Pac et zones intermédiaires
Agir avec « conviction et méthode »

Françoise Thomas
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À la demande de Marie-Guite Dufay, présidente de Région et de Christian Decerle, président de la chambre régionale d'agriculture, une rencontre à distance a eu lieu le jeudi 22 avril avec le ministre de l’agriculture. Les instances régionales et la profession agricole voulaient en effet interpeler Julien Denormandie sur les spécificités, voire les difficultés, d’une région comme la Bourgogne Franche-Comté dès lors qu’il est question de la Pac et des zones intermédiaires. Loin de promettre la lune, le ministre Denormandie s’est montré attentif aux inquiétudes tout en voulant rassurer sur ses bonnes intentions vis-à-vis de l’agriculture française en général.

Agir avec « conviction et méthode »
Le ministre de l’agriculture doit faire face à l’inquiétude des agriculteurs de la région quant à la mise en place des écorégimes dans les faits.

Julien Denormandie l’a clairement annoncé : il ne connait pas de ministre de l’agriculture qui soit sorti apprécié d’une réforme de la Pac ! Une manière de prévenir et d’expliquer qu’à défaut de contenter pleinement certaines filières au détriment des autres, il va globalement faire des mécontents de partout… mais pas de grands perdants.

Il a rappelé que la France a bataillé ferme à Bruxelles pour minimiser la baisse prévue initialement sur le premier pilier : « le budget sur ce premier pilier ne baisse que de 2 % alors que, si la France n’avait pas retourné la table, cela aurait été de l’ordre de 15 à 25 % », ce qui représentait aux alentours de 20 milliards d’euros en moins. Ceci soulignant une fois de plus qu’au niveau européen, tous les pays sont loin d’avoir les « mêmes priorités agricoles » que la France…

Au ministre ensuite de composer au niveau national avec « la grande famille agricole », afin de préparer l’agriculture d’aujourd’hui à ce « à quoi elle doit ressembler en 2027 ».

Ce qui circule dans les plaines

Pour cela, la méthode Denormandie consiste « à agir avec conviction et méthode », a-t-il présenté.

Ses convictions sont celles « d’assurer la souveraineté, la compétitivité, la qualité et l’approche territoriale ». Quant à sa méthode, elle s’articule autour de « beaucoup de consultations et de concertation au niveau local ».

Ainsi, la rencontre de jeudi dernier a été l’occasion pour lui de revenir sur « deux chiffres qui ont circulé dans les plaines : un UGB à 80 € et des écorégimes qui ne concerneraient que 25 % des personnes, ce qui est totalement faux ! ». Et d’avancer les projections au niveau régional qui montrent que six exploitations sur dix seraient déjà au stade le plus élevé pour prétendre à ces écorégimes.

Pas d’UGB unique

Se présentant comme « un ferveur défenseur de l’élevage viande de qualité », il est convaincu qu’il faut préserver l’aide couplée bovin viande. « Je ne sais pas si ce système est le meilleur, je sais que c’est le moins mauvais ». Mais Julien Denormandie n’est cependant plus pour un UGB unique allaitant/laitier, les discussions l’ayant fait évoluer sur ce point. Quant à la méthode de calcul des prime UGB, c’est une nouvelle fois sur les concertations qu’il compte pour en définir la règle.

Et si le système sera forcément au final plus bénéfique à certains qu’à d’autres, puisque « chaque réforme entraine toujours des effets de bord », il souhaite en parallèle trouver les moyens d’accompagner au mieux ceux qui se retrouveront les plus en difficulté du fait de cette réforme.

Choix cornélien

Pour le ministre, la région BFC illustre parfaitement la problématique du paiement redistributif dans des secteurs défavorisés comme les zones intermédiaires. La présidente de Région, Marie-Guite Dufay, l’avait rappelé en introduction : « cinq des huit départements de la région sont en zone intermédiaire », d’où des crispations fortes de la population agricole sur les aides accordées.

Là où le paiement redistributif est très intéressant, et donc prôné par et pour l’élevage, il devient « mortel », d’après l’expression du ministre, pour la grande culture qui milite donc pour des « transferts P1 (1er pilier, NDLR) vers P2 les plus bas possibles ». 
À l’inverse, limiter ce paiement redistributif, position défendue par les grandes cultures de plaine qui s’estiment « avoir été très contributeurs jusqu’à présent, ce serait très bénéfique pour les céréaliers de BFC, mais cela tuerait l’élevage », a résumé le ministre.

