Pâturage tournant et engraissement
Des éleveurs témoignent sur le terrain de l'engraissement de bovins en pâturage tournant

Marc Labille
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Ce printemps, les Chambres d’agriculture de Saône-et-Loire et de la Côte-d’Or ainsi qu’Alsoni Conseil Elevage organisent « des Cafés Allaitants ». Avec le soutien de la Région et du Ministère de l’Agriculture, ces visites de terrain ont pour thème le pâturage des bovins viande et font partie du projet régional « Bodi ». 

Des éleveurs témoignent sur le terrain de l'engraissement de bovins en pâturage tournant
Chez Baptiste Dubrion, 23 femelles à l’engraissement tournent en pâturage tournant sur 14 paddocks. Le lot change ainsi de paddock tous les deux jours.

Le projet « Bodi » est la suite des suivis d’engraissement à l’herbe réalisés en Saône-et-Loire par la Chambre d’agriculture et Alsoni depuis 2018. Sept exploitations pratiquant l’engraissement à l’herbe ont participé à ces travaux de 2019 à 2021. Cette année, le programme régional Bodi prolonge l’expérience en diversifiant les supports de diffusion (webinaire, vidéo…). Les Cafés Allaitants de ce printemps en font partie et ils ont lieu dans trois élevages suivis dans le cadre de ce projet. En Saône-et-Loire, ce sont le Gaec Dubrion dans le Charolais et l’EARL Gevrey dans l’Autunois qui témoignent de leurs pratiques.

Baptiste Dubrion et son épouse exploitent 110 hectares tout en herbe à Ciry-le-Noble. Sur cette surface, ils élèvent un cheptel de 65 vaches charolaises ainsi que cinq vaches laitières et 35 chèvres pour la production de fromages. C’est en 2019 que Baptiste s’est lancé dans le pâturage tournant. Depuis 2020, il conduit ainsi toutes ses femelles bouchères. Sur une parcelle de 7,5 ha, 23 vaches de réforme et génisses tournent à la belle saison. Sur cette exploitation herbagère, aucune bête bouchère n’est engraissée en hiver.

23 bovins tournent sur 14 paddocks

Au lâcher, elles ne sont que sept femelles à tourner dans sept paddocks. Mais dès que la pousse de l’herbe monte en puissance, ce sont 23 animaux qui pâturent ensemble dans 14 paddocks. Chaque paddock est en effet redécoupé en deux, indique Baptiste. Chacun des 14 paddocks qui composent la parcelle permet de nourrir le lot pendant deux jours. Le lot met ainsi 28 jours pour tourner sur l’ensemble de la parcelle – c’est la durée du cycle nécessaire à la régénération de la prairie.

« Le repère, c’est que la parcelle soit mangée quand elles sortent », confie l’éleveur. Dans le pâturage tournant, les bovins doivent consommer une herbe dont la hauteur est comprise entre 5-7 et 14 cm. C’est bien cette hauteur d’herbe qui est mesurée à l’herbomètre dans le paddock venant de recevoir les 23 bovins de Baptiste. Lorsque les bêtes en ressortent deux jours plus tard, la hauteur d’herbe est ramenée à 5 – 6 cm. Si les paddocks ne sont pas suffisamment mangés au bout de deux jours, Baptiste rajoute parfois des animaux dans le lot. Et si la pousse de l’herbe est vraiment trop importante, il accepte « de laisser se constituer un peu de stock sur pieds, quitte à ce que les vaches broutent un peu plus haut une herbe de moins bonne valeur », explique-t-il. En plein pâturage tournant, « le chargement moyen atteint ici 30 ares par UGB, ce qui est élevé », fait valoir Sarah Besombes d’Alsoni.

Une herbe hyper-concentrée !

Avec une hauteur maintenue toujours courte, les bovins consomment une herbe riche. Les prélèvements effectués fin mars révèlent une « valeur hyper-concentrée : 26 % de Matière Azotée Totale, 173 grammes de PDIN, 1,05 Unités Fourragères », détaille la conseillère.

