Crédit agricole
Le thermomètre de la transition énergétique
Le 6 juin dernier à la Cité des vins Mâcon, le Crédit Agricole présentait en avant-première le baromètre de la transition énergétique des entreprises. Les enseignements sont nombreux et parfois contradictoires. La banque verte va se servir de ce « thermomètre » pour faire baisser la facture d’énergie, mais aussi parfois les poussées de fièvre du réchauffement climatique. Les témoignages d’entreprises logistiques ou de transport étaient ainsi sources de réflexions.
Pour ces troisièmes Rencontres de la transition énergétique, le directeur général adjoint du Crédit Agricole Centre-Est (CACE), Marc Do Van Tuan reste toujours encourageant face au défi générationnel du changement climatique. « On n’est pas que banquier, on se préoccupe de la trajectoire de la planète, qui n’est pas sur la meilleure voie », d’un point de vue sociétale (guerres…) ou climatique. Et plutôt que de s’opposer ou chercher à imposer LA solution unique à tous les problèmes, l’objectif qu’il applique pour les financements (habitat, consommation, investissement…) est pragmatique : « accompagner tout le monde au rythme de chacun ». Et ça marche avec 2.800 projets pour 600 millions d’€ d’investissement.
Il faut dire que la banque verte met le paquet. Symbole de cet engagement, en interne, 3.000 collaborateurs ont eu une journée entière sur leur temps de travail pour réaliser la fresque du climat. Une prise de conscience collective qui venait parfaitement compléter les mois de formations sur les questions de financement de la transition. Si l’objectif n’est pas de se détourner de ses métiers premiers, la banque fait le choix de saisir aussi les opportunités de nouveaux métiers, comme sur la production d’énergies renouvelables (19 milliards d’€ investis). « Et l’on va aussi accompagner les projets visant à mieux se nourrir en Saône-et-Loire », annonçait-il, voyant bien que « l’écosystème » local (élus, entreprises…) est désormais « mature ».
Accompagner tout le monde au rythme de chacun
Mais, il ne suffit pas de se fixer un objectif pour y arriver. Encore faut-il savoir d’où on part et savoir si l’on reste sur le bon chemin. C’est pourquoi le Crédit Agricole dévoilait pour la première fois un baromètre « unique » en son genre. 500 chefs d’entreprise ont été sondés par l’institut de sondage CSA en Bourgogne-Franche-Comté. Ils ont répondu à 150 questions autour des thématiques énergétiques et climatiques. « Pour agir, il faut mesurer, sinon on a des biais ». Le Crédit Agricole veut maintenant partager ses « datas thématiques » à un maximum de décideurs, à travers une série de sept rencontres en Bourgogne-Franche-Comté. L’occasion aussi, comme en ce 6 juin à Mâcon, de faire rencontrer chefs d’entreprise ou salariés en charge de ces questions – voir plus largement (RSE…) – avec pas moins d’une centaine d’apporteurs de solutions sélectionnés par la banque pour leur professionnalisme et efficacité.
BFC : peut mieux faire
De l’institut CSA, Xavier Terryn présentait les résultats clés du baromètre (lire encadré) et disons-le tout de suite, le score est passable avec une note globale de 50 sur 100, à la limite donc du redoublement… peut mieux faire donc. De « grandes disparités » sont toutefois à noter entre les entreprises de +50 salariés qui ont dédié du personnel (index de 61/100) et les entreprises avec moins de salariés, dont les efforts reposent principalement sur le seul chef d’entreprise. Même si le "patron" doit être le premier convaincu, Xavier Terryn a recueilli des idées pour « embarquer l’ensemble des salariés », puisqu’en réalité, cette transition est aussi la « somme de comportement individuel ».
Les transports au cœur du commerce
Le Crédit Agricole avait donc choisi un thème qui concerne tout le monde : les transports, premier secteur émetteur de CO2 en France (environ 30 % du total). Pour témoigner, Véronique Favre, directrice communication RSE chez Bigmat Girardon, Xavier Charbon, directeur général du groupe Rave et Alfred Carignan directeur des Canalous. Tous trois ont accepté le constat d’être émetteur de carbone et veulent s’améliorer.
