Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire
Avoir « plus de souplesses »

Cédric Michelin
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Le 15 septembre à Jalogny, la session de la chambre d’Agriculture s’interrogeait sur « les formes collectives en agriculture, nouvelle donne du renouvellement des générations ? » Après avoir vu la semaine dernière, les nouvelles fermes collectives (Scop, Scic…), place cette semaine à la modernisation des structures historiques : Gaec, Cuma et coopératives qui, elles aussi, savent innover en restant fidèle à leurs valeurs mutualistes et humanistes.

Avoir « plus de souplesses »
L'agriculture de groupe, c'est aussi des méthodes pour bien se répartir les rôles et travaux. Comme ici, avec une réunion où chacun a son storyboard d'actions et peut échanger avec d'autres collègues après échanges avec le groupe...

Responsable du centre de formation à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, Gaël Pellenz schématisait les « trois grands modèles » de mise en commun. Les fermes « collectives » donc, comme la Ferme de Saint-Laurent (lire notre précédente édition), les fermes « collaboratives », où là « chaque atelier est indépendant au sein d’une structure globale » et enfin les structures « traditionnelles », type Cuma et coopératives, « où il y a mutualisation de moyens » de production, voire permettant de vendre. La chambre d’agriculture fait régulièrement des sondages auprès des futurs installés « l’indépendance, avoir du temps libre, avoir une diversité de tâches et acquérir du patrimoine » ressortaient en tête, il y a encore trois ans en arrière. Depuis la crise Covid, la question du patrimoine est moins prégnante.

Cuma intégrale pour se diversifier

Sonia et Simon Meirhaeghe ont quitté la Saône-et-Loire pour rejoindre la ferme des parents de Sonia dans l’Aube (Sep Terobio). Depuis le début des années 2000, ses parents étaient déjà engagés dans un collectif pour des « projets techniques » : techniques culturales simplifiées, non-labour… qui n’en n’étaient qu’aux prémices à l’époque. Avec les collègues, ils créent une Cuma intégrale mais s’aperçoivent vite des « difficultés » à moissonner en même temps par exemple. Ils décident alors « d’aller plus loin » en mettant en commun leurs assolements, via la Sep et des parts sociales. « Ce qui permet de garder une liberté sur son exploitation ». Et c’est le cas, puisque depuis 2016, certains ont suivi Simon et Sonia dans leur projet de conversion en agriculture biologique. Mais aussi HVE, ISO 14001… liste Simon, qui sait que même sur « les circuits, il faut différencier ses légumes et plantes aromatiques » avec des certifications, normes et labels.

Au-delà des différents itinéraires techniques et du travail, ce collectif permet « de prendre des risques et de s’adapter plus facilement ». Même si Sonia a « vraiment aimé travailler en couple en vaches allaitantes, on atteint vite certaines limites. Là, notre collectif m’éclate, car il y a plein d’idées et d’énergies », se plaît Sonia, pleine d’entrain. Plus calme d’apparence, Simon voit aussi l’avantage « d’intégrer de la robotique, des technologies de rupture », qu’ils n’auraient pas pu acheter s’ils étaient restés « isolés dans notre coin ».

Chacun son rôle, sans coupable

Pour autant, les décisions se font au sein du collectif. « On a tous notre conseiller de gestion, on est très aidé par le réseau Cuma… mais on se réunit tous les mois pour valider notre stratégie. Tous les jeudis sont consacrés aux réunions opérationnelles », explique Simon. Ce qui n’est pas sans créer des tensions, ou de la frustration « sur nos envies et façon de travailler », c’est pourquoi le collectif est accompagné par une « coach » au moins une fois par an et plus si nécessaire « pour désamorcer les conflits ». Les salariés permanents y sont « associés » « pour ne pas les perdre » dans les décisions. Enfin, à chaque fois, qu’une personne rentre dans la Cuma intégrale, « cela questionne l’ensemble du groupe et les places établies ». S’engage alors une nouvelle répartition des rôles, avec respect. « Cela permet aussi à certains de s’investir en dehors. Nous avons un président de coopérative et c’est aussi au profit du collectif », plus largement. Pour l’heure, ils l’avouent, ils ont la chance d’avoir des terrains à 10 km aux alentours et sont tous issus d’exploitations « familiales traditionnelles ». « On responsabilise tout de suite les nouveaux arrivants qui doivent apporter de l’expérience et valeur ajoutée » néanmoins. Pour Alexis Claudel, conseiller pour le réseau associatif Trame, l’important est d’avoir « un processus décisionnel par consentement et construire un système pour gérer les tensions » naissantes ou persistantes, faisait remarquer Stéphane Convert, qui sait que l’ambiance dépend aussi de la conjoncture économique. Ce que confirme la dernière enquête de l’observatoire de la santé des dirigeants agricoles de la chambre d’agriculture, glissait Christine Laugâa, du pôle agriculteurs en difficultés. « Il ne faut pas chercher de coupable ou de responsable, mais avancer ensemble sur des solutions », prône Sonia dans son collectif.

