Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse
Journée Agence de l'eau : Des projets agricoles expériment'eaux

Florence Bouville
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Eau et agriculture, deux termes depuis toujours indissociables, se confrontent aujourd’hui de plein fouet au changement climatique. Le territoire voit, en effet, sa ressource en eau de plus en plus menacée. L’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, organisatrice de la journée d’échanges ayant eu lieu le 9 mars à Mâcon, œuvre à l’échelle du bassin pour garantir l’avenir de l’agriculture. Les retours d’expérience, la table ronde et les ateliers participatifs de cette journée sont la preuve qu’un rôle majeur est donné au monde agricole, dans la recherche de solutions collectives.

Journée Agence de l'eau : Des projets agricoles expériment'eaux
Laurent Roy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, est intervenu à la journée d'échanges du 9 mars, à Mâcon.

Le pendant de cette journée pour le Sud du bassin a eu lieu à Avignon, la semaine suivante, le 16 mars, réunissant là aussi des élus, des techniciens, des agriculteurs… Même si le Nord du bassin est historiquement moins impacté par les problèmes de volumes d’eau, les trois composantes des actions menées par l’Agence demeurent identiques. « La qualité, la quantité et le bon état écologique », introduit Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau. En sachant que 40 % des terres du bassin sont agricoles, on comprend mieux le haut taux de participation : 140 participants pour 160 inscrits, malgré les grèves de trains.

En matière d’adaptation au changement climatique, les projets expérimentaux ne manquent pas. Mais la question de l’adaptabilité et de la reproductibilité sur d’autres territoires reste un élément crucial. Ces projets montrent, néanmoins, que des améliorations et une conciliation des enjeux eau et agriculture sont possibles.

Des pratiques agroécologiques partagées en ligne

Annabelle Richard, chargée de mission agroécologie chez Solagro, est intervenue en premier pour présenter la plateforme Osaé osez l’agroécologie. Cette plateforme, cofinancée par les Agences de l’eau, est en libre accès et recense divers témoignages d’agriculteurs et agricultrices ayant initié des pratiques agroécologiques. Ces pratiques résilientes (agriculture de conservation, agroforesterie…) sont mises en lumière via des vidéos très détaillées, réalisées par un professionnel. « L’objectif n’est pas de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire », explique Annabelle, mais bien d’illustrer ce qui fonctionne agronomiquement sur certains systèmes. Un suivi des fermes est effectué tous les deux ans, permettant de mettre à jour les synthèses techniques.

Des techniques alternatives biologiques

Autre plateforme, cette fois-ci bien matérielle : celle des Techniques Alternatives et Biologiques (TAB), située sur la ferme expérimentale d’Étoile sur Rhône. Créée en 2011, elle est portée par la chambre d’agriculture de la Drôme et fait appel à plusieurs partenaires techniques (Arvalis, INRAe, Agroof…). Sur les 20 ha cultivés en bio, des essais système sont menés. Divers itinéraires techniques sont testés, sur la sélection variétale et la diminution des intrants par exemple. Ces données sont ensuite recensées et, en permanence, comparées à la littérature scientifique existante. Clément Bardon, coordinateur de la plateforme, nous a parlé d’une partie des projets expérimentaux en cours. Une donnée rappelée en introduction fait déjà froid dans le dos : le taux d’extinction actuel des espèces est cent fois supérieur aujourd’hui à ce qu’il était il y a dix millions d’années.

Premier volet expérimental : l’impact des espaces semi-naturels dans la régulation des dynamiques auxiliaires-ravageurs. Au sein d’un système en grandes cultures et pêchers agroforestiers mis en place en 2011, la biodiversité a été maximisée (intégration de bandes enherbées, refuges à oiseaux et reptiles…). Aucune perte de rendement à l’ha n’a été constatée. Concernant la présence de bioagresseurs, « aucune tendance stricte n’a été observée » explique Clément. En résumé, les espaces semi-naturels ne sont ni un puits à ravageurs, ni un répulseur, même si les dynamiques des populations sont modifiées par rapport aux parcelles témoin. À l’inverse, certaines références bibliographiques démontrent une tendance significative. Laurent Henriot, agricultrice et présidente de Bio Bourgogne, ajoute en complément que, « la diversification végétale via des rotations culturales longues reste le levier majeur de la régulation des bioagresseurs ». Annabelle Richard souligne aussi que « les nichoirs à chauve-souris permettent de lutter contre le carpocapse du pommier ». Pour Clément, la question essentielle reste « où place-t-on le curseur des aides pour intégrer cette biodiversité dans les exploitations ? ».

