Alliance BFC
Modélisation de l'impact du changement climatique sur le besoin en eau des cultures

Florence Bouville
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Le service R & D d’Alliance BFC mène de nombreux travaux sur l’adaptation au dérèglement climatique et la gestion de la ressource en eau. Le 20 avril, nous avons pu échanger avec Martin Lechenet, data analysis manager, et Séverin Yvoz, en postdoctorat au sein du service. Séverin est parvenu à modéliser l’impact du changement climatique sur le besoin en eau et le rendement des cultures, en Bourgogne-Franche-Comté. Les résultats ont déjà été présentés aux techniciens de Bourgogne du Sud, et sont, pour le moins, parlants.

Modélisation de l'impact du changement climatique sur le besoin en eau des cultures
L'évaluation de l'impact du changement climatique sur le besoin en eau des cultures est au cœur des travaux menés par le service R & D d'Alliance BFC.

Mutualisée pour l’union des trois coopératives d’Alliance BFC (Bourgogne du Sud, Dijon Céréales, Terre Comtoise), l’équipe R & D réalise, entre autres, des essais longue durée. Sont ainsi pris en compte les effets cumulatifs des pratiques, afin d’avoir une véritable approche "système" et de déterminer les meilleures variétés, en fonction du secteur géographique. Les thématiques ciblées vont de l’autonomie fourragère aux services écosystémiques rendus par l’agriculture, en passant par l’énergie. « L’enjeu est de construire quelque chose de global », introduit Martin Lechenet.

Aujourd’hui, il n’y a plus à débattre de l’intérêt des projets de modélisations de la ressource en eau. Il s’agit d’un sujet prégnant, qui dépasse les limites administratives. Au-delà d’une commande à l’échelle régionale, l’étude du bilan hydrique des cultures en région menée par Séverin, s’inscrit dans une réflexion plus large : la sécurité alimentaire.

Avec les responsabilités qui en découlent. « L’eau est un sujet extrêmement fragmenté », affirme Martin. En effet, chaque communauté d’acteurs traite un aspect spécifique : les Agences de l’eau ont la compétence qualité des nappes, les chambres d’agriculture accompagnent plutôt tout ce qui touche à l’irrigation, les collectivités prennent en charge les risques de crues… Finalement, « dans les débats, les acteurs du monde agricole se résument souvent aux représentants des syndicats d’irriguants », note Martin. Heureusement, grâce au projet d’Alliance BFC, « les agriculteurs et les techniciens se sentent le droit d’amener leur vision », se réjouit-il.

Au niveau de la pluviométrie, le volume des précipitations annuelles est globalement stable. Néanmoins, la répartition varie grandement. La fréquence des situations extrêmes, type gelées tardives, augmente également nettement. Face à la problématique du bouleversement climatique, comment prévoir l’évolution du bilan hydrique des cultures ? C’était là tout l’enjeu du travail de Séverin.

Une modélisation de la perte de production

Le point de départ repose sur la modélisation de deux réservoirs d’eau différents : une ressource accessible à tout moment et une autre, moins disponible. Il a ensuite fallu croiser plusieurs jeux de données, pour prendre en compte l’ensemble des paramètres : l’évolution des températures, la pluviométrie, l’évapotranspiration, la pédologie etc. Concernant la variable climat, Séverin s’est basé sur le scénario 8.5 du Giec. Tout cela, donc, dans le but de déterminer les caractéristiques des réservoirs ainsi que les besoins en eau des cultures. Pour quantifier ces derniers, quatre phases de croissance ont été délimitées (émergence, croissance, maturité, sénescence). Au total, douze groupes de cultures ont été sélectionnés, pour le territoire régional. Environ 8.500 "entités" (ou "mailles") géographiques homogènes ont été générées. Puis, ces surfaces ont été pondérées avec les données du Registre parcellaire graphique (RPG), pour intégrer l’occupation du sol.

