Agriculture Biologique
Passer d’un marché de niche à un marché de masse ne s’improvise pas

Cédric Michelin
-

Le changement d’échelle de l’agriculture biologique impose une restructuration complète de la filière. Il mobilise tous les acteurs de la recherche, de la production et de la distribution.

Passer d’un marché de niche à un marché de masse ne s’improvise pas

Si 25 % de la SAU de l’Union européenne est convertie en bio en 2030, l’agriculture biologique européenne sera un marché de masse. 20 % de la production agricole européenne sera en effet certifiée bio.

« Le changement d’échelle de l’agriculture biologique » auquel est d’ores et déjà confronté l’ensemble des acteurs de la filière, de la recherche à la distribution, était le thème de la conférence organisée par l’Inrae et l’Institut de recherche de l’agriculture biologique suisse (FIBL) au dernier Salon international de l’agriculture Porte de Versailles à Paris.

Le 2 mars dernier, trois intervenants ont montré que l’ensemble de la filière bio devra adopter des stratégies assez similaires à n’importe quel secteur d’activité de dimension industrielle et en même temps spécifiques, puisqu’il s’agit d’agriculture biologique.

Selon Guillaume Martin, directeur de recherche à l’Inrae, les exploitations bio polyculture-élevage doivent associer des productions de monogastriques et de ruminants lorsqu’elles s’agrandissent. La spécialisation « tout monogastrique » ou « tout ruminant » rend les systèmes de production plus vulnérables au parasitisme et le bilan azoté des terres est juste équilibré. Alors qu’en conduisant concomitamment un troupeau de bovins et un atelier de volailles de chair en plein air, le bilan azoté est positif (jusqu’à 45 unités d’azote par hectare) et les bovins pâturant les prairies réduisent la prédation des renards.

Semences sélectionnées

En changeant d’échelle, l’agriculture biologique aura aussi besoin de plus de semences certifiées biologiques. Alors que depuis le 1er janvier 2022, le nouveau règlement européen bio 2018/848 entré en application restreint fortement l’usage de matériel de reproduction végétale qui n’est pas certifié bio (graines et de plants non bio) pour implanter des parcelles dédiées à l’agriculture biologique. Par ailleurs, Lucius Tamm, du département des sciences des plantes de la FIBL, a montré que la sélection de variétés de plantes cultivées en bio devra cibler la résistance à la sécheresse et aux maladies. Par exemple, une variété lupin blanc faiblement sensible à l’anthracnose, une maladie cryptogamique, a ainsi été sélectionnée par marquage génétique pour être cultivée en bio. Enfin, l’Institut suisse intensifiera la sélection par la biodiversité fonctionnelle, adaptée aux pratiques agricoles des paysans. Celle-ci développe des concepts de mélanges de variétés de blé ou de blé et d’oléo-protéagineux, en vue de révéler quelles sont les meilleures associations.

Plafond de verre

Le changement d’échelle de l’agriculture biologique impose d’avoir un marché de consommateurs conséquent pour passer d’un taux de pénétration de quelques pourcents à 20 %. Mathieu Lambotte, chercheur à l’Inrae, a démontré qu’en réduisant le taux de substituabilité des produits bio par des produits conventionnels, le marché de l’agriculture biologique se consolidera et surtout se développera. Plusieurs leviers sont disponibles. Il s’agit par exemple de réduire la différence de prix entre les produits issus de l’agriculture biologique et les produits issus de l’agriculture conventionnelle : plus elle est faible, moins les produits bio seront substituables. De même, subventionner les prix des produits bio de 20 % augmenterait leur consommation de 40 %. Pour autant, la part de marché des produits bio n’augmentera que de quelques points. Elle n’atteindra pas de sitôt le seuil de 20 %, le plafond de verre de l’agriculture biologique !

Les conversions au bio marquent le pas en 2022

« Les déconversions font beaucoup parler d’elles, mais ce sont surtout les conversions qui ont été mises en attente », veut croire Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio, estimant nécessaire de « sanctuariser la consommation ». D’après les chiffres transmis, le nombre de conversions au bio a reculé de 32 % sur un an, passant de 7.706 nouvelles fermes en 2021 à 5.245 en 2022. Le ralentissement est particulièrement marqué en grandes cultures (-55 %), en lait (-54 %), en porcin (-50 %), ainsi qu’en vaches allaitantes et en vin (-49 % et -46 % respectivement).