Interview de Serge Zaka, agroclimatologue
« Notre pays manque d’anticipation agroclimatique »

Expert scientifique, docteur-chercheur en agroclimatologie chez ITK, une entreprise d’innovation agronomique qui développe des outils d’aide à la décision, Serge Zaka est également membre du conseil d’administration d’Infoclimat. Il avait publié, dès le 29 mars, une alerte sur les gels à venir des 6 et 7 avril. Il vient d’être élu par nos confrères de Vitisphere comme la personnalité de l’année 2021. Interview.

« Notre pays manque d’anticipation agroclimatique »

En quoi l’épisode de gel que l’on a connu au début du mois avril est-il exceptionnel ?

Serge Zaka : L’épisode de gel au mois d’avril n’est pas exceptionnel en soi. Car le mois d’avril connaît toujours des périodes de froid, avec des gelées plus ou moins prononcées. Ce qui est exceptionnel, c’est tout d’abord le nombre de records de froid battus en France (200), notamment dans le Sud-Est (90). C’est aussi l’extrême douceur qui a été enregistrée la semaine précédente, notamment la période du 29 au 31 mars qui a vu la température grimper, selon les régions, entre 25 °C et 28 °C. On a souvent cité l’exemple de Beauvais (Oise) qui a battu deux records en une semaine : record de chaleur le 31 mars avec 28,4 °C et celui du froid, le 6 avril, avec -6,9 °C. On oublie qu’une dizaine de stations en France ont réalisé ce triste exploit pendant la même période. C’est en tout cas l’épisode d’air froid le plus important depuis 1947 et depuis la mise en place de l’indicateur thermique national, à cette date, par Météo France.

D’autres périodes de l’histoire ont-elles connu des accidents climatiques d’une pareille ampleur ?

S.Z. : Bien entendu. On peut citer les vagues de froid du début du mois de mai 1945, celles de 1975 ou de 1991 mais avec des effets nettement moindres puisque les végétaux à cette époque n’étaient pas débourrés, ce qui explique qu’on en parle moins. Notre pays a également connu d’autres épisodes de très grand froid, sous l’aspect de vagues polaires hivernales. Ce fut le cas pendant le fameux hiver 1709 qui a causé la mort directe et indirecte de plus 600.000 Français sur environ 20 millions d’habitants. Il a fait jusqu’à - 26 °C à Paris et -16 °C à Montpellier. Plus près de nous, en 1956, la vague de froid fut presque identique. Du 1er au 27 février, les températures sont descendues largement sous le zéro, atteignant durablement -20 °C à Paris et jusqu’à -35 °C en Corrèze. La neige a atteint 1,20 m en Normandie et 50 cm dans le Var. La moitié des cultures ont été détruites, y compris celles qui étaient en pleine dormance hivernale comme les oliviers et les arbres fruitiers.

Ce phénomène peut-il se reproduire ? Si oui, jusqu’à quand ?

S.Z. : Oui, c’est un phénomène « normal » causé par un front froid venu de l’Arctique, nommé Arctic blast par les climatologues anglophones. Ce n’est pas le premier événement mais le premier de cette ampleur. Il devrait, selon les différents modèles, perdurer jusque dans les années 2050, date à laquelle les gelées d’avril devraient nettement s’atténuer voire disparaître. Mais la contrepartie serait un réchauffement du climat en France et en Europe avec des épisodes caniculaires et de sécheresse plus affirmés et plus longs. C’est un phénomène que l’on a déjà perçu le 28 juin 2019 quand il a fait 46 °C à Montpellier. Cette température couplée avec un vent de plus de 40 km/h a occasionné des brûlures sur des oliviers, des vignes et des lauriers. Peu à peu, ces événements régionaux se multiplient, s’étendent et s’accentuent sur le territoire. J’espère qu’ils vont éveiller les consciences.

Est-il possible de modéliser le dérèglement climatique et son impact sur les cultures en général (céréales, vignes, fruits, légumes, etc.) ?