Deuxième volet expérimental plus récent, davantage centré sur l’adaptation au changement climatique : l’impact de l’agroforesterie intraparcellaire sur les économies d’eau. Deux systèmes agroforestiers (pêchers, amandiers…) ont été implantés en 2021, un en grandes cultures et un en vigne. Les résultats montrent une réduction du vent et un ombrage en partie bénéfique, mais la question du stress hydrique est encore en cours d’étude. « Rien de pire que de promouvoir une fausse bonne idée », met en garde Clément, au sujet de tout ce qui peut se dire sur les effets agronomiques de l’agroforesterie.

Des zones humides restaurées

« Avant, les zones humides étaient une contrainte, maintenant, c’est quasiment un atout », constate Michel Duvernois, conseiller départemental. Couvrant 21 communautés de communes, l’EPTB Saône-Doubs est en capacité d’acquérir du foncier, en lien direct avec la Safer. Grâce à un nouvel outil développé pour les vallées de la Saône et du Doubs, la Démarche conservatoire, 290 ha ont déjà été acquis. Objectif : remettre des prairies permanentes, avec contractualisation de MAEC. Un cas concret : le site d’Amance en Haute-Saône, couvert par un PAEC, en zone Natura 2000. Ancienne peupleraie drainée par l’homme, les 19 ha ont été restaurés en zone humide, avec toutes ses fonctions écosystémiques (puits de carbone, épuration des eaux…). Pour cela, il a fallu « dessoucher les peupliers en veillant à ne pas tasser ce sol éponge », explique Gérald Fayolle, responsable de la Démarche Conservatoire. 10 ha ont été transformés en prairie, les 9 ha restants en forêt. Dès le départ, l’EPTB a souhaité « travailler avec les agriculteurs pour qu’ils puissent travailler à leur tour ces parcelles ». À ce jour, une convention de prêt à usage (d’une durée d’un à cinq ans) a été signée avec un agriculteur ayant répondu l’appel à candidature. Son profil correspond aux critères requis : la proximité, le savoir-faire… Il viendra donc faucher tardivement. Une quarantaine de secteurs prioritaires ont, pour l’instant, été identifiés par l’EPTB. Le plus difficile est souvent de convaincre les propriétaires de vendre. En 2018, au moment de l’acquisition du site d’Amance, les peupleraies étaient en pleine déprise, aujourd’hui ce n’est plus le cas. « C’est un long travail, il faut concilier les enjeux », affirme Michel Duvernois. « Le rapport de concertation passe aujourd’hui avant le rapport de force », positive Gérald.

D’autres exemples de projets innovants, conciliant les enjeux eau et agriculture : le chauffage d’un gymnase avec de la biomasse issue de la culture de miscanthus (3,5 ha), évoqué par Eric Savignon, vice-président en charge de l’eau potable à Bièvre Isère Communauté. Il ne s’agit, pour le moment, que d’un engagement moral avec l’agriculteur. Toutes les actions menées au sein des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) constituent aussi des démarches multipartenariales qu’il faut valoriser. « Il n’y a pas de solution absolue unique […] Il faut développer des solutions territoires par territoires », conclut Laurent Roy.

Pas de pénurie pour les aides

L’Agence a, d’ores et déjà, débuté la rédaction de son douzième programme d’intervention (2025-2030). Il vous reste encore un mois pour répondre à l’appel à manifestation d’intérêt, visant à nourrir les réflexions de ce prochain programme. En résumé, quelques chiffres marquants du onzième programme (2019-2024) : 237 millions d’euros versés au secteur agricole (187 pour la qualité et 50 pour la quantité). « L’agriculture est le premier préleveur mais aussi le premier pourvoyeur d’économies d’eau », explique Catherine Petit, de la délégation de Besançon. Le rapport euro investi/efficacité d’action est donc très satisfaisant. À noter que 500.000 mètres cubes d’eau par an sont économisés dans le Nord du bassin grâce aux actions de l’agriculture. Les projets cofinancés par l’Agence sont d’ailleurs très souvent mixtes. C’est-à-dire qu’ils se concentrent à la fois sur l’aspect quantité et qualité. Bilan des Paiements pour Services Environnementaux (PSE) à l’échelle nationale : plus de 70.000 ha aidés pour une durée de cinq ans (démarrage en 2019). Pour Laurence Henriot, présidente de Bio Bourgogne, « les PSE sont un réel encouragement au changement de pratiques ». Un appel à projet a également été lancé pour développer les filières à Bas Niveaux d’Intrants (BNI). Deux millions d’euros ont déjà été versés, ce qui représente un total de 26 démarches. Même somme débloquée pour l’expérimentation, au sens large, afin de diminuer les pollutions agricoles. Laurent Roy s’engage, dans tous les cas, à « intensifier l’effort et la pertinence de ce qui est mis en œuvre » et rappelle que l’Agence de l’eau n’a aucun pouvoir de réglementation, elle peut seulement mener des actions préventives et si besoin, curatives.