« On s’est engagés dans une démarche RSE en 2020. Notre corps de métier est de transporter des matériaux lourds. On accepte d’être un gros pollueur », reconnaît Véronique Favre. Une franchise qui l’honore et qui facilite le dialogue ensuite avec les salariés et les clients, particuliers comme professionnels. « On a fait un travail avec les gens de terrain, insistait-elle, et on a gagné 700.000 km/an ! ». Des économies pour la planète et pour l’entreprise, débouchant, ainsi, sur une « prime bonifiée » pour les 450 salariés. Flotte de véhicules légers électriques, transpalettes électriques, logiciel logistique « pour charger au plus proche et éviter les camions à vide », isolation des dépôts et magasins équipés de panneaux photovoltaïques… La « vraie performance », pour Véronique Favre, a été de « mettre en mouvement et investir » dans les Hommes, à travers un Comité de pilotage. Tout n’est pas parfait et l’entreprise attend avec impatience « des camions six-huit roues assez puissants », que ce soit en motorisation électrique ou autre, moins carbonée. « On fait des essais », mais ce n’est pas encore probant.
Mêmes essais du côté des transports Rave, mais à une tout autre échelle. Il faut dire qu’avec 2.000 véhicules sur 30 sites, Xavier Charbon n’a pas vraiment le droit à l’erreur, surtout qu’il « représente aussi la flotte de beaucoup de clients » (scope 3). Il rappelait l’importance des normes (EU 4, 5 et 6) qui poussent le secteur à décarboner, sans même parler de l’instauration de ZFE (Zone faible émission) dans certaines métropoles, véritable électrochoc pour les livreurs. Sans oublier la hausse du gasoil, « 2e poste de coût de l’entreprise ». Mais, il confirme qu’aujourd’hui, ce sont ses clients qui lui demandent des solutions. Heureusement, Rave « n’a pas attendu et a entamé sa décarbonation il y a 12 ans de cela ». 20 % de sa flotte est faite d’énergies alternatives : biogaz issu de méthanisation, biocarburants (colza B100, huile végétale…), électrique… Pour l’heure, « il n’existe pas UNE bonne énergie », conseillant à ses clients qui ont des flux régionaux de passer à l’électrique avec recharge la nuit, mais déconseillant cette énergie pour les longs transports nationaux et internationaux.
Économies et valeur ajoutée
Ce n’est pas le cas des bateaux touristiques des Canalous. Alfred Carignan a fait le « pari de basculer sur l’électrique » et c’est un pari gagnant. Il faut dire que « l’ADN de notre activité est d’être proche de la nature », pour ces locations de bateaux sur canaux, sans permis. « Nos clients sont sensibles, car il n’y a plus ni vibration, ni bruit, ni odeur et ils entendent la faune, la flore et les hélices dans l’eau. Les clients raffolent de cette expérience améliorée ». Reste tout de même la contrainte des infrastructures « quasi inexistantes » pour les recharges sur du foncier géré par VNF. Si les voies routières commencent à être bien équipées en bornes de recharge, par mesure de précaution, il conserve des « solutions hybrides, avec groupe électrogène », testant aussi les moteurs à hydrogène ou à huile végétale hydrotraitée (HVO). Donc pour le directeur, le « vrai sujet » est celui du rétrofit, pour transformer les bateaux « qui ne sont pas en fin de vie », progressivement, « à un rythme de 15 bateaux par an ». Car, qui dit transition, dit pas de temps et surtout budget important pour ces changements.