Des bâtiments en désaffection

D’autres peuvent aussi être inquiets à leur façon et avoir l’impression d’être dépendants des orientations futures. Président de l’Ambassade du Charolais, Daniel Rizet le disait à sa manière, lui qui s’inquiète pour la filière naisseur-engraisseur en Saône-et-Loire, quid demain des territoires et des terres sans ces agriculteurs ?

La directrice de la Safer, Valérie Diagne tentait de le rassurer. Des solutions de portage de capitaux et de foncier « se dessinent » permettant de différer l’achat : côtés banques, coopératives, Scic (lire notre précédente édition)… et bientôt « du portage temporaire » est en réflexion du côté du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, confirmait-elle. Des solutions venant se rajouter à celles plus classiques : investisseurs dans des GFA mettant en location… Avec ses prix du foncier « corrélés » à l’économie, ces « tarifs raisonnables permettent aux banques de se garantir sur la partie foncière », lors de l’installation. À l’inverse, les bâtiments constituent des freins « importants à financer », surtout s’ils nécessitent des rénovations après la reprise. Difficile de les louer souvent.

Droit à l’essai sans risque

Éleveur à Auxy, Christophe Carry en est conscient et milite pour le droit à l’essai, au sein de Gaec & Société, « l’ancêtre » des fermes collectives. « L’humain est le moteur de nos groupes donc on doit trouver des solutions pour éviter des départs prématurés », qui sont davantage constatés. La Saône-et-Loire expérimente depuis 2020 le droit à l’essai « pour le proposer, pas pour l’imposer ». Ce droit à l’essai permet de passer une année en Gaec « sans lancer d’investissements, ni faire de nouveaux baux… pour voir les quatre saisons », temps nécessaire pour faire un premier vrai bilan. Si les associés ont trouvé leur bonheur, alors l’installation se fait, sinon les démarches administratives sont simplifiées et ne pénalisent ni le porteur de projet, ni les ex-associés d’une année. Pour l’heure, l’État n’a pas encore trouvé « de statut d’associé à l’essai » et le dispositif Start Agri est préconisé, faute de. La réalité est souvent une embauche en « salariat déguisé », qui n’est pas la solution idéale car « instaurant d’emblée un lien de subordination », y compris avec un membre de sa famille, analyse Christophe Carry.

Faire des bilans de carrière

La présidente des JA, Marine Seckler n’est pas née en Saône-et-Loire et même si « elle aime l’ouverture d’esprit et la capacité d’adaptation » du département, elle s’était fait la remarque en arrivant de ne voir dans le répertoire départs/installations géré par la chambre que des « reprises de cheptel avec location de foncier, » donc un « gros investissement » pour elle qui voulait tester et « au pire repartir avec mes vaches ». Peu évoqué aussi, le problème du logement pour des jeunes agriculteurs qui ont déjà « plein d’emprunts sur le dos » et qui sont donc contraints de « faire un choix entre vie de famille ou l’exploitation ». Le syndicalisme jeune a donc fait la proposition d’inscrire dans la future loi d’orientation agricole, la création d’un « guichet unique » pour les porteurs projets, incluant un « bilan de carrière régulier comme les salariés. Car personne ne s’occupe de nous pour savoir où on en est dans notre carrière », fait-elle remarquer. Car les « jeunes changent et ne veulent plus forcément être bloqués 40 ans. Ils demandent plus de souplesse pour pouvoir repartir sans emprunt sur le dos après 15 ans ». Légitimement, à l’image du reste de la société.