule la santé des Français s’en trouve améliorée. Les buralistes « ne veulent donc pas attendre de voir leur commerce fermer » et veulent signer une convention avec les Maires ruraux de France « pour trouver de nouvelles collaborations » avec eux et leurs partenaires. Président de la délégation 21/71 de la CCI, Philippe Rouballay rappelait fort adroitement qu’un magasin bien achalander était un « commerce plein de chalands, de gens et non pas forcément de produits ». Son ambition, rapprocher les acteurs locaux, comme il le fait entre la CCI et la chambre d’Agriculture qui a des antennes communes à Charolles et Écuisses. L’objectif étant de trouver des solutions pour que les commerces proposent « une expérience client longue » et valorisante. Derrière, il en va de l’implantation de nouvelles entreprises, de nouvelles zones urbaines, de nouveaux salariés… « Chaque terreau rural est fertile pour d’autres sans savoir ce que les graines donneront », prenait-il en métaphore, pour que le « Maire fasse que cela pousse » bien. Reste que le commerce d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui et ne sera pas celui de demain. Idem pour ceux en centres-villes. « 80 % de leurs clients n’y habitent pas ». Les zones périphériques, de la France des « Gilets jaunes » comme caricaturaient les médias Parisiens, sont une réalité, faute d’avoir eu de réelles politiques d’aménagement des territoires cohérents. « Le commerce se met sur les flux. Résultat, les commerces sur les ronds-points ne profitent ni aux villes, ni aux bourgs », pointe du doigt David Cordeiro.

Tout le monde met la main à la pâte à Bouge ton coq

Le président des Maires ruraux de Saône-et-Loire avait invité Clara Durand a présenté le concept d’épicerie participative, Bouge ton coq. Chaque habitant bénévole va consacrer au minimum 2 heures par semaine « à tenir la caisse, préparer les commandes, faire l’inventaire… ». Ainsi, « tout le monde met la main à la pâte ». Le local doit être fourni par la mairie, réclame l’association nationale aux élus intéressés. Sans salarié, ce concept fonctionne ainsi « même dans une commune de 80 habitants », prenait comme exemple Clara Durand. Le concept plaît car « les ventes sont à prix coûtant » car l’association nationale « passe commandes auprès de grossistes » pour les produits d’hygiène, d’entretien… Des producteurs locaux peuvent également vendre en direct sans frais intermédiaire. Les clients-adhérents achètent donc au « prix de gros » ou en quasi direct. Ce qui faisait dire à Michel Fournier qu’il s’agit ici « plus d’une réponse sociale que commerciale. C’est comme du black ». Pour autant, même si les autres commerçants peuvent trouver ce concept limite en termes de concurrence loyale, l’Association des maires ruraux a signé un partenariat avec Bouge ton coq et France rural commerce lors du dernier congrès à Dijon. « Cela restera limité, mais l’intérêt est de voir si un commerce est faisable, c’est comme une étude de marché, mais concrète. Cela doit servir de passerelle ». Philippe Rouballay trouvait également la solution « intéressante pour un test ou une phase d’amorçage » car, pour lui, en milieu rural – comme ailleurs – l’heure n’est plus à se faire concurrence en France mais « l’intelligence est de s’allier ». L’association Bouge ton coq n’implante pas d’épicerie collective sans faire de réunion avec la mairie et les commerçants. Bouge ton coq réfléchit à relancer les épiceries mobiles, même si bien des communes sont désormais des villages dortoirs la journée.

Les remarques (fort) pertinentes des maires

Dans la salle, les 400 maires et adjoints avaient tous des anecdotes à raconter sur ce thème. À Melay, il est arrivé « une spoliation du fonds de commerce » alors que la mairie avait investi « pour remettre les locaux vétustes aux normes ». À Lalheue, le maire – ancien boucher-charcutier de métier – n’est pas tendre comme sa viande avec les nouvelles générations : « il faut responsabiliser le commerçant pour qu’il investisse. Sinon, si ça ne marche pas, il se tire et n’a rien à rembourser ». À Mancey, l’initiative est venue des habitants qui ont cotisé pour acheter un véhicule, avec une subvention de la Comcom, et la commerçante propose des produits locaux. L’association Le Relais des Teppes est adhérente et s’approvisionne chez 30 producteurs locaux. À Bantanges, la conclusion est logique, « quand un commerce ferme, tous les autres perdent de la clientèle ». 

Partager des salariés à plusieurs ?

La franchise Comptoirs de campagne a définitivement fermé à Pierreclos. La gérante, Séverine Laurent a repris en épicerie multiservices. Dans une vidéo réalisée pour l’Association des Maires ruraux de Saône-et-Loire, des habitants témoignaient « du manque » entre-temps, y compris « d’un lieu de convivialité » dans le village. Des clients n’hésitant plus à venir tous les matins prendre le café, même s’ils l’ont déjà bu ailleurs. Outre l’accueil, « le sourire », des tarifs « bien placés », des produits en nombre… figurent parmi les clés de ce nouveau succès. Et tant pis pour certains produits locaux « un peu trop chers » pour la clientèle locale habituelle. Car, la gérante le sait, il lui faut pratiquer des « prix raisonnables, car Intermarché n’est qu’à 4 km », si elle veut voir des paniers remplis et non, n’être qu’une offre ponctuelle de dépannage. Séverine Laurent se plie en quatre par contre pour répondre aux moindres demandes spécifiques des clients. À la nouvelle boulangerie Chez Cocotte, Corentine et Benoit sont venus à Gibles en raison aussi d’un projet d’habitat participatif, autre facteur d’attractivité du village. Par le biais de l’association Villages vivants, ils ont pu « alléger significativement leur plan de financement », explique l’association, qui les a également mis en relation avec une coopérative (Grap). Chez Cocotte est désormais une boulangerie multiservices « ramenant de la vie » dans ce village de 580 habitants. Ce qui n’est pas pour déplaire à Mathieu Sécula, boulanger à Saint-Martin-en-Bresse et Président de l’Union départementale des artisans boulangers-pâtissiers de Saône-et-Loire. « Souvent la boulangerie reste le dernier lieu social du village » mais il sait que par endroits, le nombre de clients quotidiens « n’est plus suffisant et ces boulangeries ne seront pas reprises ». Sa solution, que la mairie mette à disposition un local pour « trois commerçants – boucherie, fromagerie, maraîcher par exemple — partageant une vendeuse », lui qui sait qu’en boulangerie, ou autre métier productif, on ne peut pas toujours être au four et au moulin.

Ruralité : la définition de l’Insee 

Jusqu’en 2020, l’Insee définissait le rural comme l’ensemble des communes n’appartenant pas à une unité urbaine qui est caractérisée par le regroupement de plus de 2.000 habitants dans un espace présentant une certaine continuité du bâti, censée caractériser les « villes ». Elle a redéfini le périmètre géosociologique du territoire et mis en place quatre catégories d’espaces ruraux, allant des communes rurales très peu denses, aux communes sous forte influence d’un pôle. « Les territoires ruraux ont ceci en commun qu’en moyenne les disparités de revenus y sont nettement plus faibles que dans l’urbain, du fait d’une moindre présence de ménages sous le seuil de pauvreté dans les communes sous influence d’un pôle, et du fait d’une moindre présence de ménages aisés dans les communes les plus isolées », précise l’Insee. Ruralité rime donc avec pauvreté malheureusement de plus en plus, même pour l'Insee.