Greenwashing : trop de gens communiquent sur rien
À la base, Véronique Favre est une professionnelle de la communication qui s’est ensuite engagée dans les démarches RSE. Son premier conseil est simple sur ce sujet : « si on n’est pas prêt, si on n’a rien fait, alors il ne faut rien dire, il y a trop de gens qui communiquent sur rien. Toute communication doit être réelle pour être crédibilité ». Et avant tout en interne, car le sujet de l’environnement tient à cœur et peut vite être « touchy », sensible donc, entre salariés et avec la direction. Et ce, parfois, dès les recrutements de « jeunes cadres », voulant des preuves concrètes de l’entreprise avant même d’accepter l’emploi.
Et avec les clients ? Xavier Chardon a d’abord dû convaincre ses clients, car leur « grande question était : quel surcoût de cette transition ? », cherchant des solutions à moindre coût, preuve que la valorisation au client final n’est pas chose aisée dans un contexte concurrentiel et d’inflation. Pourtant, « les énergéticiens se battent, nous expliquant ce que l’autre ne fait pas bien ». Une guerre qui se ressent aussi du côté des multiples labels et auditeurs de normes ISO. Pour autant, ils « aident à structurer la démarche », nuance Véronique Favre. Ou à obtenir des aides de l’État ou des banques, avec des prêts bonifiés. Des aides qui sont encore nécessaires malgré la certaine maturité du marché. Reste encore des inconnus. « Nous n’avons pas de vision sur la durée de vie des batteries qui pourraient rendre la maintenance plus coûteuse », s’accordent les trois témoins. Tout est donc à comparer par rapport au « gasoil, l’électrique est plus élevé à l’achat, mais bénéficie d’aides avec à l’utilisation un coût/km plus faible ».
La responsable en charge des Énergies au Crédit Agricole, Sophie Bonhomme concluait cette matinée qu’elle qualifiait à juste titre « d’inspirante » en mettant tout le monde à l’aise. « On a toujours l’impression d’être en retard, car la communication est massive sur ces sujets environnement et RSE mais au Crédit, on voit vos avancées et on sait que vos entreprises sont moteurs », prenant pour exemple les agences bancaires « refaites faisant 20 % d’économie et même économisant deux tiers de l’énergie ». Et s’il fallait terminer sur une note positive mais passée sous les radars : « l’agriculture est très en avance sur les investissements propres ou tiers » pour produire des énergies renouvelables. Et pourtant, personne n’en parle ou le sait…
Baromètre CSA : l’effet Dunning-Kruger ? (ou montagne de stupidité)
Au fur et à mesure que Xavier Terryn de l’institut CSA présentait les résultats clés du premier baromètre mesurant la « maturité énergétique et environnementale des entreprises », il devenait clair qu’il y a « encore beaucoup de chemin à parcourir ». Un peu à l’image de l’effet Dunning-Kruger aussi nommé effet de surconfiance. Sur un sujet, après s’être un peu renseigné dessus, tout le monde pense savoir et surestime ses compétences (ce qui n’empêche pas d’être intelligent et compétent dans son domaine). Sur une courbe, c’est le sommet appelé montagne de la stupidité, car en réalité, on n’a fait qu’effleurer le sujet. Le CSA ne dit guère autre chose, mais en plus chiffré et diplomate.
Pour bâtir un indice de maturité énergétique, le CSA a interrogé 500 chefs d’entreprises de la région autour de quatre piliers. Justement, le premier pilier visait à estimer le niveau de connaissance. Sur 10, les entreprises s’attribuent 6,5 se considérant comme « actives et conscientes des enjeux » énergétiques et environnementaux. L’importance de ces sujets atteignant même 7,2/10. Alors le CSA commence à creuser. Les entreprises déclarent avoir un bon niveau de connaissance et se donnent la note moyenne de 6,8. Le CSA leur a demandé leurs sources d’informations. À près de 70 %, leur première source repose sur de simples échanges avec des confrères ou salariés, loin devant des formations ou conférences (40%). La sanction tombe alors. Le CSA leur a demandé de citer les réglementations en la matière. 65% disent les connaitre, 35% pas du tout. Bilan carbone et loi d’accélération des énergies renouvelables viennent rapidement (89% et 72%) mais après, décret tertiaire, loi LOM, directive CSRD, décret Bacs, SNBC… ne sont majoritairement pas connus ou de nom juste. Le CSA se contente de dire poliment que le « sujet est certes connu, mais qu’il y a encore des lacunes ».