Dans cet entre-deux, « il faut trouver l’équilibre le plus intéressant, mais à la fin, personne ne sera content », a-t-il prévenu.

Pour l’heure sa position est de « ne faire aucun transfert, je me situe plus dans la stabilité ! » Disant cela, il a tout à fait conscience de ne pas satisfaire « l’éleveur qui en veut plus ni le céréalier de zone intermédiaire qui veut l’inverse ! » 

Il prône ainsi la convergence des DPB moyen des zones intermédiaires vers le niveau moyen national en jouant notamment pour cela « les écorégimes qui reposent sur la moyenne nationale des DPB ».

Décapitalisations annoncées

Christophe Chambon, le président de la FRSEA, a pour sa part rappelé la proposition de l’instance régionale : « nous ne sommes pas uniquement dans la posture de demander des aides. Ce que nous souhaitons, c'est le maintien et la construction de nos filières », citant au passage le projet transfilière Profilait permettant de valoriser les productions locales de protéines à destination de l’alimentation animale, toute production concernée : allaitant, laitier, AOP, etc. Et Christophe Chambon d’insister sur la demande « d’augmentation du paiement sur les premiers hectares… »

Car les inquiétudes de la profession sont grandes quant à l’avenir. Emmanuel Bernard, le président de la FDSEA 58, citait les projections à 2030 de l’Institut de l’élevage et de la MSA faisant état d’une décapitalisation de l’ordre de -20 % en nombre de vaches au niveau régional. Sylvain Marmier de la CRA s’inquiète sur la mise en place des écorégimes : « ils doivent tenir compte des efforts déjà réalisés par les agriculteurs dans ce domaine ».

Feuille de route

Le ministre s’est au final montré moins pessimiste sur l’avenir des zones intermédiaires que les professionnels présents. Et ce notamment grâce encore une fois aux écorégimes à venir : « il y aura des efforts à faire », a-t-il concédé, avant de rajouter se voulant rassurant « ces efforts devront être accessibles », et de citer comme exemple des cultures spécifiques à mettre en place. 
Loin de la politique de jachère qui a découlé des Pacs précédentes, il est désormais questions ici pour le ministre « de cultures avec un vrai sens agronomique comme les légumineuses ».

Ainsi pour ces zones intermédiaires, il a annoncé une feuille de route dont la première mouture en cours de finalisation sera bientôt soumise à la profession.

« Tout ceci je ne le fais pas seul. C’est élaboré après beaucoup de discussion et de bon sens paysan, mais à la fin des fins, il y aura des arbitrages, décidés avec le plus de professionnalisme possible »…

Il le sait, il l’a dit : aucun ministre de l’agriculture n’est jusqu’à présent ressorti apprécié d’une réforme de la Pac.

Le gel abordé

Impossible de débuter cet entretien sans évoquer les dégâts causés par le gel du début du mois. Aucune nouvelle annonce n’a été faite par le ministre de l’agriculture, qui a cependant rappelé les différents niveaux d’aides décidées. Tout d’abord les mesures d’extrême urgence comme l’année blanche pour les cotisations sociales, les mesures de chômage partiel, le fonds délégué aux préfets, etc. Puis les mesures concernant les pertes de productions avec notamment le fonds de calamité qui pourra couvrir jusqu’à 40 % des pertes et qui a été ouvert à la viticulture et aux grandes cultures. Les premiers versements sont promis dès cet été et un fonds exceptionnel a été fléché à destination des filières de l’aval. Et enfin, les mesures de prévention et d’adaptation avec aides pour l’achat de matériel de prévention et la réflexion autour de l’assurance récolte.

Varennes de l’eau

Déjà évoquée fin mars lors d’un précédent déplacement en région, le ministre a une nouvelle fois parlé de l’organisation prochaine des Varennes de l’eau et du changement climatique. Julien Denormandie entend là « repositionner le ministère sur la pensée de l’eau », l’eau étant dans l’escarcelle du ministère de la Transition écologique depuis plusieurs années maintenant. Il sera question de redonner à l’agriculture voix au chapitre et « de trouver des voies et des moyens pour aller plus vite » sur ces problématiques de l’eau.