S.Z. : C’est le cœur même de mon métier que de prédire l’impact du climat sur l’agronomie et je regrette que personne ou presque n’ait pris au sérieux mon alerte du 29 mars, alors que nous traversions une période quasi-estivale avec des températures supérieures à 25 °C. La carte que j’ai publiée sur les réseaux sociaux a eu beaucoup de succès auprès du grand public et j’avais espéré qu’elle serait reprise par une institution qui en aurait fait une communication officielle. Il ne s’est rien passé et j’en suis toujours étonné. Je pense qu’en France, on pèche par un manque de connaissances, de pédagogie et de communication sur des épisodes extrêmes. On est capable de modéliser et de communiquer sur les changements climatiques jusqu’en 2100 mais on ne fait rien pour les 10 jours qui viennent. Il est d’ailleurs regrettable qu’au moment même où l’on parle de souveraineté alimentaire, on ne soit pas capable de créer des vigilances agroclimatiques sur le modèle de celles “grand public” de Météo France : jaune, orange, rouge*. La question me paraît d’autant plus légitime que le pôle agroclimatique de cet établissement public a été réduit à son minimum. Quand nos gouvernants vont-ils prendre conscience qu’il serait opportun d’investir dans la recherche, dans des outils de prévention pour quelques millions d’euros au lieu de panser des plaies qui s’additionnent en milliards et qui coûteront encore plus cher à l’avenir ?

Comment selon vous les agriculteurs peuvent-ils contribuer à le combattre ? Revenir à des plantes (cépages, vergers) plus anciennes et plus résistantes ?

S.Z. : L’idée de reprendre directement des anciennes variétés ou de les croiser avec des variétés actuelles peut être retenue pour développer des bourgeons tardifs. Mais vous ne parviendrez jamais à obtenir une super-variété qui résiste à la sécheresse, au gel, à l’excès de pluie, à la chaleur et qui soit superproductive. Et ce, quels que soient les types de végétaux. La voie de la génétique peut également être explorée pour amortir certains problèmes. Peut-être avec les NBT (New Breeeding Techniques, N.D.L.R.) ?

Les agriculteurs peuvent aussi changer leurs pratiques culturales : reculer les dates de semis, éviter le labour du sol qui est un élément de fertilité et non plus qu’un simple support. Il faut aussi travailler sur la gestion de l’eau : mieux la stocker l’hiver car les épisodes pluvieux seront plus accentués et en été les cycles de sécheresse plus long. Là encore, il ne faudra pas faire n’importe quoi et faire en sorte que les retenues d’eau soient en accord et en symbiose avec l’écologie du milieu. De même, il est possible d’aller vers une irrigation de résilience, en délivrant la bonne dose d’eau sur la bonne parcelle au bon moment. Quant à maîtriser les effets du gel, l’équation reste compliquée. On peut limiter la casse mais on ne pourra jamais s’en affranchir.

 


*ITK, qui est en contact avec des entreprises et des institutions, souhaite développer un système de prévention accessible à tous sur le modèle de Météo France, avec des vigilances jaune, orange et rouge pour le gel, la grêle, la sécheresse. L’entreprise recherche des financements. Pour tout renseignement : serge.zaka@itk.fr

Macron « personnalité de l’année » de la RVF

Le président Emmanuel Macron a été désigné "personnalité de l’année 2022" par la Revue du vin de France, pour « son engagement constant en faveur du vin et de sa culture », a annoncé le 4 janvier le magazine spécialisé connu sous ses initiales RVF. « Nous souhaitons saluer l’action du président de la République à un moment où s’achève son mandat », a expliqué Denis Saverot, directeur de la rédaction de la RVF, soulignant que, « pour la première fois depuis des décennies, un président de la République a déclaré haut et fort qu’il aimait le vin ». En février 2018, peu avant le Salon de l’Agriculture, M. Macron avait déclaré à des journalistes : « Moi, je bois du vin le midi et le soir ». « Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin », avait assuré M. Macron. « Tant que je serai président, il n’y aura pas d’amendement pour durcir la loi Évin », avait-il promis.

Recevant le prix le 6 janvier, Emmanuel Macron a vanté les mérites du monde viticole. « Vous pouvez être fiers de ce que vous êtes au quotidien, vous êtes des métiers d’art : vignerons, marchands, acteurs de l’œnotourisme, restaurateurs, libraires, historiens, qui nous permettent de rayonner à travers le monde ». Puis il a mis en évidence les avantages que le pays en retire : « Porter l’image de la France, c’est nous aider à obtenir des succès politiques et diplomatiques ». Le chef de l’État a ensuite voulu montrer que le monde du vin correspond à sa vision des choses : « Le vin est la démonstration du fait que pour être français, aimer nos terroirs, nos cépages, nos climats, nos châteaux, ces savoir-faire ancestraux, ces arts de la table, la gastronomie et les vins qui se marient à elle, c’est aussi aimer le vaste monde parce que c’est décider de l’accueillir dans des lieux que vous avez su transformer. C’est décider de le conquérir en exportant ce que nous savons faire de mieux ». Le président de la République a indiqué qu’au chapitre des devoirs de l’État, « on doit vous accompagner » dans la modernisation, dans la recherche, notamment pour sélectionner des cépages résistants (au mildiou et à l’oïdium).