Place aux réalités ensuite. Là, pour les entreprises sondées, l’électricité est l’énergie principale (9/10), devant le gaz ou fioul (52 %). 1,8 énergie différente est utilisée en moyenne avec un contrat de maintenance et des systèmes de mesure et de régulation, « simples et à moindre coût ». Dans les faits, remplacement des Leds et la renégociation de son contrat d’énergie. À la question du CSA si l’entreprise va « aller vers cette transition durable », la réponse est « non à 53 % » et seulement un tiers des entreprises ont une personne suivant ces consommations (factures, tableurs, plateforme dédiée, horaire de chauffage, climatisation…). Le score de gestion de l’énergie est donc de 56/100, « suivi, mais peut être mieux piloté », juge le CSA.
Au cours des 24 derniers mois, qui ont pourtant été propices aux réflexions à la suite de la flambée des prix des énergies, seuls 30 % des entreprises sondées ont réalisé un audit énergétique. Sur ce troisième pilier « évaluation », le CSA note tout de même que 31 % ont un plan d’action… ce qui fait que « 69 % n’en n’ont pas et même 28 % ne l’ont tout simplement jamais envisagé ». Chez les 31 % ayant un plan, la moitié vise une certification ou une labellisation. Le CSA a cherché à comprendre les freins chez les 28 % ne se posant pas de question. Quand le CSA leur pose la question, ils répondent que leurs actions sont suffisantes (59 % soit 17% du total), pense que les besoins d’investissements seront trop importants (49 %), par manque de temps (47 %) ou du fait de la complexité administrative/réglementaire (43 %) ou que cela « n’en vaut pas la chandelle » (39 %). C’est même 3,3 freins qui sont cités en moyenne.
Score sur les pratiques, un petit 35 sur 100 avec donc en réalité « des actions les plus simples et moins coûteuses engagées » généralement, à commencer dans le secteur tertiaire. Dans l’effet Dunning-Kruger, c’est la vallée de l’humilité. D’ailleurs, dans les questions suivantes sur l’engagement, le score remonte progressivement (40/100).
Pour l’heure, tiré par quelques entreprises en pointe, le score final de maturité atteint tout juste la moyenne de 50 sur 100. Marc Do Van Tuan encourageait tout le monde à accélérer ou garder le rythme : « on apprend en marchand avec vous, on a des financements dédiés et on continuera la pédagogie ».
Rendez-vous l’an prochain pour connaître l’évolution de l’index et arriver à un « plateau de consolidation ». Avec, si possible, l’arrêt de l’effet corollaires qui veut que les personnes les plus qualifiées dans un domaine ont certes tendance à sous-estimer leur niveau de compétence, mais surtout, ils pensent à tort que des tâches faciles pour elles le sont aussi pour les autres. La critique étant alors hâtive…
Sensibiliser ses salariés : un vrai levier d’actions
Le CSA s’est intéressé à la sensibilisation des salariés par les entreprises. L’affichage pour le tri des déchets, éteindre les lumières ou baisser le chauffage est le plus facile et répandu (75%) … et c’est à peu près tout. « On tombe vite » autour d’une entreprise sur dix qui va plus loin en termes de communication. Environ 15 % des entreprises ont envisagé des concours internes pour des comportements vertueux, ou la création d’un groupe de travail dédié aux initiatives énergétiques. Et même, seulement 5% des entreprises qui ont franchi un cap supplémentaire en mettant en place un programme d’intéressement en cas de baisse de la facture énergétique. Pour le Crédit Agricole, il y a donc un « vrai travail à accomplir », ne serait-ce qu’autour des déplacements professionnels ou pour les trajets domicile-travail, notamment afin d’électrifier ces modes de transport.