Quatre périodes ont ainsi été étudiées. Un historique : 2000-2020 et trois projections : 2030-2049 ; 2050-2069 ; 2080-2099. Le modèle a "tourné" pour chaque jour. Question fondamentale : la plante subvient-elle à ses besoins en eau ? Étape primordiale, le déficit hydrique a été converti en impact sur le rendement, via l’application d’un coefficient de réponse en eau. Ce coefficient n’est pas le même selon le stade de croissance de la plante. Le stress hydrique varie notablement, selon qu’il s’agisse d’une culture d’hiver ou de printemps. Le sorgho a, par exemple, un profil type intéressant, il bloque son cycle en période de sécheresse, et le reprend quand les pluies reviennent.

Trois causes expliquent, ainsi, la variabilité de la baisse de rendement : la saisonnalité des cultures, l’effet interannuel (semer après une année difficile a de lourdes conséquences) et la localisation (tous les territoires ne sont et ne seront pas touchés de la même manière). Actuellement, 2.420 kt de blé sont produits en BFC, dont 644 en Côte-d’Or et 283 en Saône-et-Loire. D’ici la fin du siècle, la perte de rendement touchera l’ensemble du territoire (-116 kt entre 2080 et 2099). Pour le maïs, les pertes généralisées surviennent dès la période 2030-2050 (-100 kt). Attention, comme ce sont des moyennes, « elles n’ont qu’une valeur indicatrice », alerte Séverin. Afin de synthétiser les résultats, il a converti les cultures en un équivalent de tonnes de blé. Dans 80 ans, 440 kt d’équivalent blé pourraient donc manquer.

L’objectif, sécuriser l’alimentation et maintenir le niveau de production actuel. Pour cela, il faudrait apporter 92 millions de m³ avant 2050, 581 millions entre 2050 et 2069 et plus de 1.500 millions après cette date. Ces volumes correspondent à une surface de stockage de 51.000 ha (dont 14.800 en Saône-et-Loire), multipliés par 3 mm d’eau.

Enfin, autre interrogation qui inquiète Martin, l’impact des pertes de rendement sur la production de biomasse, dans une logique de séquestration du carbone.

La modification de l’assolement ne suffira pas

En modifiant l’assolement, parviendrait-on à compenser le stress hydrique subi par les cultures ? Pour y répondre, Séverin a testé trois scenarii d’optimisation : conservation de la proportion régionale actuelle des cultures, substitution des cultures par type (céréales, oléagineux, protéagineux, fourrages) et substitution des cultures par catégorie (grain, fourrages). Les surfaces en prairies permanentes étant conservées (elles représentent 50 % de la SAU). À noter que la troisième hypothèse simplifie excessivement le paysage agricole.

Au final, aucun des trois scenarii n’engendre un gain de production suffisant, au regard des besoins croissants en eau. Ainsi, l’abandon de certaines cultures, au détriment d’autres, constitue une alternative uniquement à court terme. En réalité, il n’y a pas de solution unique. Les données sont là, « on ne peut pas tout miser sur l’agriculture, vis-à-vis de l’adaptation au changement climatique », s’accordent Martin et Séverin. « Tout le dossier de l’eau et de la sécurité alimentaire ne doit pas reposer sur les épaules des agriculteurs », poursuivent-ils.

Vu que le déficit hydrique pourrait bien doubler d’ici la fin du siècle, « il faudrait tendre vers un stockage intelligent concerté », conclut Martin. Les plateformes de tests et les vitrines de démonstration sont de plus en plus essentielles. Leur légitimité n’est, à ce stade, plus à remettre en cause. On est véritablement entrés dans l’ère de l’efficience maximale de chaque goutte d’eau. Grâce au travail de Séverin, l’équipe a pu affiner son positionnement. En parallèle, un manifeste sur l’eau est en train d’être rédigé, travail synthétique conséquent.

Un modèle réplicable à plus petite échelle

Tel qu’il a été construit, le modèle développé par Séverin est entièrement déclinable à plus petite échelle. Par exemple, pour étudier l’évolution des rendements des cultures irriguées à destination de l’alimentation animale, dans le secteur de la plaine de Saône. On se place alors dans une logique de priorisation, au regard des rendements obtenus, au fil des années. Ce n’est qu’un exemple de territoire parmi toutes les possibilités qu’offre la modélisation.