Cette conduite à l’herbe permet à Baptiste d’engraisser ses femelles sans aliment. Elles disposent juste d’un râtelier de paille dans la parcelle. Les premières bêtes partent à l’abattoir à partir de fin mai et la majorité des ventes s’étale jusqu’au 14 juillet, informe l’éleveur. S’il lui reste des animaux à engraisser après le 1er août, alors Baptiste leur distribue une petite ration, de sorte à pouvoir les vendre avant l’hiver. Cette année, la croissance des vaches a débuté à 1,6 kg par jour et celle des génisses 1,1 kg par jour au début du pâturage. Du 14 mars au 14 avril, elles ont ensuite réalisé 900 g/jour pour les vaches et 1,1 kg pour les génisses, indique Sarah Besombes.

Carcasses label rouge

Avec ce régime à l’herbe, la durée moyenne d’engraissement atteint 130 – 140 jours, ce qui est un peu plus long qu’avec une conduite classique avec aliment. Les carcasses sont un peu plus légères, environ 30 kg de moins, informe Baptiste qui apprécie de ne pas avoir de sceau d’aliment à porter ni à payer. Valorisées pour la plupart en filière label rouge Charolais Terroir, ses bêtes sont vendues à un chevillard qui ne décèle pas de différence de qualité à ces carcasses.

Grâce au pâturage tournant, Baptiste a constaté un retour du trèfle blanc ainsi qu’un recul des boutons d’or.

 

Une seconde série de rendez-vous est organisée dans les mêmes élevages un mois après les premiers. L’objectif est de voir comment évolue l’herbe et les animaux au pâturage tournant. De nouvelles pesées des animaux seront présentées ainsi que de nouveaux résultats d’analyse d’herbe.

 

 

Ajuster la conduite en cours de route

Ajuster la conduite en cours de route

À Dracy-Saint-Loup, Jean-Michel Gevrey s’est lancé dans le pâturage tournant en 2021. Le 4 mai dernier, il présentait une parcelle « d’embouche » de près de 7 hectares divisée en 4 paddocks et recevant 9 vaches à veaux (futures réformes) et génisses de deux ans. Les premiers animaux avaient été lâchés tout début mars et le chargement a été augmenté par la suite. Les 4 paddocks sont desservis par un couloir qui traverse la parcelle sur toute sa longueur. Ce couloir permet l’accès au point d’eau ainsi qu’à une grange où les broutards trouvent leur ration d’aliment. Dans la pratique, les bêtes sont changées de paddocks tous les lundis, explique l’éleveur. Le jour de la visite, la hauteur d’herbe dans les paddocks indiquait que les animaux étaient dépassés par la pousse de l’herbe, constatait Véronique Gilles de la Chambre d’agriculture. Avec 67 ares par EVV (équivalent vache veau), le chargement instantané était insuffisant.

Jouer sur le chargement et les paddocks

« Il ne faut pas hésiter à adapter le chargement en cours de route », recommandait la conseillère. Et « plus c’est divisé (en paddocks) plus c’est facile à gérer ». Le principe du pâturage tournant est de « charger assez pour empêcher les animaux de trier. Si le sol est mouillé, alors il faut faire tourner plus vite. Dans les cas extrêmes, il faut sacrifier un paddock », expliquait Véronique Gilles. Quand un paddock dépasse la hauteur d’herbe recommandée, alors il faut le retirer de la rotation. « Il doit être fauché rapidement, de sorte à réintégrer la rotation dès le tour suivant », indiquait la technicienne. Ces paddocks mis de côté permettent de récolter entre 150 et 200 bottes d’enrubannage supplémentaire selon les exploitations, indique-t-on.

Performances

Au-delà de son impact sur la flore et la valeur de l’herbe ingérée, le pâturage tournant diminue les problèmes de parasitisme car « les animaux broutent moins près du sol et la rotation permet de casser le cycle du parasite », expliquait Arnaud Godard d’Alsoni. La conduite a aussi pour effet de « dociliser les bovins ». Habitués à changer de paddocks régulièrement, ils accourent vers l’éleveur dès qu’ils l’aperçoivent, confie Jean-Michel Gevrey. Avec des valeurs alimentaires de l’herbe toujours excellentes au printemps, les vaches réalisent des croissances proches de 1,7 kg par jour tandis que les génisses approchent 1,5 kg de GMQ et ce avec des pointes à plus de 2 kg !, indiquait Arnaud Godard.